Chapitre 1 : Une bague


Jack abandonna le fragile esquif à la barre duquel il avait quitté Tortuga d'un air dubitatif. Le compas l'avait mené vers une grotte qui n'apparaissait pas sur les cartes de Feng et le pirate soupira en songeant que ses désirs devaient encore lui jouer des tours. Il s'enfonça dans la cavité, non sans réticence, et laissa le compas le guider dans cet endroit à la fois inconnu et étrangement familier, comme un souvenir venu de très loin.

 

Jack grimaça alors qu’il pataugeait dans l'eau boueuse et s'enfonça dans la caverne jusqu'à parvenir à une niche naturelle de laquelle il exhuma un coffret dont le bois avait été partiellement rongé par le temps et l'humidité. Il sourit, persuadé d'avoir trouvé un indice qui le mènerait à la vie éternelle et posa sa lampe à huile sur un rocher. Ses doigts frémirent d'impatience tandis qu'il ouvrait le coffre.

 

« Bugger ! » S'exclama-t-il avec consternation en découvrant que ce dernier ne contenait qu'une bague visiblement très ancienne, recouverte de vert-de-gris, glissée sur une chaîne argentée dans le même état. L'anneau était simple et à son centre se rejoignaient deux visages face à face dont l'usure avait gommé les traits.

Jack soupira avant de s'asseoir. Il ne comprenait pas comment le compas avait pu croire qu'il désirait un objet pareil.

 

Il avait trouvé la bague dans un port italien à l'occasion d'une de ses escales. Dès qu'il l'avait vue, il avait pensé à la femme qu'il avait rencontrée quelques semaines auparavant et qui déjà hantait ses pensées. Il avait su dès le premier regard que Calypso n'était pas une femme comme les autres. Elle lui avait rapidement dévoilé sa véritable identité et lui avait prouvé avec éclat l'étendue de son pouvoir. Dans ses bras, il s'était senti fragile avant de comprendre que Calypso partageait sa force avec lui.

 

Il avait déserté son poste pour la suivre dans ses errances en mer, la bague au fond de la poche, cherchant le bon moment pour lui donner son cœur. Mais ce moment n'était jamais venu. Un soir, Calypso lui avait dit avec du chagrin dans la voix qu'elle ne voulait pas le perdre, qu'elle ne voulait pas qu'il la quitte, jamais. Alors seulement il avait réalisé qu'ils étaient différents. Elle était une déesse, une immortelle, tandis qu'il allait vieillir, puis mourir… Qu'avait-il donc à lui offrir ?

 

Et puis elle lui avait parlé d'une solution, d'un moyen pour eux de rester ensemble, éternellement. Calypso lui avait parlé de la mer, des âmes, du Hollandais Volant. Dix ans de sacrifice, dix ans sans se voir, et en échange la promesse d'une éternité l'un avec l'autre. Bien sûr il resterait enchaîné au navire, mais une fois tous les dix ans, ils seraient réunis pour un jour et cela jusqu'à la fin des temps.

 

Pour l'amour de ses grands yeux sombres qui lui semblaient emplis de promesse, il avait accepté la charge qu'elle lui avait proposée. Dix années de service contre l'immortalité et la promesse de la retrouver pour un jour jusqu'à la fin des temps. Il n'avait pas hésité, elle en valait le prix.

 

Jack se passa la main devant les yeux, un peu hébété. Il était assis dans l'eau croupissante et serrait dans sa main la bague qu'il venait de trouver. Il regarda un moment autour de lui, cherchant à se rappeler de l'endroit où il était avant de soupirer de déception. Il n'avait pas trouvé la Fontaine de Jouvence ou le chemin menant à celle-ci mais une vieille bague. Il se releva avec lourdeur, pris d'une soudaine douleur à la jambe et commença à rebrousser le chemin. Tout en marchant, il glissa machinalement la chaîne à son cou et arbora un sourire lointain en sentant le métal froid à l'emplacement de son cœur.

 

Dix années. Dix ans durant lesquels il avait guidé les âmes jusqu'à leur ultime repos et travaillé sans relâche avec pour seule consolation le souvenir de l'étreinte humide de Calypso, de ses lèvres douces sous les siennes, de son corps se ployant sous l'effet du plaisir… Il avait gardé la bague tout ce temps, attendant le jour de leurs retrouvailles pour lui offrir enfin. Là,  seulement, il serait digne d'aimer une déesse, immortel à son tour, il pourrait lui donner son cœur, son âme et son espoir.

 

Ce jour-là, il avait mis pied sur une île où trônait une église. L'endroit était désert car la peste avait emmené depuis longtemps les quelques habitants dans l'au-delà … Mais il n'était pas superstitieux et il avait débarqué puis cherché de son regard délavé par l'océan la silhouette de son unique amour.

 

Il avait passé la journée à l'attendre mais elle n'était jamais venue. Alors, en voyant le soleil commencer à se coucher il avait senti son cœur se briser en mille morceaux. A l'horizon, la silhouette fantomatique du Hollandais Volant l'attendait, avec à son bord son cortège d'âmes attendant à être guidées. Pour l'éternité. Une éternité de souffrance, à se rappeler d'elle, à remâcher sa trahison, à devoir vivre une existence qui n'en était plus une sans elle. Quelle importance avaient les joies quotidiennes au regard de l'absence de Calypso ? Il ne voulait plus souffrir, pas plus qu'il ne voulait rester esclave de la tâche à laquelle elle l'avait condamné. Alors il avait pris un couteau et sans trembler, il s'était arraché le cœur. Puis il l'avait enterré dans le sol meuble de l'île des Quatre Vents avec ses souvenirs de son amour infidèle. Il avait tout glissé dans un coffret hormis la bague qu'il avait tellement voulu lui offrir. Cela il n'avait pas pu le faire, il l'avait gardée autour de son cou et passée à sa chaîne de baptême. C'était avec la boite à musique qu'il avait en permanence sur le Hollandais, la seule chose qu'il garda de son histoire d'amour avec la déesse.

 

Jack cligna des yeux, étonné de se trouver à nouveau dans la chaloupe dans laquelle il ne se souvenait pas être revenu. Le pirate secoua lentement la tête, faisant tinter les innombrables breloques qu'il portait, et regarda d'un air soupçonneux la bouteille de rhum qui gisait, à moitié vide, dans un coin de la chaloupe. Avec un soupir, Jack sortit son compas avec délectation et l'ouvrit. Cette fois il espérait bien qu'au lieu de le mener vers une vieille bague, il le guiderait vers ce qu'il désirait vraiment le plus au monde.

 

Quelques semaines plus tard…

 

Jack finit par accoster et eut un sourire cynique en reconnaissant le Black Pearl qui se balançait mollement dans la crique. Voilà qui ressemblait plus à ce qu'il avait toujours désiré. Un navire, comme le Black Pearl, qui le laisserait libre de naviguer sur les flots.

Pour l'éternité… Souffla une voix dans sa tête que Jack chassa d'un geste.

 

Il monta sur le pont du Black Pearl et posa la main sur son pistolet, sentant la crosse rassurante de l'arme dans sa main. Son regard devint d'acier et Jack avança sur le pont, ignorant les exclamations de surprise des mutins.

« L'heure est venue. Murmura-t-il entre ses dents en sortant son pistolet.

- C'est le Capitaine Jack… » Déclara Pintel d'une voix mal assurée.

Jack se retourna vers lui, un éclair cruel dans le regard.

« Content que tu te rappelles que JE suis le capitaine du Pearl. Où est Barbossa ? J'ai le pistolet qui me démange. »

Ragetti regarda Jack avant de désigner l'endroit où se tenait Barbossa d'une main tremblante.

« Tiens donc ! Jack qui t'a autorisé à monter sur MON navire ? » Commença Barbossa d'un ton moqueur

 

Le vieux seigneur n'eut pas le temps d'ajouter un mot. Jack leva son arme et l'abattit froidement d'une balle en plein cœur. Barbossa recula lentement sous l'impact, ses yeux s'agrandirent sous la surprise et la douleur tandis que Jack soufflait sur le canon de son arme et passait à côté de lui sans se préoccuper de son état. Lentement, Barbossa s'effondra sur le sol dans une mare de sang tandis que les hommes d'équipage se regardaient, consternés. Jack alla se placer à la barre et ouvrit son compas d'un air décidé.

 

Au bout d'un moment, Pintel s'approcha de lui d'une démarche hésitante, une expression obséquieuse sur son visage. C'était la première fois qu'il voyait Jack se comporter comme un vrai pirate et la mort de Barbossa apportait au capitaine le respect mais aussi la crainte de ses hommes d'équipage.

« Où allons-nous Capitaine ?

- Contente-toi de suivre mes instructions comme les autres, je ne tolérerais aucune désobéissance. » Répondit Jack d'un ton sec.

Pintel blêmit en croisant le regard de Jack et bafouilla.

« Capitaine. Vos, vos yeux … »

Jack posa sur lui son regard bleu acier et un sourire mauvais étira ses lèvres.

« Qu'y a-t-il avec mes yeux ? » Gronda-t-il d'un air menaçant.

Pintel recula et bafouilla légèrement

« Rien, rien Capitaine.

- Alors remets-toi au travail. Nous allons à Tortuga. Il y a là-bas une chose dont je brûle de m'emparer… » Ricana Jack tandis que Pintel s'éloignait, se demandant pourquoi les yeux jadis si sombres de Jack Sparrow étaient à présent d'un bleu limpide.

 

La nuit suivante…

 

Jack sortit de sa cabine, une expression légèrement égarée sur le visage, il se sentait étrange et sa tête lui faisait mal comme jamais. Depuis quelques temps, il avait des absences de plus en plus longues durant lesquelles il faisait des choses qu'il n'aurait jamais faites avant. Comme dans la grotte ou encore lorsqu'il avait tué Barbossa. Son regard troublé tomba sur un de ses hommes qui s'empressa de détourner le regard, terrifié, mais notant au passage que, contrairement à ce que Pintel avait prétendu, les yeux du Capitaine étaient aussi noirs qu'à l'accoutumée.

 

Jack avança d'un pas chancelant vers la barre. Il avait donné l'ordre de faire voile vers Tortuga mais ne parvenait pas à se souvenir des raisons pour lesquelles il voulait tant s'y rendre.

« Cette fois ça y est tu es devenu fou… » Déclara une représentation de lui-même brusquement apparue devant lui.

 

Jack eut un mouvement de recul, se croyant à nouveau dans le Purgatoire, et jeta des petits regards effrayés autour de lui pour croiser le regard sombre d'un autre lui-même. Celui qu'il avait poignardé si implacablement lors de son séjour.

« Je, je t'ai tué. Murmura-t-il. Alors pourquoi es-tu encore ici ? »

L'autre Jack lui renvoya un regard triste et s'effaça doucement, le visage crispé de douleur.

« Vous êtes un homme bien Jack… » Souffla le vent à son oreille tandis qu'Elizabeth lui apparaissait, telle qu'elle était lorsqu'ils avaient échangés leur unique baiser.

« Écoute la … » Supplia le Jack qui s'effaçait.

Jack passait la main devant ses yeux pour chasser les visions qui l'assaillaient lorsque le cri d'Elizabeth résonna à nouveau en lui, lui tordant le cœur.

« Will ! Will ne me laisse pas ! Will. »

Jack avait les yeux qui piquaient, le cœur soulevé, il se pencha au bastingage tandis que son autre lui disparaissait avec une expression d'horreur sur le visage, une épée fichée en plein cœur.

 

Marty s'approcha de Jack avec hésitation.

« Tout va bien Capitaine ? »

Ce dernier se retourna et planta son regard bleu acier dans celui de son matelot.

« Retourne à ton poste petit. Nous devons être à Tortuga avant la nuit prochaine. »

Marty agrandit les yeux de terreur et se retira. Pintel avait raison. Le capitaine n'était pas dans son état normal, mais alors vraiment pas. Et ça n'augurait rien de bon pour la suite. Car si une chose était mauvaise pour le Capitaine Sparrow. Elle le serait forcément pour eux aussi…

 


Prologue                                                                                                            Chapitre 2


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