Chapitre 53 : Un adieu


A bord du Black Pearl, une main sur le gouvernail et l'autre tenant son précieux compas, Jack Sparrow fixait l'horizon d'un air décidé, menant son navire à sa destination. Pour la première fois depuis des mois, Jack acceptait enfin ses désirs et le compas fonctionnait parfaitement. Gibbs, un peu embarrassé, s'approcha de son capitaine.

« Jack... nous avons trouvé un navire, là droit devant.

- Très bien dans ce cas abordez le et renvoyez l'équipage. » Commenta Jack en souriant mais le cœur battant.

Le moment qu'il attendait et redoutait tout à la fois était enfin arrivé.

« Oui, mais Jack quel est ton plan au juste ? Pourquoi tiens-tu tant à t'emparer d'un navire puisque tu as déjà le Pearl ! S'exclama Gibbs.

- Parce que j'ai besoin d'un autre bâtiment pour mener mon projet à bien. » Se contenta de répondre Jack avec un sourire.

 

Voyant qu'une fois de plus, Jack n'en dirait pas davantage, Gibbs s'empressa de se joindre aux autres pirates et de mettre à sac le navire hollandais. Jack, toujours sur le pont du Black Pearl ne prit pas part à l'assaut, préférant caresser rêveusement le bois du navire. Il alla jusqu'à la figure de proue qu'il contempla longuement. Il était tellement perdu dans ses pensées qu'il n'entendit pas les cris de victoire de ses hommes tandis qu'ils pillaient le navire. Un discret toussotement l'arracha à ses pensées.

«  Jack le navire est à toi. » Lui annonça Gibbs.

Jack frissonna légèrement en l'entendant, il se retourna avec un soupir et regarda son second avec plus de sérieux qu'il ne l'avait jamais fait.

«  Parfait... dans ce cas Gibbs, le moment est venu pour nous de nous séparer. »

Gibbs lui renvoya un regard d'incompréhension totale, pourquoi Jack le renvoyait il ?

 

Avant qu'il ait le temps de poser la question qui lui brulait les lèvres, Jack reprit la parole.

«  Tu as été un bon second Gibbs, le meilleur que j'ai eu, dit-il en souriant largement. C'est pourquoi je te confie le Pearl.

- Le Pearl ? Mais Jack pourquoi et que comptes tu faire ? Et pour combien de temps ? »

Jack ne put s'empêcher de sourire en comprenant les questions qui se bousculaient dans la tête de Gibbs, le regard de ce dernier étant assez éloquent. Il reprit donc ses explications.

« Je te confie le Pearl parce que comme je te l'ai dit tu es un bon second et tu ne m'as jamais trompé. Ce que je compte faire ne concerne aucun d'entre vous quant au temps que ça me prendra et bien il se peut que je ne revienne jamais sur le Black Pearl.

- Jack ! S'exclama Gibbs que le sérieux de son capitaine étonnait. Voyons tu sais bien qu'on ne te laissera pas.

- Je ne suis pas sûr de revenir cette fois.

- Enfin Jack et le Black Pearl ! »

Jack eut un sourire à la fois empli de tristesse et de détermination.

«  Je sais que tu en prendras soin mon ami... à présent je dois embarquer, seul. »

 

Gibbs vit la volonté inébranlable sous-jacente dans les propos de son capitaine et s'inclina.

«  Nous t'attendrons Jack.

- Gibbs, mon ami, ne m'attendez pas trop longtemps. Et je vais te demander autre chose.

- Tout ce que tu voudras Jack...Lui répondit-il, les larmes aux yeux, sentant que l'instant des adieux approchait.

- Lorsque je serais sur ce navire, dit-il en désignant le bâtiment dont ses hommes venaient de se rendre maitres avec une grimace de dégout. Pointe les canons du Pearl dessus et tire de manière à ce qu'il donne sérieusement du gite mais pas trop quand même ... Précisa-t-il avec une grimace.

- Tu veux que je coule ce navire alors que tu es à son bord ! S'exclama Gibbs incrédule. Hors de question Jack !

- Non je ne veux pas le couler je veux juste qu'il soit suffisamment abîmé pour paraître en perdition... » Lui répondit Jack avec un sourire rusé.

 

Gibbs secoua la tête, décidément il ne comprenait pas ce que Jack voulait, il le toisa un instant et se demanda s'il était possible que son capitaine fut devenu fou. Jack intercepta ce regard et l'interpréta avec justesse.

«  Gibbs, crois moi je sais ce que fais, je n'ai jamais été aussi sûr de moi. Affirma Jack avec un petit sourire amer

- Mais Jack si tu me disais quel est notre plan, peut être que je...

- Pas cette fois Gibbs, lui répondit-il. Je dois être seul, rien de ce que tu feras ne pourra m'aider. Contentes toi d'exécuter mes ordres. Une fois que tu auras vidé les canons du Pearl sur ce bateau, éloigne-toi d'ici le plus rapidement possible.

- Quoi ? Non Jack tu ne peux pas me demander ça, je ne te laisserais pas sombrer sans rien faire !

- Tu ne comprends pas ! Il est nécessaire que le Pearl ne soit pas visible ! Si tu restes... tout ce que j'aurais fait jusqu'à présent n'aura servi à rien ! » Cria Jack avec une pointe de désespoir.

 

Gibbs l'entendit et ouvrit des yeux tout ronds, c'était la première fois qu'il entendait une telle chose dans la voix de son capitaine. Prêt à rendre les armes, il tenta malgré tout d'obtenir une nouvelle explication.

«  Je le ferais Jack si c'est ce que tu veux, je le ferais mais j'aurais aimé savoir pourquoi, ce que tu cherches.

- Un trésor Gibbs, rien de plus qu'un trésor, le plus précieux de tous. » Répondit Jack rêveusement.

 

Après cela les deux hommes qui avaient vécu tant d'aventures ensembles se regardèrent longuement sans rien dire. Chacun d'entre eux sentait avec une douloureuse acuité que c'était peut-être la dernière fois qu'ils se rencontraient. Jack fit à Gibbs un grand sourire ironique avant de s'avancer sur le pont de son navire. Il contempla tous les hommes qui étaient rassemblés, ses hommes, puis embrassa d'un dernier regard le Black Pearl, laissant sa main caresser négligemment le bois du navire comme pour l'emporter avec lui. Jack saisit un cordage sans hésitation et se tourna vers ses hommes, à qui il fit une petite courbette.

« Messieurs, souvenez-vous toujours que vous avez navigué sous les ordres du Capitaine Jack Sparrow ! » leur déclara-t-il avec son emphase coutumière avant d'atterrir souplement sur l'autre navire.

 

Gibbs ne put s'empêcher de sourire, même dans un moment pareil, Jack ne perdait pas de son panache. Alors, lentement, il ôta son chapeau pour rendre hommage à celui qu'il n'était pas sûr de revoir un jour bientôt imité par le reste de l'équipage qui comprit intuitivement que l'heure était grave. Sur l'autre navire, Jack les vit faire, un sourire imperturbable sur son visage, secrètement ravi du geste de ses marins, il fit un léger signe de la main à Gibbs pour l'engager à obéir aux derniers ordres qu'il lui avait donné. Gibbs hocha silencieusement la tête vers son capitaine et prit la parole d'une voix forte.

« Aux canons ! Faites feu sur ce navire ! » Ordonna-t-il en désignant le bâtiment.

Les hommes s'entre regardèrent, ne sachant pas s'ils devaient obéir ...

« C'est votre capitaine qui vous l'ordonne ! Jack veut que vous canardiez ce navire et si vous ne le faites pas c'est moi qui m'en chargerais ! »

 

Alors, l'équipage se mit en branle et abima sérieusement le navire sur lequel se trouvait leur capitaine mais pas trop tout de même. Ensuite Gibbs, la mort dans l'âme, mais se conformant à la volonté de Jack donna l'ordre de faire voile vers Tortuga, sachant que ce serait le premier endroit où Jack les chercherait quand il reviendrait, si il réapparaissait.

 

Jack, les regarda s'éloigner et fixa le Black Pearl pour mieux le graver dans sa mémoire, jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'une tache sombre à l'horizon. Ensuite, il s'allongea sur le pont il rabattit son tricorne sur la tête et observa les étoiles, un vague sourire aux lèvres. Il ne lui restait plus qu'à attendre. et à espérer qu'il ne s'était pas trompé.

 

()()

 

A bord du Hollandais Volant, Elizabeth restait prostrée dans un coin de la cabine de William. Depuis la libération de Norrington et la nuit qui avait suivi, la jeune femme n'avait plus prononcé une parole. Bill, la regardait furtivement d'un air navré, il lui semblait que chaque jour elle s'éloignait un peu plus du monde des vivants. Il n'avait pas tout à fait tort. La culpabilité et le remords rongeaient Elizabeth et venaient s'ajouter au vide immense que la mort de Jack avait laissé dans son existence. Le marché qu'elle avait passé avec William avait brisé ses dernières résistances. L'unique nuit qu'ils avaient passée ensemble avait été pour elle un cauchemar. Will s'était contenté de prendre son dû, comme il disait, avant de la rejeter comme une vulgaire catin pour mieux la reprendre ensuite en arguant du fait la nuit n'était pas finie. A ce souvenir, Elizabeth sentit à nouveau ses yeux s'emplir de larmes, elle avait payé très cher la liberté de James. A l'issue de cette nuit elle avait réalisé l'étendue de sa solitude sans Jack, l'importance qu'il avait pour elle et la force des sentiments qu’elle lui portait encore, malgré tout, malgré ses mensonges, malgré sa trahison... Elle s'était jurée de ne jamais oublier son amour perdu et ne plus jamais laisser Will la toucher. Cette nuit passée avec Will, lui fait découvrir un abime de cruauté qu'elle n'aurait jamais soupçonné chez lui et dont elle ne parvenait pas à se sentir entièrement responsable.

 

De son côté, Will frappait les touches de son orgue de notes rageuses. La nuit qu'il avait passée avec Elizabeth ne lui avait pas apporté la paix de l'esprit qu'il désirait tant. Il avait cru qu'en assouvissant le désir physique qu'il avait de la jeune femme il cesserait d'être obsédé par elle mais en vérité c'était pire qu'avant. Cette nuit, alors qu'il pensait enfin la posséder corps et âme, il s'était rendu compte que ça n'était pas le cas et que là, alors qu'elle était avec lui, elle pensait encore à l'autre, à Sparrow. Lorsqu'il s'en était aperçu, cela avait failli le rendre fou, pour se venger il l'avait traitée comme il l'avait fait avec l'autre femme à Tortuga. Depuis cette nuit, Elizabeth ne lui avait plus parlé et restait sans cesse dans ses pensées, présente certes physiquement dans sa cabine mais son âme absente. Et Will malgré son absence de cœur souffrait de cette situation, c'est pourquoi il se réfugiait entièrement dans la musique, qui lui permettait de retrouver une certaine paix éphémère.

 

Bill le Bottier ne savait plus que faire, il se rendait compte que son fils faisait lui-même son propre malheur. Chaque jour il voyait Will s'enfoncer un peu plus dans son rôle de capitaine sans cœur, tandis qu'Elizabeth restait murée dans son chagrin. Pourtant lorsque Will avait rendu sa liberté à Norrington, il avait cru que les choses allaient s'arranger. Mais lorsque le lendemain matin il avait vu le visage d'Elizabeth et l’abîme qui constituait à présent son regard, il avait bien dû admettre que la cruauté de son fils n'allait qu'en grandissant. Pour la centième fois depuis cette épisode, Bill envoya une prière au vieux Neptune pour que celui-ci lui envoie une chose qui rendrait la raison à Will puisque ni lui, ni Elizabeth n'y étaient parvenus jusqu'à présent. Will était perverti à son tour par le commandement du Hollandais Volant comme Jones l'avait été avant lui et rien ne semblait pouvoir sauver son âme.

 

Maccus fit irruption dans la cabine de son capitaine, faisant sursauter les trois personnes qui s'y trouvaient. Il s’inclina avec respect devant son nouveau capitaine.

«  Capitaine Turner, nos hommes ont perçu l'appel d'un navire en perdition.

- Quel type de bateau ? Interrogea Will, méfiant.

- Marchand et hollandais capitaine ! »

Will eut un sourire féroce.

« Très bien, allez me chercher ces nouvelles âmes, nous avons besoin de sang neuf.

- A vos ordres... Déclara Maccus, l'air soumis.

 

Suivant les directives de Will, le Hollandais Volant refit surface dans une gerbe d'eau salée, tandis que sur le navire en perdition un homme arborait un sourire satisfait.


Chapitre 52                                                                                                  Chapitre 54


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