Chapitre 9 : L'appel de l'océan


Les mois s'étaient écoulés sans passion pour Elizabeth Norrington, toute entière tournée vers son bébé, l'enfant de Will qui grandissait en elle chaque jour un peu plus. James et elle menaient une vie tranquille, unis par le respect et la reconnaissance qu’elle éprouvait pour lui. Chaque soir, invariablement, Elizabeth fermait les yeux et laissait le Commodore user de son corps. Ses caresses n’éveillaient rien en elle mais elle ne se sentait pas le cœur de lui dénier ce droit qu'il avait gagné sur elle en lui offrant son nom pour protéger son enfant.

 

Elizabeth savait que James l'aimait, il lui prouvait chaque jour un peu plus, s'inquiétait pour elle, pour l'enfant avec toutes les apparences d'un père. La jeune femme, qui était presque au terme de sa grossesse, sourit en caressant son ventre, un pincement au cœur familier à la pensée que Will ne verrait jamais leur enfant. John, le domestique des Norrington interrompit sa rêverie nostalgique et lui annonça une visite.

 

Une expression dure sur le visage, Elizabeth se leva à peine à l'entrée de Lord Beckett.

« James n'est pas ici. » Cracha-t-elle sans dissimuler son antipathie.

Cutler Beckett posa son regard froid sur elle avant de redescendre sur son ventre bombé.

« Je sais Madame Norrington. Susurra-t-il. Vous et votre nouveau mari, vous vous croyez plus malins que moi n'est-ce pas ?

- Je ne vois pas de quoi vous voulez parler. Répondit Elizabeth sur le même ton.

- Je me suis toujours demandé ce qui avait justifié un mariage si rapide. Surtout après votre pathétique plaidoyer dans mon bureau à la veille de la pendaison de Turner mais lorsque j'ai eu vent de votre état j'ai compris. »

Elizabeth posa une main protectrice sur son ventre et son visage se décomposa au souvenir de la nuit terrible qui avait précédé la mort de Will.

« Je ne vous raccompagne pas Lord Beckett. »

 

Avec un sourire mauvais, Cutler se leva et se servit un verre, manifestant son intention de rester un bon moment.

« Votre sherry est immonde ma chère. Observa-t-il en vidant son verre d'un trait

- Nul doute que le vôtre est meilleur, pourquoi ne pas aller vérifier chez vous ? »

Beckett éclata de rire.

« Ah cette fierté de petite fille ! Allons soyons sérieux Elizabeth, qui croyez-vous abuser ? Tout le monde saura la vérité lorsque l'enfant naîtra avec plus d'un mois et demi d'avance. Tous comprendront que c'est d'un pirate dont vous étiez pleine. »

Les mains d'Elizabeth se crispèrent mais elle le dévisagea d'un air hautain.

« Vos propos sont insultants à mon égard Lord Beckett ainsi qu'envers mon époux. Sortez. »

Beckett se leva avec vivacité et posa ses mains sur les épaules d'Elizabeth.

«  Faites bien attention Madame Norrington… Veillez à ne pas me sous-estimer. Croyez bien que je vais m'attacher à rétablir la vérité. »

Le regard dur, Elizabeth écarta les mains de Beckett.

« La vérité ? Et bien elle est celle que nous livrons au monde. James est le père de cet enfant. Pensez-vous que je sois le genre de femme à se morfondre alors que James venait me rendre visite chaque jour lorsque Will était en prison ? Dit-elle en s'efforçant de ne pas trembler en prononçant le prénom de Will.

Beckett la regarda l'air surpris.

« Vous seriez donc prête à vous prétendre catin pour assurer votre mensonge ? »

Elizabeth sourit avec lenteur.

« Je ne prétends rien Lord Beckett. Je suis femme, voyez-vous, et James est un homme. Vous le savez, je n'ai jamais goûté la bienséance de salon. »

Beckett la fixa avant de sourire à son tour.

« Votre nouvel époux a décidemment bien peu d'amour propre.

- James est un homme d'honneur, respectable. Plus que vous ne le serez jamais. »

Cutler secoua la tête avec dérision.

« Quel étrange choix de termes pour parler d'un homme dont vous vous prétendez éprise au point d'avoir trompé avec lui celui pour obtenir la grâce duquel vous avez rampé devant moi. Je ne vous crois pas Madame. »

 

Elizabeth lui sourit et leurs regards s'affrontèrent un long moment jusqu'à ce que Beckett se détourne.

« Méfiez-vous Madame Norrington. Un jour la vérité sortira du puits et ce jour-là vous pourrez compter sur ma présence. Mais n'y voyez rien de personnel… »

Elizabeth le regarda et se contenta de serrer les poings.

« Je ne vous raccompagne pas. »

Avec un léger sourire, Beckett se dirigea avec élégance vers la porte tandis qu'Elizabeth attendait son départ pour se laisser aller aux larmes que la pensée de Will provoquait toujours en elle.

 

()()

 

Sous l'œil professionnel et froid de la sage-femme, Elizabeth poussait de toutes ses forces, ses cris de douleur résonnant dans la chambre qui n'entendait habituellement que les râles de plaisir de James Norrington.

« Encore un peu Madame. Ordonna la sage-femme. Vous devez le sortir. »

Elizabeth, à bout de forces, poussa une dernière fois et expulsa le petit corps de son bébé. La sage-femme la repoussa vers l'oreiller, ses mains fourrageant en elle pour aider le petit être à venir au monde.

« C'est bien ne poussez plus. Je le tiens. » Annonça-t-elle.

 

Elizabeth se redressa légèrement, des larmes d'émotion roulèrent sur ses joues en voyant la femme sortir l'enfant.

« Dites-moi ! Un garçon ou une fille ? » Demanda-t-elle en tendant les bras, songeant au bonheur qu'aurait été celui de Will.

La femme grimaça et se retourna vivement sans qu'Elizabeth ait le temps de voir son bébé.

« Pourquoi ne pleure-t-il pas … » Demanda la jeune mère soudainement inquiète.

Un long soupir fit trembler les épaules de la sage-femme alors qu'elle posait un regard chargé de pitié sur elle.

« Je suis désolée Madame … Il s'est étranglé avec le cordon … »

 

Elizabeth resta un moment sans comprendre, les bras tendus vers son bébé.

« Mais ... Donnez-le moi … »

La femme secoua la tête puis se retourna complètement, laissant entrevoir un petit corps bleui et inerte.

« Madame il est mort-né. Voulez-vous que je l'annonce à votre mari ? » Demanda-t-elle avec douceur cette fois.

Le cœur d'Elizabeth se bloqua dans sa poitrine tandis que ses bras retombaient sur le drap taché de sang et de sueur.

« Non … Murmura-t-elle.

- Je, il n'y avait rien à faire Madame… Le travail a duré trop longtemps il était déjà mort quand je l'ai sorti. Expliqua la sage-femme en s'éloignant vers la porte pour mettre le cadavre de son bébé hors de portée de vue d'Elizabeth

- NON ! » Hurla la jeune mère d'une voix brisée.

Des larmes roulèrent sur ses joues alors qu'elle réalisait que comme Will, son enfant lui était à son tour arraché.

 

La sage-femme sortit avec précipitation et se cogna contre James qui, défait, attendait la délivrance d'Elizabeth avec une impatience mêlée d'inquiétude.

« Je, monsieur… Vous devriez aller voir votre femme. »

James baissa les yeux sur le petit corps inerte qu'elle tenait, son regard se voilant à mesure qu'il comprenait ce qui venait de se produire.

« Elizabeth … » Dit-il en se précipitant dans la chambre.

James la serra fermement contre lui.

Il semblait à Elizabeth que son cœur allait se briser, des paroles incoercibles s'écoulant d'elle à mesure que James la berçait contre lui

« Je suis désolé Elizabeth, si désolé… » Répétait James sans s'arrêter.

 

Des heures plus tard…

 

Elizabeth vêtue d'une longue robe noire, recevait sans les entendre les manifestations de sympathie des notables de Port Royal venus assister à leur chagrin. Assise dans le grand fauteuil dans lequel James l'avait aidée à prendre place, le regard fixe, elle se laissait embrasser, toucher par tous ces gens venus lui parler de son bébé mort comme ils étaient allés voir mourir Will quelques mois plus tôt.

 

James, le cœur serré, se pencha sur elle et s'excusa auprès des visiteurs.

« Viens Elizabeth. Souffla-t-il à son oreille. Je m'occuperais du reste … Tu dois te reposer.

- Pourquoi ne puis-je pas le voir ? Murmura-t-elle d'une voix brisée.

- Oh, ma petite. Intervint une des vieilles veuves présentes. Ce n'est pas un spectacle pour une jeune mère. Allons vous êtes jeune. Ce genre de choses arrive, vous nous ferez vite un bel enfant tous les deux. » Ajouta-t-elle d'un ton optimiste.

James, le bras autour de la taille d'Elizabeth, l'aida à s’allonger et l'embrassa doucement sur les lèvres.

« Je me débarrasse de tous ses vautours et je reviens près de toi. Repose-toi. » Souffla-t-il.

 

Cutler Beckett, un sourire flottant sur ses lèvres, leva son verre à son adresse lorsque James sortit de la chambre avant de s'approcher avec lenteur.

« Et bien … n'est-il pas vrai que Dieu veille sur nous ? Voyez donc, lui-même étends sa justice à cette graine de pirate en lui donnant dès sa naissance le châtiment qu'il aurait mérité dans quelques années. »

Blême, James se retint de le frapper à grand peine.

« Sortez.

- Allons mon cher. Ne jouez pas les pères blessés, nous savons tous deux ce qu'il en est. En tout cas mes félicitations pour ce joli coup. Obtenir la mère sans l'enfant. Ricana Cutler avant de s'éloigner. Je vous laisse à votre chagrin.

 

James serra les poings tandis qu'Éva s'approchait de lui et posait délicatement sa main sur son bras.

« Je suis désolée pour vous Commodore… Je n'ose imaginer ce que vous ressentez face à cette perte. »

James soupira lourdement et songea à Elizabeth, qui, dans la pièce à côté pleurait toutes les larmes de son corps.

« Le plus dur est pour Elizabeth. Éva, ne m'en veuillez pas mais elle a besoin de moi. »

La main de la jeune fille se crispa légèrement tandis qu'elle se forçait à reprendre avec un sourire.

« Oui Elizabeth. Bien sûr c'est votre priorité et bien si vous avez besoin d'une amie Commodore… »

James hocha tristement la tête avant de s'éloigner, refermant la porte sur Elizabeth et son chagrin.

 

()()

 

Ça faisait une semaine que son bébé était mort. Elizabeth était à la fenêtre et regardait les passants sans les voir. Depuis la mort de son petit garçon, elle n'avait plus goût à rien et repoussait gentiment mais fermement les attentions de James. Le regard perdu vers l'horizon, elle songeait à tout ce qu'elle avait perdu en l'espace de quelques mois, son père, son amour et son enfant. Le cœur lourd, Elizabeth prit une feuille de papier, la plume crissant à mesure qu'elle traçait les mots qu'elle voulait adresser à James.

 

Une fois qu'elle eut terminé, elle scella l'enveloppe tandis que pour la première fois depuis son premier mariage un grand calme se faisait en elle. Elizabeth avait enfin un but, ou du moins une solution pour mettre fin à cette douleur sourde qui couvait en elle et qui, elle le savait, ne s'estomperait pas avec le temps. Elle se leva et alla jusqu'à la porte pour prendre la capeline chaude aux couleurs claires que lui avait offerte James au début de leur union.

 

John, légèrement surpris, la regarda.

« Vous sortez Madame ? »

Elizabeth se tourna vers lui et se força à sourire.

« Oui. Je vais voir James à Fort Charles. »

Un sourire naquit sur le bon visage du fidèle domestique alors qu'il l'aidait à nouer son vêtement.

« C'est une bonne idée Madame. Monsieur se fait beaucoup de soucis pour vous, il sera heureux de vous voir. »

Elizabeth le regarda tristement et le laissa accomplir les gestes auxquels elle était accoutumée depuis son enfance.

« James ne se fera plus de soucis John. Répondit-elle simplement.

- Vous ne voulez pas que je demande au cocher de préparer la voiture ? S'étonna le domestique en la voyant se diriger vers la porte.

- Non ce n'est pas loin et ce n'est pas nécessaire. » Répondit-elle simplement avant de sortir.

 

Elizabeth marchait lentement et répondit par automatisme au salut des notables qui la reconnaissait sans se donner la peine de s'arrêter pour satisfaire leur curiosité dissimulée sous un vernis de sollicitude. Tous ces gens qui étaient allés voir mourir Will, puis qui étaient venus voir son bébé mort lui étaient étrangers à présent. Sans se presser, Elizabeth monta tranquillement les marches qui menaient aux remparts de Fort Charles. Aucun soldat ne l'arrêta, elle était Madame Commodore après tout …

 

Éva, qui sortait du bureau de James, la regarda pensivement et l'espace d'un instant leurs regards se croisèrent … La jeune fille observa le visage de son ancienne amie avant de laisser glisser son regard sur les mains d'Elizabeth où brillait de nouveau l'anneau de mariage de William Turner. Elles se trouvaient au pied de l'escalier qui menait au point le plus haut du Fort et Elizabeth posa ses yeux tristes sur Eva, guettant une parole ou un geste. Éva soupira longuement avant de s'effacer et de lui tourner le dos.

« N'attends rien de moi Elizabeth. » Murmura-t-elle tandis que celle qui lui avait volé son amour s'engageait tranquillement sur les marches.

 

Elizabeth avança lentement et toucha la pierre de l'endroit où Will et elle avaient échangé leur premier baiser, il y a si longtemps …. Le même que celui où James lui avait demandé sa main pour la première fois. C'était aussi d'ici que Jack Sparrow s'était envolé pour retrouver sa liberté laissant Will payer seul à sa place. A présent, c'était à elle de prendre son envol.

 

Le cœur battant la chamade, Elizabeth s'approcha du bord. Ses pieds franchirent lentement la limite tandis que, tête baissée, elle regardait la mer qui l'appelait irrésistiblement. Plus bas, Éva leva les yeux. Un grand calme se propagea en elle en apercevant la silhouette solitaire qui se penchait lentement. Elle aurait pu crier. Elle aurait pu l’arrêter. Mais Éva détourna le regard alors qu'Elizabeth Norrington se laissait tomber dans le vide, les bras écartés comme dans une ultime étreinte pour l'océan et les fantômes qui peuplaient sa vie…

 

La chute d'Elizabeth dura à peine plus longtemps que le temps que la corde avait mis pour se tendre autour du cou de Will, à peine moins longtemps que celui que son bébé avait mis pour mourir lorsque le cordon s'était resserré autour de sa gorge fragile. Sa jupe s'évasa gracieusement autour d'elle telle une corolle alors qu'elle tombait, sa capeline reflétant le soleil qui brillait haut dans le ciel de Port Royal. Et puis vint le noir alors que son corps se brisait sur les rochers acérés des bas-fonds de l'océan qui, toujours, reprenait son dû.

 

A Fort Charles Éva regarda les hommes se précipiter vers les remparts puis s'éloigna en songeant que le lendemain elle irait présenter ses condoléances à James …

 

()()

 

Elizabeth ouvrit les yeux. Des larmes perlèrent à leurs coins lorsqu’elle réalisa qu'elle n'était pas morte mais sur le pont d'un navire. Un homme d'une haute stature au visage couvert de tentacules la regardait avec méchanceté tandis que la douleur s'éveillait dans ses membres brisés par la chute. L'homme bourra silencieusement sa pipe avant de parler.

« Dis-moi ma belle as-tu peur de la mort ? Je te propose une alternative. Engage-toi sur mon navire pour les cents ans à venir et tu retarderas l'instant de ton passage … »

 

Elizabeth le fixa brièvement puis son regard erra sur les hommes qui l'entouraient. Son regard triste croisa celui d'un homme qu'elle avait connu mais qui n'avait plus rien de commun avec Jack Sparrow. Le visage recouvert d'algues et une expression infiniment lasse dans ses prunelles sombres ce dernier secoua la tête négativement. Elizabeth reporta son attention vers celui qui lui avait parlé et secoua la tête.

« Je n'ai pas peur de la mort. Je ne veux pas différer mon passage cette fois. Je ne veux pas être sauvée. Je refuse votre offre. » Dit-elle distinctement.

Le visage du capitaine monstrueux se convulsa de rage.

« Alors tu iras par le fond ! » Dit-il en faisant un signe à l'un de ses hommes qui, d'un geste précis, trancha la gorge d'Elizabeth avant de la rendre à la mer à laquelle la jeune femme avait toujours appartenu sans le savoir.

 

Cette fois Elizabeth ne sentit rien. Et lorsque son corps toucha une dernière fois les eaux glacées, la jeune femme sourit, imaginant que de l'autre côté l'attendait son William….


Chapitre 8                                                                                                            Epilogue


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Commentaires: 2
  • #1

    Dorine Sparrow (mardi, 29 décembre 2015 00:17)

    C'est tres triste comme fin. Et je crois que le poulpe c'est Devis Jones mais ya Jack aussi donc je c'est pas c'est lequel.

  • #2

    Wiwi (mardi, 12 juillet 2016 17:10)

    Dorine Sparrow, oui c'est Devis Jones le poulpe et oui c'est très triste....