Chapitre 4 : Un vieil ami


Arabella jeta un œil attentif au petit Will qui dormait du sommeil du juste. Un tendre sourire illumina ses traits en le retrouvant aussi sage qu’à son habitude, le visage détendu. Avec douceur, elle réajusta la couverture offerte par Laura sur le bébé tandis que Bill la regardait avec inquiétude.

« Arabella ? De quoi voulais-tu me parler ? » Demanda-t-il.

La jeune femme se crispa brutalement et jeta un regard de biais à son mari. Accepter de rendre service à sa mère était une chose… l’annoncer à son mari en était une autre… D’autant plus qu’elle ne l’avait pas consulté.

 

Bill surprit son regard et son angoisse redoubla. Il était certain à présent que ses pires craintes allaient se réaliser: Arabella allait lui dire que la visite de Laura lui avait fait prendre conscience qu’elle avait commis une erreur en l’épousant et elle allait le quitter. Peut-être même le laisser seul avec l’enfant… Rien qu’à cette pensée, Bill retint un besoin d’hurler et s’adressa à sa femme d’un ton sec

« Allez vas-y !! »

 

Surprise par sa colère qui n’augurait rien de bon sur la suite de leur conversation, Arabella déglutit mal à l’aise

« Ça concerne ma mère… »

Bill baissa les yeux, résigné à présent

« Continue.

- Elle, elle est enceinte … » Murmura Arabella.

Bill retint son souffle tandis que son esprit enregistrait la déclaration de sa femme. Puis vint le soulagement et avec lui la surprise

« Elle est pas un peu vieille pour ça ? Lui demanda-t-il en songeant brutalement qu’à tout prendre valait mieux que ce soit Laura qui soit enceinte plutôt qu’Arabella

- C’est exactement ce que j’ai pensé ! » S’exclama Arabella, soulagée de sentir la tension qui s’était installée s’estomper un peu

 

Bill sourit et s’approcha d’elle, croyant comprendre ce que la nouvelle pouvait avoir de bouleversant pour Arabella alors qu’elle-même venait à peine d’être mère. Avec douceur, il la prit dans ses bras et l’embrassa dans le cou

« J’avais peur que tu m’annonces autre chose… »

Arabella fronça légèrement les sourcils à cette précision et se demanda fugacement quelle nouvelle Billy avait craint avant de revenir au présent et à la suite.

« Je… Je n’ai pas fini Billy.

- Oh… » Murmura le jeune homme en la relâchant brusquement tandis que la tension se réinstallait dans la pièce

 

Arabella prit une grande inspiration et se força à le regarder

« Elle m’a demandé de prendre soin de son enfant. Et je… j’ai accepté. Je suis désolée j’aurais du t’en parler avant. »

Bill resta un long moment sans rien dire, partagé entre le soulagement de ne pas perdre sa précieuse femme et le dégoût que lui inspirait l’idée de voir un nouveau bébé envahir leur maison. Puis, il parla

« Mais enfin Arabella… Nous n’avons pas les moyens. » Déclara-t-il platement, faute de mieux.

Arabella le fixa, amusée par son brutal sens pratique.

« Laura, enfin ma mère, dit qu’elle nous donnera de quoi l’élever. Il ne sera évidemment pas à notre charge.

- Je ne veux pas que ta mère nous entretienne ! » Glapit Bill terrifié à l’idée de ne plus avoir d’excuses pour fuir la maison et retrouver la mer.

 

Arabella tiqua légèrement devant son air outragé mais choisit de garder ses réflexions pour elle

« Il n’est pas question de ça. Mais elle nous donnera de quoi assurer l’éducation de son enfant. Et crois-moi la connaissant c’est déjà inespéré. » Ne put-elle s’empêcher d’ajouter assez injustement, ignorant délibérément les bourses qu’au fil des années Laura avait pris soin de faire disséminer dans la taverne de son père.

 

Bill prit une profonde inspiration et regarda Arabella. Il savait qu’elle avait beau faire la fière, elle aimait profondément sa mère. Si ça n’avait pas été le cas, elle n’aura plus été Arabella Turner. Il pensa ensuite à sa propre mère, morte il y a de nombreuses années et au bonheur qui aurait été le sien si une femme comme Arabella avait pris soin de lui (non pas qu’il ait eu à se plaindre de sa tante Erin du reste) Son regard épousa un instant celui de sa jolie femme et il ne put retenir un soupir en y lisant son attente impatiente matinée d’angoisse.

« D’accord. Soupira-t-il. Après tout … un ou deux bébés … qu’est-ce que ça change ? » Ajouta-t-il avec une pointe d’amertume

 

L’amertume laissa bien vite la place à la tendresse lorsqu’il vit le visage d’Arabella s’illuminer de soulagement. Sans la moindre retenue, la jeune femme se jeta à son cou et l’embrassa passionnément avant de le regarder avec sérieux

« Merci Billy. Je savais que je pouvais compter sur toi. »

Le jeune homme sourit de plaisir et l’attira fermement contre lui

« Je t’aime Arabella. » Souffla-t-il en l’embrassant à nouveau.

Ses mains parcoururent le corps de sa femme et s’attardèrent avec complaisance sur sa poitrine sensible

« Billy. Soupira Arabella. Ça va être l’heure de la tétée…

- Pour moi aussi c’est l’heure. Rétorqua Bill en glissant ses lèvres sur la peau à demi dénudée de sa femme.

- Monsieur Turner ! S’exclama Arabella un peu choquée

- Il faut que William Junior apprenne à partager non ? » Lui répondit Bill en la soulevant dans ses bras.

Arabella sourit alors qu’il dévorait son cou de petits baisers.

« D’accord... » Murmura-t-elle inutilement tandis que son mari la déposait sur le lit.

 

()()

 

Les semaines suivant la visite de Laura et de Reece s’écoulèrent paisiblement. Arabella avait calmé gentiment mais non moins fermement la curiosité de Mme Mac Drache tandis que Bill s’adonnait à la pêche, les poissons s’avérant particulièrement nombreux dans les eaux qui bordaient leur village. Les jeunes époux Turner vivaient donc un bonheur parfait, Bill se faisant peu à peu à la présence du bébé qui le fixait de ses grands yeux noisette.

 

Tout allait donc pour le mieux lorsqu’Arabella, William dans les bras, se rendit au marché par un beau matin de Mai. Toute à son bonheur de jeune mère et épouse, Arabella finissait ses emplettes en échangeant potins et recettes avec quelques femmes du village lorsqu’une voix incrédule la fit sursauter

« Bella ??? C’est bien toi ? »

 

En un instant, la jeune femme sentit une peur irraisonnée lui tordre l’estomac tandis qu’elle se tournait vers l’homme qui venait de parler

« Fitzy… Répondit-elle par automatisme, notant avec surprise l’uniforme de la Navy que le jeune homme arborait désormais

- Je préfère Fitzwilliam si ça ne te dérange pas. Lui déclara-t-il avec une pointe de colère qu’elle ne comprit pas.

- Et je préfère Arabella si ça ne te dérange pas non plus. » Répondit-elle du tac au tac.

 

Le regard de Fitz la détailla des pieds à la tête avant de s’arrêter brièvement sur William.

« Qui est-ce ? » Demanda fort peu discrètement Emmaline

Fitz l’entendit et son visage se fendit d’un sourire qu’Arabella jugea fort déplaisant

« Pardonnez-moi Madame, je manque à toutes les convenances. Fitzwilliam Norrington, Capitaine recruteur pour l’armée de Sa Majesté. Déclama-t-il d’un ton fat en s’inclinant devant Emmaline qui rougit comme une jeune fille en fleur

- Capitaine Recruteur ??? Releva Arabella sans pouvoir se retenir

- Oh c’est un honneur. Gazouilla Emmaline en poussant franchement la jeune Sarah qui venait d’avoir seize ans devant elle. Sarah dit bonjour au capitaine Norrington. C’est bien Capitaine ?

- Oui c’est ça. Répondit Fitzwilliam en accordant à peine un regard à la jeune fille rousse qui s’inclinait en rougissant. Ça fait longtemps Bella… »

 

Arabella frémit sous le regard inquisiteur de Fitzwilliam et le récit de Jack lui revint brutalement en mémoire. Sur le moment, elle n’avait pas cru le jeune pirate lorsqu’il lui avait assuré que Fitz (qu’il avait toujours détesté cordialement lequel le lui rendait bien) était en fait un espion à la solde de la Navy. Mais maintenant ….

« Tu as un bébé ? » Reprit Fitz en glissant son regard sur le petit Will

Apeurée cette fois, Arabella resserra son étreinte sur Will qui commença à pleurer

« Étonnant cet enfant ne pleure jamais. Commenta Madame Mc Drache d’un ton suspicieux. Seriez-vous nerveuse Arabella ?

- Pour quelle raison le serait-elle ? » Répondit Fitz sans détacher son regard d’Arabella.

Flairant le potin croustillant, Emmaline continua.

« Vous ne nous aviez jamais dit que vous connaissiez autant de beau monde Arabella ! Une relation de votre beau-père peut être ?

- Beau-père ? Releva Fitz

- C’est ça. S’empressa de relever Arabella. Ce fut un plaisir de te revoir Fitzwilliam. » Ajouta-t-elle, espérant ainsi mettre fin à la rencontre

C’était sans compter sur l’instinct de mère/marieuse d’Emmaline qui s’exclama

« Passez donc nous rendre visite Capitaine Norrington, je serais enchantée de vous avoir pour le thé tout comme ma petite Sarah. »

 

Un léger sourire qu’Arabella jugea de nouveau déplaisant flotta sur le visage de Fitzwilliam tandis qu’il répondait avec une politesse surannée

« C’est moi qui me trouve flatté par cette invitation Madame. Bella y sera sans nul doute ? »

Avant qu’Arabella ait eu le temps de trouver un prétexte poli pour se dérober Emmaline s’exclama

« Bien sûr ! Notre chère Arabella est notre plus proche voisine et amie.

- Oh ? Et où habitez-vous donc Madame ? Demanda Fitz avec une nonchalance étudiée

- Que je suis sotte, bien sûr vous l’ignorez ! Nous habitons sur la colline, la maison des Mac Drache, Arabella et son époux vivent un peu plus haut. Déclara la commère.

- Bien sûr son époux… Murmura Fitz d’un ton qui glaça le sang d’Arabella. Et bien vous pouvez compter sur ma présence dès cet après-midi, si toutefois cela ne vous dérange pas. Ajouta-t-il.

- Je ne pensais pas que les hommes de la Navy pouvaient se libérer aussi rapidement. Intervint Arabella. N’as-tu rien de prévu ?

- Cela est vrai pour le commun des soldats. Répondit froidement Fitz. J’ai quant à moi l’honneur de jouir d’une certaine liberté par conséquent je serais présent à cette aimable invitation. Je ne doute pas de t’y rencontrer Arabella… Nous pourrons discuter entre vieux amis … Je me demandais justement ce que devenait ta mère … »

 

Arabella frissonna tandis que l’infatigable Emmaline répondait à sa place

« Bien sûr qu’Arabella sera là, tout comme ma chère Sarah quand à Laura nous avons justement des nouvelles fraiches.

- Vous m’en direz tant. » Ironisa Fitz sans quitter Arabella des yeux.

La jeune femme blêmit et s’accrocha au bras d’Emmaline

« Il se fait tard, William s’agite…

- Oui bien entendu ma chérie… Après tout nous aurons tout notre temps pour bavarder cet après-midi autour d’une bonne tasse de thé. Conclut Emmaline

- Évidemment. Répondit Fitz en s’inclinant

- Bien nous comptons sur vous Capitaine Norrington. Lui rappela Emmaline

- La maison en haut de la colline, je n’y manquerais pas madame. » S’inclina Fitz qui fixait toujours Arabella

 

Muette d’angoisse, Arabella se contenta d’hocher la tête et serra étroitement le petit Will contre elle tandis qu’après un dernier regard Fitz s’éloignait de son allure martiale.

« Quel bel homme ! Commenta Emmaline. D’où vous connaissez vous déjà ?

- Il me semble vous l’avoir dit. C’est une relation de mon beau père. » Répondit Arabella d’un ton hostile en s’empressant vers le chemin de sa maison.

Emmaline, stupéfaite, la fixa

« Mais que faites-vous ? Nous n’avons même encore fait le quart des emplettes prévues !

- Je rentre. William pleure, il est fatigué. » Mentit sans sourciller Arabella qui avait hâte de fuir la présence de Fitz.

 

Médusée, Emmaline la regarda s’engager d’un pas rapide sur le chemin du retour.

« Bien ça alors.. Murmura-t-elle.

- Quoi Mère ? Demanda Sarah à qui les raisonnements maternels échappaient totalement la plupart du temps

- Rien… Je me disais juste que pour une fois le thé risque d’être intéressant Répondit Emmaline, toujours à l’affût des commérages

- Le thé est toujours intéressant. Releva platement Sarah

- Ne soit donc pas stupide, nous sommes entre nous. Le thé n’est pas intéressant. Et tant que j’y suis, je compte sur toi pour paraître à ton avantage cet après midi

- Pourquoi ??? »

Emmaline soupira de lassitude. Pourquoi fallait-il que sa fille soit aussi lente d’esprit ???

« Parce que le capitaine Norrington n’est pas marié

- Et alors ? Et puis comment le savez-vous ? »

Renonçant à expliquer des choses pourtant si simples, Emmaline se tourna vers sa fille

« Contente-toi d’être jolie. Allez viens, on a des emplettes à faire. »

 

()()

 

Tandis que Mme Mac Drache était partagée entre son envie de marier sa fille et sa soif de commérages, Arabella quant à elle connaissait les affres de l’angoisse. Elle qui avait pris à la légère les mises en garde de Jack (il avait toujours eu une nette tendance à l’exagération) commençait à se demander si le jeune homme n’avait pas dit vrai pour une fois…

 

Si c’était le cas, elle était en danger… Et Billy aussi, tout comme Will sans parler de Laura ! Et si sa rencontre avec Fitz n’était pas le fruit du hasard mais un plan soigneusement préparé pour mettre la main sur Laura ? Après tout c’était ainsi que Fitz avait procédé avec Jack…

 

A demi folle d’impuissance, Arabella faisait les cents pas dans la pièce. Prévenir sa mère était impossible, Fitz n’attendait sûrement que cela et puis de toute manière elle ignorait où se trouvait Laura. Mais elle savait quand elle reviendrait… Inquiète la jeune femme fouilla dans sa mémoire pour savoir si elle avait mentionné devant Emmaline la prochaine visite de Laura. Il ne lui semblait pas l’avoir fait mais…

 

Les hurlements soudains de Will la sortirent de ses réflexions et Arabella se précipita vers le berceau, inquiète

« Allez Will c’est rien... » Murmura-t-elle en berçant maladroitement le bébé, son esprit la ramenant à Fitz et à la menace qu’il représentait.

Loin de se calmer et sentant sans nul doute la nervosité de sa mère, Will redoubla ses pleurs et Arabella poussa un gémissement désespéré

« Pas maintenant… S’il te plait Willy pas maintenant, maman a besoin de réfléchir…

- Et bien… faut croire que vous aviez raison et qu’il est réellement malade. Commenta brusquement Mme Mac Drache dans son dos. A quoi avez-vous donc besoin de réfléchir Arabella ? »

 

Partagée entre l’angoisse et la colère, Arabella se retourna d’un bloc vers sa voisine

« Je ne crois pas vous avoir entendu frapper Mme Mac Drache.

- Sans doute parce que le petit hurle. Répondit la commère sans se démonter. Donnez-le-moi. »

Vaincue, Arabella laissa la femme prendre Will qui se calma rapidement, à son grand soulagement

« Voilà… Triompha Emmaline. Un gentil bébé.

- Merci. Murmura Arabella du bout des lèvres

- Pas de quoi, ça serait dommage que vous ne puissiez pas voir votre ami le capitaine parce que Willy se sent mal. » Repartit à la charge Emmaline

 

Arabella se força à contenir la rage qui montait en elle à la réalisation du but réel de la présence de l’autre (dont elle n’avait du reste jamais douté) et répondit

« Je croyais vous l’avoir dit: Fitzwilliam est une connaissance de mon beau père.

- Oui, Mr Reece. Cependant il me semble que vous l’avez tutoyé… Il vous a même appelée «  Bella » je ne me rappelle d’ailleurs pas que quiconque vous ai déjà appelée ainsi en tout cas pas votre mari… » Insinua t ‘elle

Arabella rougit en voyant où l’autre voulait en venir et répondit avec force

« Parce que je n’aime pas qu’on m’appelle ainsi et Billy le sait. Quant à Fitzwilliam nous nous connaissons depuis des années voilà pourquoi nous ne marquons pas les usages

- Oh alors vous le connaissez vraiment bien …

- Je croyais le connaître. Grinça Arabella, les révélations de Jack encore à l’esprit

- Je ne savais pas que votre beau-père avait tellement de relations. » Lâcha Emmaline

 

Arabella se força au calme et se mordit nerveusement la lèvre alors qu’elle s’apprêtait à servir un gros mensonge à sa voisine

« Mme Mac Drache… je, écoutez il m’est pénible de parler de mes parents actuellement… »

Les yeux d’Emmaline s’arrondirent comme des soucoupes

« Pourquoi cela ?

- Ma… Mère désapprouve mon choix de vie et mon époux. Billy et elle se sont disputés lors de sa dernière visite et je crains fort de ne plus jamais avoir de ses nouvelles… Dans ces conditions vous comprendrez qu’il m’est pénible de parler d’eux … ».

 

Emmaline la regarda avec satisfaction

« C’était donc ça …

- Quoi donc ? » Demanda prudemment Arabella

Emmaline, Will toujours calé dans ses bras tendit une main vers Arabella pour l’encourager à s’asseoir

« Oh et bien pour une maman, il n’est pas bien difficile de voir que votre relation avec votre mère est loin d’être bonne. Je l’ai constaté dès que je vous ai vues ensembles. » Commenta-t-elle en se regorgeant

Arabella grinça des dents mais sauta sur l’occasion offerte

« En effet vous avez tout compris Mme Mac Drache. Ma mère est … elle est difficile, il n’y a guère que mon beau père pour la comprendre et… Soupira Arabella en sentant avec étonnement des larmes lui piquer les yeux

- Et elle désapprouve votre union… Compléta Mme Mac Drache. Allons ma petite il aura fallu m’en parler, vous ne pouvez pas garder ça pour vous. Enfin je veux dire votre William est quelqu’un de très bien mais il reste un homme. »

 

Arabella songea avec cynisme que pour rien au monde elle ne ferait la moindre confidence importante à sa voisine et hocha la tête d’un air faussement contrit

« Je ne voulais pas vous ennuyer avec mes soucis, vous avez déjà tellement fort à faire

- Mais au contraire ! A quoi servent les amies sinon à s’entraider ! S’exclama Emmaline

- C’est vrai... Murmura Arabella en essuyant ses larmes. Merci Mme Mac Drache

- Allons plus de ça entre nous... Appelez-moi donc Emmaline. Je vais nous faire une bonne tasse de thé puis vous allez me raconter ce qui se passe avec votre maman. »

 

Arabella, résignée, s’assit tandis que la voisine s’activait autour du feu. La jeune femme mit à profit les quelques minutes que demandait la préparation du thé pour échafauder un mensonge plausible et commença son histoire devant une Emmaline impatiente

« Et bien en vérité… Il n’y a rien que de très banal, nous ne nous sommes jamais entendues

- Et vous ne connaissez pas beaucoup votre mère... Compléta Emmaline avec gentillesse

- En effet... » Murmura tristement Arabella, surprise que cela se voie à ce point

Emmaline soupira tristement à son tour et lui tapota la main

« Allons ce n’est pas difficile de comprendre ce qui vous éloigne de votre mère. Il suffit de la voir pour savoir de quoi il retourne. »

 

Arabella fronça légèrement les sourcils, le cœur battant à l’idée que l’autre ait pu deviner une partie de son secret

« C’est-à-dire ? »

Emmaline rougit

« Et bien j’espère que vous me pardonnerez d’être aussi franche, mais il suffit de voir le maintien de votre mère pour deviner quel genre de vie elle a menée… Je veux dire… je, j’ai compris que votre mère était l’une de ses femmes qui... Enfin... »

Arabella surprise la regarda sans comprendre où elle voulait en venir tandis qu’Emmaline baissait la voix d’un air gêné

« Marchandent leurs faveurs… » Souffla-t-elle

 

Arabella poussa un hoquet d’indignation. Si l’autre avait pu voir comment Laura repoussait les hommes qui lui faisaient des avances du temps où elle travaillait encore à La Fiancée Fidèle elle n’aurait sûrement pas dit cela !! Cependant… Il était plus facile d’avoir une ancienne prostituée pour mère plutôt qu’un capitaine pirate… Et ça flatterait l’ego d’Emmaline d‘avoir pensé juste …

« Vous avez deviné. » Souffla-t-elle du bout des lèvres.

Emmaline hocha la tête d’un air entendu et reprit à voix basse ce qu’Arabella jugea totalement ridicule attendu qu’hormisWill elles étaient seules dans la pièce

« Et bien sûr Mr Reece et elle ne sont pas réellement mariés n’est-ce pas ? Il.. Disons qu’il l’entretient.. Après tout quoi de plus naturel pour un homme d’affaires sans cesse sur les mers. »

Arabella serra les dents et maîtrisa sa colère devant l’insulte involontaire puis répondit avec une pointe de cynisme que l’autre ne perçut pas

- On ne peut rien vous cacher.

 

Emmaline lui tapota une nouvelle fois la main

« Et bien sûr c’est pour ça que vous étiez si gênée devant le Capitaine Norrington… Mais il ne faut pas l’être ma chère, vous n’avez pas à payer les erreurs de votre mère.

- C’est juste que … que j’aimerais éviter le sujet de, de ma mère devant lui. » Bafouilla Arabella brusquement ramenée à son souci immédiat

Emmaline hocha la tête avec compassion avant de la fixer d’un air horrifié

« Dites-moi… votre mère… vous.. Elle ne vous a pas forcée à… disons emprunter sa voie avec le Capitaine Norrington n’est-ce pas ? »

Outrée par le sous-entendu, Arabella retira sa main d’un geste brusque

« Grand Dieu non !!! »

 

Emmaline leva les mains en signe d’apaisement et reprit

« Allons calmez-vous… Bien sûr je n’ai jamais pensé que vous puissiez être ce genre de femme. »

Trop aimable. Songea Arabella, furieuse

« Votre mari l’a découvert n’est-ce pas ? C’est pour ça que vous vous êtes disputés avec votre mère et son… Disons le Capitaine Reece

- Oui oui c’est ça. Répondit Arabella avec agacement, se retenant de dire ses quatre vérités à l’autre

- Mon dieu ma pauvre chérie, ça a du être terrible … Et ça explique pourquoi votre Bill est si souvent sur le port. Soupira Emmaline. J’espère qu’il ne vous tient pas rigueur des péchés de votre mère. »

Le cœur serré, Arabella songea à ce que l’autre avait dit sur Billy et répondit machinalement

« Non il ne m’en veut pas. »

L’air de doute qu’Emmaline s’efforça maladroitement de lui cacher redoubla ses craintes sur son mari mais elle n’eut pas le temps de s’y attarder, l’autre reprenant :

«  J’imagine que ça a du être une scène terrible..

- Terrible en effet. Répondit mollement Arabella. Des cris… Je crois que ma mère ne reviendra jamais… Alors, si nous pouvions éviter le sujet à l’avenir … Je vous en serais reconnaissante. »

 

Sa curiosité à présent totalement assouvie et ressentant une compassion réelle pour Arabella dont elle s’était prise d’affection, Emmaline accepta de bonne grâce.

« Je ne trahirais pas votre secret. Ne vous inquiétez pas. »

Arabella eut une moue désabusée en se demandant en combien de temps la nouvelle que sa mère était une prostituée mettrait pour faire le tour du village et fit la réponse que l’on attendait d’elle

« Merci beaucoup… Emmaline. De votre gentillesse et de votre discrétion. » Ne put-elle s’empêcher d’ajouter.

La commère rougit légèrement au dernier mot puis se leva en lissant sa robe d’une main

« Je vous rends le petit Will. Ce cher ange s’est endormi. Et ne vous inquiétez pas pour cet après-midi, nous parlerons d’autre chose avec le Capitaine Norrington

- Merci. » Lâcha Arabella du bout des lèvres, sûre du contraire.

 

Emmaline sourit et se dirigea vers la porte au grand soulagement de la jeune femme avant de se retourner

« Je vous attends pour trois heures Arabella, vous pourrez coucher Will avec ma Penny si vous le souhaitez. »

La gorge sèche; Arabella se força à sourire

« Bien… Merci. A tout à l’heure. »

Emmaline sortit enfin et Arabella poussa un soupir de soulagement avant de laisser à nouveau l’angoisse s’emparer d’elle. Mentir à Emmaline était facile… Mais Fitz était d’une autre trempe… Sans compter qu’une parole maladroite risquait de la trahir doublement… Et elle doutait qu’Emmaline prenne bien le fait d’avoir été prise pour une imbécile.

« Ne t’en fait pas Willy... Tout ira bien. » Murmura Arabella à son fils plus pour elle-même que pour lui.

 


Chapitre 3                                                                                                         Chapitre 5


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