Epilogue


Autre monde 1890,

 

Virginia ouvrit les yeux, frémissante d'impatience, à côté d'elle, le lit était encore chaud et avait gardé l'empreinte du corps de Will. Avec un sourire, elle se leva et se mit en devoir de coiffer ses longs cheveux bruns dans lesquels Will aimait glisser ses doigts lorsqu’à la nuit tombée ils rejoignaient l'intimité de leur cabine. Virginia passa un châle au-dessus de sa robe et savoura la douceur de l'étoffe qu'elle avait dégotée au fin fond des malles amassées par Davy Jones et dans lesquelles Will l'avait laissée puiser tout son content .

 

Elle ouvrit la porte en grand et se dirigea sur le pont en grelottant comme chaque jour alors qu'elle recevait en plein visage le courant d'air glacial qui caractérisait l'autre monde.. Même au bout de dix ans elle n'était toujours pas parvenue à se faire à ce froid qui pénétrait jusqu'aux os et la laissait transie chaque matin. Virginia salua de la tête Bill le Bottier et vint se glisser dans les bras de Will. Elle savoura la fermeté de son étreinte sur elle. Le capitaine referma ses bras autour du corps éternellement gracile de sa femme et sourit comme il le faisait à vingt ans, avant que la mort ne l'arrache à l'existence qu'il avait cru désirer. Virginia inclina légèrement son visage vers lui et attendit qu'il prenne ses lèvres comme chaque matin. Son baiser chassait le froid de la mort et de la douleur d'autrui dont était fait leur quotidien. Will la regarda avec tendresse, ému par la douceur de ses traits et par l'ardeur des sentiments qu'elle ne cherchait pas à dissimuler.

« Virginia Turner… Murmura-t-il. Où veux-tu que nous allions ce jour ? »

 

La femme sourit avec émerveillement, elle n'était toujours pas habituée à ce nom qu'elle portait à présent, ce gage d'amour que lui avait donné Will et qu'elle n'avait jamais regretté. Elle était sa femme et rien ne les séparerait jamais. La mort n'aurait pas de prise sur eux, pas plus que le temps. Mari et femme pour l'éternité, avait dit Will en prononçant ses vœux et il n'avait jamais démenti ces derniers.

« J'aimerais retourner là où nous nous sommes connus. » Dit Virginia dans un souffle.

Will l'embrassa sur le front et la serra plus fort contre lui.

« Alors nous irons … » Répondit-il simplement en guidant le Hollandais Volant.

 

Virginia posa sa tête sur son épaule et se laissa porter par le navire qu'elle avait appris à aimer comme son époux. Elle ouvrit des yeux émerveillés en passant à travers l'éclair vert qui saluait leur retour pour une unique journée dans le monde des vivants…

 

Écosse 1890,

 

Denys arpentait la lande déserte en cet après-midi froid et pluvieux qui faisait douter de la présence du printemps … Le jeune garçon errait sans but et cherchait à éviter l'atmosphère pesante qui était celle de son foyer à cette date et qui était pire aujourd'hui. Car ce jour était le jour anniversaire de la mort de sa tante Virginia suicidée dix ans plus tôt. Celle dont son père, John, disait qu'elle était folle, atteinte d'une maladie des nerfs propres aux femmes frustrées de ne pas avoir de mari et de saillies… Celle dont sa mère, Agnès ne parlait jamais qu'avec des sanglots dans la voix et une expression de chagrin intense à laquelle le disputait le remords. Denys avait peu connu sa tante qui était morte alors qu'il était âgé de sept ans à peine mais il savait que son père la détestait et la jugeait responsable de la ruine de la famille et du chagrin persistant de sa mère qui ne s'était jamais remise de sa mort.

 

Il était parti sur la falaise, attiré par une sorte de curiosité morbide, laissant son père choyer sa mère tout au long de la journée. En effet John ne courait plus jamais la gueuse depuis la mort de Virginia. Il retrouvait avec plaisir son foyer et se montrait d'une rare gentillesse avec sa femme qu'il avait toujours aimée avec tendresse. Denys sourit en pensant au couple formé par ses parents et que la mort de sa tante semblait avoir soudé à nouveau, comme si la présence de Virginia les avait empêché d'être heureux. Pourtant Agnès ne souriait plus jamais, comme si elle se sentait coupable d'être celle qui vivait et avait une famille alors que sa sœur n'avait jamais connu cette chance…

 

Denys s'arrêta brusquement en voyant émerger du brouillard de la lande un couple tendrement enlacé, les longs cheveux bruns de la femme flottant dans le vent qui ne semblait ne pas vouloir s'arrêter de souffler. Denys ressentit une brusque bouffée de colère en entendant les rires du couple qui semblait si insolemment heureux à l'endroit dont sa mère ne supportait même plus de s'approcher… Il vint à eux, décidé à leur dire de déguerpir, lorsqu'il vit l'homme graver des lettres sur le vieux tronc noueux de l'arbre centenaire, qui seul, se dressait au sommet de la falaise. Il les apostropha durement et s'approcha pour discerner les visages de ceux qui osaient profaner cet endroit.

« Que faites-vous ici ! Cet endroit est maudit. Partez ! » Ordonna-t-il avec toute la vigueur de ses dix-sept ans.

 

Les deux importuns sursautèrent et Denys blêmit en croisant le regard de la femme. Elle avait les mêmes yeux qu'Agnès et un air de douceur qui lui était douloureusement familier et qui lui fit peur

« Denys. » Murmura-t-elle.

Le garçon se mit à trembler.

« Comment me connaissez-vous ? » Demanda-t-il d'une voix chevrotante qu'il détesta.

La femme ne répondit pas et lui tendit un papier soigneusement plié.

« Je pensais le déposer ici… Mais finalement c'est mieux ainsi. Donne-le à ta mère. »

Denys prit la lettre que l'inconnue lui tendait tandis que l'homme s'adressait à sa compagne.

« Le soleil va bientôt se coucher… »

La femme se tourna vers lui et effleura sa joue avant de prendre la main de l'homme.

« Allons-y …. »

 

Denys les regarda passer devant lui et les vit s'enfoncer dans le brouillard pour reprendre le sentier menant à la plage et se demanda un instant s'il ne rêvait pas.

 

Finalement, Denys retourna à sa maison, à la fois inquiet et curieusement exalté. Son père se leva à son entrée et lui lança un regard empli de tristesse tandis qu'Agnès ne se retournait pas, le visage vers la fenêtre, les épaules tremblant légèrement de larmes contenues.

« Reste avec ta mère quelques instants. Je vais fendre du bois. » Ordonna son père d'une voix bourrue avant de sortir.

Denys soupira. Il savait que son père sortait surtout pour échapper au chagrin insupportable contre lequel il ne pouvait rien. Décidé à distraire sa mère, il s'assit à ses côtés.

«  Maman tu ne devineras jamais ce que j'ai vu sur la lande aujourd’hui. »

Il s'arrêta et attendit vainement une marque d'intérêt de la part d'Agnès avant de reprendre.

« J'ai vu un couple étrange. Une femme brune et un homme habillé bizarrement. Il avait une sorte de foulard dans les cheveux. » Se moqua Denys.

 

Agnès tressaillit et se tourna vers lui, Denys sourit et, encouragé par sa réaction, poursuivit.

« La femme m'a parlé. Elle m'a parlé de toi, elle m'a dit de te donner ceci. » Déclara-t-il en lui tendant le papier remis, heureux de voir une lueur d'intérêt dans les yeux de sa mère

Agnès le prit dans ses mains tremblantes et le déplia, ses yeux s'agrandissant à mesure qu’elle lisait ce qui était écrit.

« C'est impossible. Murmura-t-elle

- Maman ? »

Denys n'eut pas le temps de réagir tandis que sa mère se levait brusquement, courant vers la porte et vers la falaise.

 

Les cheveux dans le vent, Agnès courait comme elle n'avait jamais couru, la lettre serré dans ses doigts gourds, sourde aux cris de Denys et de John qui la suppliaient d'arrêter. Enfin, hors d'haleine, elle parvint au sommet de la falaise de laquelle s'était jetée Virginia et fouilla l'horizon auquel le soleil mourait, laissant la nuit envahir la lande. Elle réagit à peine en sentant les bras de John autour d'elle, étonnée de sentir son mari trembler. Son regard tomba alors sur l'arbre et elle découvrit les lettres entrelacées que l'homme avait gravé plus tôt dans l'écorce.

 

W & V

Pour toujours

 

« Virginia. Murmura-t-elle en pleurant. Elle est revenue… 

- Agnès … Je t'en prie. Supplia John d'une voix rauque. Elle est partie mais nous nous sommes là, je suis là Agnès. »

 

Alors elle se tourna doucement vers son époux, stupéfaite de voir des larmes dans ses yeux et elle sourit pour la première fois depuis dix ans. Elle ne savait pas comment s'était possible mais sa sœur avait eu raison0 Elle noua ses bras autour du cou de John et l'embrassa, laissant s'échapper la lettre que Denys lui avait remise. Elle n'avait plus besoin de porter le deuil de Virginia à présent0 John resserra son étreinte sur elle tandis que le vent de la lande emportait les derniers mots de sa sœur.

 

Agnès ….

Pardonne-moi de t'avoir fait souffrir.

Je suis heureuse à présent .

Car tu sais… le véritable amour ne meurt jamais …et je l'ai trouvé…

 

 


FIN



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Commentaires: 2
  • #1

    lilouche (jeudi, 19 janvier 2012 19:38)

    houraaaaaaaaaaaaa !!!!!!!!!

  • #2

    JessSwann (jeudi, 19 janvier 2012 21:06)

    Mdrrrrr