Chapitre 2 : La légende d'Elizabeth et un abordage


Cela faisait à présent un mois que Liam avait pris la mer et malgré la brutale constatation que cette vie était beaucoup plus difficile que ce qu’il avait pu imaginer à travers les récits de sa mère il n’aurait laissé sa place pour rien au monde. Il s’était finalement fait un ami d’Arvil qui s’était fait un plaisir de lui apprendre toutes les tâches que devait maîtriser un marin de la Compagnie des Indes. Ses relations avec les autres membres d’équipage étaient bonnes ou tout du moins sans problèmes et Liam aurait pu être parfaitement heureux si Barto l’avait laissé en paix et s’il avait réussi à trouver le moyen de réaliser son ambition la mieux cachée: rejoindre un équipage de pirate et trouver Jack Sparrow. En effet, contrairement à la plupart de ses compagnons, Arvil y compris, Liam espérait que leur navire serait abordé, persuadé qu’en se prévalant du nom de sa mère, il réussirait sans peine à s’intégrer parmi les pirates et connaîtrait ainsi sa part d’aventures.

 

Le voyant le nez au vent en train de rêvasser, Barto s’approcha silencieusement de lui et lui décocha un coup vicieux dans les côtes qui manqua de le faire basculer par-dessus bord.

« Alors on tient pas le coup Turner ? »

Liam rougit et baissa la tête. Il attendait avec une impatience de plus en plus grandissante le moment où il pourrait enfin rabattre le caquet du second qui semblait l’avoir pris en grippe depuis sa bévue du premier jour.

« Non Monsieur Barto. Répondit-il docilement, vouant l’homme aux feux de l’enfer et se répandant mentalement en imprécations qui auraient fait rire sa mère et rougir son père.

- Alors tu prends le nid de poule avec Arvil… Par ce temps vous serez pas trop de deux. »Déclara Barto avec inquiétude en regardant les nuages se former à l’horizon.

 

Liam hocha la tête et entreprit l’ascension vers le plus haut point du bateau qu’il avait cru ne jamais pouvoir effectuer et qui faisait désormais partie de son quotidien. Avec un signe de tête, il salua Arvil et prit place à ses côtés.

« Pourquoi faut-il que nous soyons deux au juste ? »

Arvil lui fit un sourire édenté, souvenir d’une nuit trop arrosée dans une taverne et prit une gorgée de rhum avant de tendre sa flasque à Liam.

« Bah y ‘a plusieurs raisons … Tu veux toutes les connaître ou pas ?

- J’aimerais bien. Répondit Liam, dévoré par la curiosité et sentant le parfum des histoires de son enfance lui chatouiller les narines.

- Tu m’en diras tant … Bah la première c’est que Barto y peut pas te voir… »

Liam grimaça et hocha la tête en signe de compréhension, il aurait fallu être aveugle pour ne pas se rendre compte de l’animosité du second à son égard.

« Et pour ça mon gars y ‘a pas de raison. La seconde est que le capitaine redoute que cette engeance démoniaque nous tombe dessus. »

 

Liam le dévisagea l’œil rond et imagina des équipages maudits comme ceux de Barbossa ou de Jones dont sa mère lui avait parlé.

« Quels démons ?

- Enfin petit ! Les pirates ! Ceux de ce maudit Black Pearl par exemple…

- Le Black Pearl ! » Ne put s’empêcher de s’exclamer Liam.

Son cœur battit plus vite à la pensée du navire sur lequel ses parents avaient vécu tant d’aventures et où ils s’étaient mariés.

« Ouais le Pearl… Et puis y’a l’endroit aussi …

- L’endroit ? »

 

Arvil lui lança un regard malicieux, sentant qu’il avait une fois de plus attisé la curiosité du jeune Liam.

« Ouais l’endroit. J’m’en souviens bien pasque j’y étais… »

Liam attendit, suspendu aux lèvres de son ami.

« Tu vois petit c’est dans cette passe précise que la Compagnie a connu sa défaite la plus écrasante. Mais c’était bien avant ta naissance ou p’tete pas. J’y étais … »

Liam, de plus en plus intéressé, se rapprocha.

« Raconte. » Implora-t-il presque, comme lorsqu’il demandait à sa mère de lui parler des pirates.

 

Arvil sourit et entama son récit.

« C’était y’a longtemps, à l’époque où ces fils de chiens espéraient encore pouvoir dominer notre monde, à c’t’époque, les pirates vomis par l’enfer avaient décidés de pas plier. Sauf que not’ chef à nous, y voulait pas les laisser faire. Toute une armada qu’y avait et en face une poignée de ces misérables. Dit Arvil en crachant vers le pont. Et ben tu me croiras pas mais y nous ont battus quand même. Y’a eu une grosse tempête, un maelstrom … T’as déjà vu un maelstrom petit ? »

Liam secoua la tête, fasciné à mesure qu’il lui semblait reconnaître l’histoire. C’était celle de ses parents, celle de sa mère et celle où son père était techniquement mort une première fois. Sans se rendre compte de son trouble, Arvil continua, ravi de trouver un si bon public.

«  J’te l’souhaite pas. Parait qu’ c’est la sorcière des envoyés de Satan qui l’a déclenché. Pasque vois tu en c’temps là y z’avaient une reine, les pirates. Vomie par l’enfer qu’elle était. Déjà mettre une femme à bord c’est d’l’inconscience mais une comme celle-là c’est pire ! »

 

Liam frissonna brièvement en réalisant que la sorcière en question ne pouvait être que sa mère et se retint de balancer son poing dans la figure de l’homme qui l’insultait ainsi.

« Bref. Not’ chef, Lord Beckett, un saint homme. Précisa Arvil en signant rapidement tandis que Liam, écœuré, songeait que le saint homme n’était ni plus ni moins que l’assassin de son grand père.

- Donc Lord Beckett, il avait trouvé le moyen de commander le démon. Continua Arvil. Ah bien sûr encore un truc que tu sais pas… »

Liam hocha à nouveau la tête et songea que l’autre ne pouvait pas s’imaginer à quel point au contraire il savait….

« Tu vois, à c’t’époque, y’avait un navire maudit. Expliqua Arvil en roulant des yeux. A son bord un équipage que même l’enfer redoutait, des hommes poissons. »

Liam sourit brièvement en se rappelant cette partie de l’histoire qui lui avait fait si peur lorsqu’il était enfant. Prenant son sourire pour une mise en doute, Arvil s’insurgea sur le champ.

« C’est vrai ! Le Hollandais Volant qu’y s’appelait ! Commandé par un homme à la tête de pieuvre, Davy Jones, le cauchemar de tous les marins. Et ben Lord Beckett il était tellement fort qu’y l’a obligé à lui obéir. Et il a fait tuer le Kraken aussi ! On t’a déjà parlé du Kraken petit ? »

Liam sourit et répondit par la négative, curieux de connaître la version de son ami. Bien sur sa mère lui avait parlé du Kraken et du courage de Jack Sparrow qui n’avait pas hésité à se sacrifier lorsqu’ils furent face à la bête pour laisser à ses amis une chance de survivre, contre la promesse de venir le sauver toutefois.

 

Arvil, le regard enflammé, continua et les deux amis négligèrent totalement de surveiller l’horizon ainsi qu’on leur en avait confié la responsabilité.

« Le Kraken était une bête énorme, vomie par l’enfer qui coulait tous les navires et dévorait ses hommes sans espoir de retour ! » Déclara Arvil en roulant des yeux.

Liam ne souffla mot et sourit à la pensée que selon son ami l’enfer avait dû vomir beaucoup de choses… à commencer par sa mère. A cette pensée, son sourire s’effaça et il reprit son sérieux, écoutant Arvil.

«  Donc Lord Beckett. Reprit Arvil avec un air de pure adoration qui pinça le cœur de Liam. Il a ordonné à Jones d’attaquer les pirates et de tuer ces chiens. Il a pris son bateau et il est parti seul dans le maelstrom contre la catin des pirates.

- Je croyais qu’il était aidé par le Hollandais Volant. Objecta Liam qui appréciait peu d’entendre sa mère se faire insulter à tout bout de champ.

- Oui sauf que les pirates ont tués Jones !!! Et ils ont mis un des leurs à sa place. »

Liam hoqueta brutalement alors que son père intervenait dans l’histoire.

« Un pauve gars, comme toi et moi. D’ailleurs il avait l’même nom qu‘toi. Will Turner qu’y s’appelait, un bon à rien voué à la corde comme les autes. »

 

Liam grimaça et répondit d’un ton qui se voulait neutre.

« On est beaucoup à s’appeler Turner … Alors ce Will qui était-il ?

- Bah le fiancé de la sorcière, Elizabeth qu’elle s’appelait, jolie fille, enfant unique du Gouverneur Swann. Le pauve homme est mort de chagrin de voir ce qu’elle était devenue. »

Liam prit une grande respiration et se retint de dire à l’autre qu’en fait c’était plus sûrement le bras de son cher Lord Beckett que le chagrin qui avait tué le bon Gouverneur.

« Donc ils ont tué Jones et il a pris sa place. Et là … Commença Arvil avant de s’interrompre, le regard perdu dans le vague.

- Là ? » L’interrogea Liam plus par réflexe que par réelle envie de savoir.

 

Le regard d’Arvil se voila alors qu’il lui répondait.

« Ça été terrible. Lord Beckett est parti tout seul à l’assaut avec le courage qui était toujours le sien. Seulement, au moment où on croyait tenir ces chiens galeux, le Hollandais Volant a été vomi par l’océan, Turner à la barre. Et lui et le Black Pearl , le bateau de la sorcière, y z ‘ont pris le note en tenaille. »

Liam sursauta brièvement, surpris d’apprendre que son ami s’était trouvé sur l’Endaviour.

« Et ils ont fait voler le bateau en éclats… » Murmura Arvil d’un ton douloureux.

Liam baissa la tête, à la fois agacé et gêné par le chagrin de son ami.

« Lord Beckett, il est resté grand jusqu’au bout. Pendant que tous on fuyait comme des lâches qu’on était, il est resté seul sur le bateau à regarder ces suppôts de Satan le tuer. J’oublierais jamais c’moment là, petit. C’est là qu’on r’connaît les vrais héros et Lord Beckett en était un. Affirma Arvil vigoureusement en se signant à nouveau en souvenir du défunt. Il est avec les braves et les justes à présent. »

 

Liam serra les poings avant de relever la tête et s’efforça de donner le change.

« Et les pirates que sont-ils devenus ? » Ne put-il s’empêcher de demander.

Arvil haussa les épaules, visiblement contrarié par le manque d’enthousiasme de Liam envers son héros.

«  Le Hollandais Volant a disparu quant à la garce on l’a jamais retrouvée, pas plus que Sparrow ou ce chien de Barbossa, certains disent que l’enfer les a rappelés, d’autres que le Pearl erre toujours sur les mers, à la recherche d’honnêtes gens à massacrer. »

Liam sourit légèrement à cette réponse.

« J’espère bien qu’y sont morts, comme notre bon Lord. » Compléta Arvil.

 

Toute joie envolée, Liam se détourna, le cœur serré à la pensée que sa mère était bel et bien morte tout comme son père. C’est alors qu’il le vit, en même temps qu’Arvil. Sauf que Liam ne savait pas encore ce que c’était. Arvil poussa un juron à faire rougir toutes les catins de Tortuga et agita frénétiquement la cloche pour donner l’alerte avant de se signer. Liam plissa les yeux et faillit sourire en reconnaissant le pavillon arboré par le navire qui venait d’apparaître dans la brume. Le Jolly Roger. L’emblème des pirates.

 

Loin de partager son exaltation, Arvil se signa rapidement, cette fois pour lui-même.

« Le Black Pearl… Siffla-t-il entre ses dents. La pire plaie de ce monde et faut qu’ça tombe sur nous. »

Cette fois Liam se rua contre la barrière et manqua de s’écraser trois mètres plus bas sans la vigilance de son ami.

« Tu l’verras bien d’assez près petit… » Lui annonça Arvil d’un ton sinistre.

Liam ne l’écoutait déjà plus, sans attendre un ordre quelconque il se mit en devoir de descendre de son perchoir, pressé de retrouver ceux qu’il cherchait depuis qu’il avait pris la mer. Les pirates.

 

Quelques minutes plus tard, le navire de Liam était le théâtre d ‘une bagarre féroce, les uns se battaient pour sauver leur vie, les autres pour revendiquer leur existence dans un monde qui les rejetait. Entre les deux, Liam se rejeta pour éviter de combattre ceux auprès de qui il désirait si ardemment vivre. Son regard aiguisé surprit Barto sur le point de tuer un pirate et, sans réfléchir, Liam ramassa une épée et la plongea dans le corps de celui qui l’avait tellement brimé depuis son arrivée sur le navire. Il n’eut pas le temps de réaliser qu’il venait de tuer pour la première fois et par son geste, de choisir un camp que déjà les amis d’hier devenaient les ennemis d’aujourd’hui. Liam comme dans un rêve leva son épée et commença à combattre ceux qui avaient été ses compagnons durant les dernières semaines.

 

L’abordage, sanglant, dura longtemps, Liam rencontrait les regards effarés de ses anciens compagnons alors qu’imitant les pirates et mettant en pratique les leçons d’escrime de sa mère il plongeait sa lame rougie dans leurs corps. Finalement, il ne resta plus qu’une poignée de survivants lorsque l’ordre de reddition fut gargouillé par son capitaine étendu dans une mare de sang. Effaré, Liam regarda autour de lui. Il ne rencontra que les regards étonnés des pirates et la mine déçue de son ami Arvil.

« Sale pirate. » Grogna ce dernier à son adresse alors qu’un homme lui plongeait sans sourciller son épée dans le corps et le tuait net.

 

Brusquement honteux, Liam laissa tomber son épée sur le pont rougi et baissa la tête, retenant ses larmes. Rien ne l’avait préparé à ça. Pas même les récits les plus détaillés d’Elizabeth, car cette fois ce n’était plus une histoire glorieuse qu’on lui racontait mais un désastre, une boucherie à laquelle il avait participé. Le jeune homme ne réagit pas alors qu’une main crasseuse lui cognait dans le dos.

« Bien petit, on dirait que t’as su bien choisir contrairement aux autres. Tu viens avec nous, le capitaine voudra sûrement te voir. »

Liam se laissa entraîner sans broncher et son regard se leva avec inquiétude vers la silhouette altière du Capitaine du Black Pearl, qui, à la proue de son navire, semblait l’attendre…


Chapitre 1                                                                                                         Chapitre 3


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