Chapitre 18 : La main du destin


Tia resta longtemps sous le choc du départ de Jack et mesura pour la première fois l'ampleur de ses sentiments pour le jeune garçon. Son départ récent, sans même un dernier regard pour elle, l'avait profondément blessée. Elle le savait têtu mais avait alors compris qu'il ne renoncerait pas au Wicked Wench. Il allait renflouer son navire et elle ne le reverrait plus jamais. Elle avait lu dans ses yeux l'adieu définitif lorsqu'il lui avait dit au revoir, la flamme d'impatience qui brûlait dans son regard alors que déjà son esprit était loin d'elle. Mais elle savait qu'elle ne pouvait pas le laisser ainsi. Elle le connaissait, mieux qu'il ne le croyait. Une fois que le compas l'aurait mené à ce navire qu'il désirait le plus au monde, il voudrait plus. Il désirerait être un capitaine de légende, trouver un trésor, devenir riche et rattraper ainsi les injustices de la vie. Mais ça le perdrait. Sauf si elle pouvait l'en empêcher. Tia refusait de voir son amant aux yeux sombres devenir le captif d'une malédiction à laquelle il refusait de croire. Et pour cela elle devait agir, elle devait tenter de conjurer le sort qui s'acharnait sur celui qui ne l'aimerait jamais mais qu'elle voulait protéger des autres et de lui-même.

Lentement, avec des gestes mesurés et cérémonieux, Tia alluma les cierges et bougies qui trônaient un peu partout dans sa masure, puis elle prépara une potion, celle qui plongeait en transe. Elle aurait pu s'en passer mais préférait mettre toutes les chances de parler à son maître de son côté.

 

D'une voix inhabituellement ténue, elle récita l'incantation puis sentit peu à peu la présence du dieu envahir la pièce et l'écraser de sa puissance. Tezcatlipoca, le dieu du miroir fumant, maître des destinées, répondit alors à l'appel de celle qui le servait depuis des siècles.

« Que se passe-t-il Tia Dalma ? Pourquoi troubles-tu mon repos en me convoquant comme un simple valet ?

- Je te demande pardon. C'est juste que, c'est ce jeune homme.

- Ma main est sur lui Tia. Tu ne peux l'ignorer.

- Je sais, tout comme je sais qu'il est un des descendants des hommes qui ont pillés ton or. Mais il n'est pas comme eux.

- Il n'est pas UN descendant, il est le dernier mâle. Les autres fils de profanateurs ont été assassinés par mon bras armé. Celui dont l'avidité lui fait chercher le trésor mais qui n'est pas destiné à le trouver. Sao Feng. Il les a presque tous tués. Il ne reste à ce jour que ce garçon et une femme. Ceux là subiront mon courroux. 

- Je t'en prie il ne doit pas payer pour les crimes de ses ancêtres ! C'est injuste et indigne ! Il n'y est pour rien. S'insurgea Tia.

- Qui a dit que ce devait être juste ? JE fixe les règles Tia Dalma. Cette vengeance est la mienne. »

 

Tia baissa alors humblement la tête, sentant qu'elle ne devait surtout pas énerver le dieu si elle voulait obtenir satisfaction.

« Pardonne-moi. C'est juste que ce garçon n'est pas comme les autres, et il ne mérite pas de finir maudit, à l'état de mort vivant. »

Tezcatlipoca éclata de rire.

« Rassure toi j'ai d'autres ambitions pour lui. »

Tia sentit un frisson lui remonter le long de l'échine en percevant la cruauté de sa voix.

« Je t'en prie, que comptes tu faire à Jack ?

- Jack ? Il compte beaucoup pour toi n'est-ce pas ?

- Oui.

- Alors je vais te dire ce qui va arriver parce que tu m'as toujours fidèlement servi. Ton petit Jack va voir son plus cher vœu exaucé.

- Je ne comprends pas. » Souffla Tia dont le cœur battait follement dans sa poitrine.

 

Tezcatlipoca reprit d'une voix presque envoûtante.

« Ton cher Jack va passer un marché avec notre connaissance commune, ce cher Edward enfin Davy pour renflouer son stupide bateau. Lorsque viendra le moment de rembourser sa dette, Jack sera déjà maudit mais cela Davy l'ignorera. Alors Jack tuera Davy Jones en poignardant son cœur et deviendra esclave à sa place. Il se transformera peu à peu et deviendra un monstre froid et inhumain. Ensuite il tuera la dernière survivante de la manière la plus cruelle qui soit. Ainsi il mettra un terme à la lignée des profanateurs en devenant mon esclave. »

 

Tia retint un gémissement, il ne pouvait pas faire ça ! Pas à Jack ! Même Tezcatlipoca ne pouvait pas être aussi cruel ! Le destin avait déjà tant malmené Jack, il avait tellement souffert. Elle reprit la parole, décidée à sauver Jack quoiqu'il lui en coûte.

«  Il ne mérite pas ça ! C'est un homme bien.

- SILENCE ! Qui crois-tu être pour juger des mérites de chacun ? Tu n'es qu'une servante. MA servante ! »

Tia se recroquevilla sous la colère du dieu.

« Je le sais. Déclara-t-elle humblement. C'est pour ça que je lui ai donné l'occasion de prendre le compas comme tu me l'avais ordonné. Cependant je, j'ai lu dans le cœur de ce jeune homme. Il est bon ! Il accomplira de grandes choses si on lui laisse une chance. Je t'en prie Tezcatlipoca ait la bonté de lui accorder ton pardon. »

 

Le dieu éclata d'un rire moqueur qui sonna désagréablement aux oreilles de Tia.

« Et bien, quelle fougue, quelle ardeur pour me démontrer la valeur de ce misérable mortel. Dis-moi, jusqu'à quel point t'a-t-il séduite ? »

Tia se sentit rougir devant les insinuations de celui qu'elle servait depuis des siècles.

« Ça n'a rien à voir avec mes sentiments pour Jack. J'ai lu en lui, son âme est belle. Cet homme est capable de faire de belles choses, mais il faut lui laisser une chance.

- Il ne sera jamais à toi Tia, que je lève la malédiction n'y changerait rien, il ne t'est pas destiné. »

 

Tia baissa la tête et refoula ses larmes. Elle savait au fond d'elle-même que c'était vrai, que Jack ne l'aimait pas comme elle aurait tant désiré l'être, qu'il ne l'aimerait jamais ainsi. Il avait déjà fermé son cœur à leur rencontre et elle n'était pas celle qui en possédait la clef. En vérité, Tia n'était pas sûre que cette personne existe tant Jack lui paraissait maintenir à distance les femmes. Sous des dehors charmeurs et de séduction, Tia sentait bien la solitude qui était celle du jeune pirate, tout comme elle sentait les murs qu'il avait érigé autour de lui pour se protéger, des murailles solides qui se fortifiaient jour après jour. Elle songea fugacement que, peut-être, Jack n'était plus capable d'aimer.

«  Oh si il l'est, mais pas toi. » Se moqua Tezcatlipoca qui lisait en elle comme dans un livre.

Elle leva les yeux et chercha à saisir l'essence du dieu.

« Je sais cela. Je te demande simplement de l'épargner, pas de me le donner.

- Tu veux que je modifie son destin ? Tu es bien sûre de cela ? Sûre qu'il en vaut la peine ? Car tu n'ignores pas que je devrais poser ma main sur une autre âme et tu seras responsable de cela, c'est TOI qui l'auras condamnée en demandant la grâce de Sparrow. Réfléchis bien Tia Dalma… »

 

La sorcière vaudou ferma brièvement les yeux, les paroles du dieu résonnant dans son esprit. Tia Dalma prit le temps de réfléchir aux implications des paroles de son maître puis, elle répondit.

« Nous avons un accord Tezcatlipoca, une faveur que j'ai le droit de te demander, j'aimerais que Jack soit épargné. Que tu n'en fasses pas le capitaine du Hollandais Volant, que tu ne le maudisses pas.

- Tu veux donc lever la main que le destin a posée sur lui. Soit Tia, en vertu de notre accord, Jack Sparrow sera épargné, il ne deviendra pas le Capitaine du Hollandais Volant. J'espère pour toi que tu n'auras jamais à le regretter. Ricana Tezcatlipoca. N'oublie pas ta faveur est obtenue pour les cinquante ans à venir Tia, tu n'auras pas de moyens d'épargner quelqu'un d'autre avant la fin de ce délai. »

 

Tia hocha la tête, soulagée par l'acceptation de Tezcatlipoca. Elle ne prit pas garde à la joie mauvaise de la voix de ce dernier, pas plus qu'au fait que Tezcatlipoca était un dieu cruel dont la réputation était loin d'être usurpée. Tia sentit juste des larmes de gratitude ruisseler sur ses joues, heureuse d'avoir épargner un sort funeste à celui qui faisait battre son cœur sans espoir. Elle ignorait alors que son geste allait avoir de lourdes conséquences. Pour Jack et pour d'autres.

 

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Ignorant que son destin venait de se jouer dans une sombre cabane au fond d'un bayou, Jack se trouvait à bord d'une barque au milieu d'une mer démontée. Il avait bien du mal à empêcher le fragile esquif de verser dans les eaux tumultueuses et de le précipiter vers une mort certaine. Pour la centième fois il regarda le compas qui l'avait mené jusqu'ici, à côté de la carcasse d'un navire échoué d'où s'échappaient des hurlements d'agonie. Jack regardait la scène et se disait que ce n'était pas possible, que ce navire ne pouvait pas être le Hollandais Volant lorsqu'une gerbe d'eau salée lui donna raison. Le cœur battant la chamade, Jack regarda le navire à la beauté terrifiante surgir devant lui…


Chapitre 17                                                                                                     Chapitre 19


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