Chapitre 23 : Et ils firent de moi leur roi ou presque


Le voyage à bord du navire des contrebandiers ne changea pas l'état d'esprit de Jack, il passa le temps à blaguer avec le reste de l'équipage, malgré la rage qu'il avait au cœur. Le capitaine lui assigna toutes les tâches les plus dégradantes, celles réservées habituellement aux mousses, celles par lesquelles Linley l'avait fait commencer il y avait maintenant un peu plus de douze ans. Cela avait pourtant ses avantages, Jack pouvait ainsi se faufiler dans tous les recoins et chercher à glaner des informations sur ce qui l'attendait, prêt au pire. Parce qu'après tout, si même ceux en qui il avait placé sa confiance et qui le connaissaient l'avaient trahi, il ne pouvait rien attendre d'inconnus. Jack restait donc sur ses gardes et essayait de découvrir ce qui effrayait tant ses compagnons.

 

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Au bout de trois jours ils jetèrent l'ancre au large d'une petite île que Jack ne connaissait pas et il fut jeté sans ménagements dans une chaloupe. Une fois sur la plage, leur chef referma son bras sur celui de Jack et le tira brutalement hors de l'embarcation.

« Donc tu as bien compris, tu vas venir avec nous pendant nos négociations avec la population locale. »

Jack réfléchit. Négociations, cela voulait dire qu'il allait servir de monnaie d'échange et non de diversion. Un lent sourire étira ses lèvres tandis qu'il cherchait comment tirer profit de la situation.

« Je croyais que vous deviez emprunter ce dont vous aviez besoin.

- Et bien tu pensais mal. » Décréta l'homme avant de refermer son bras sur celui de Jack et de l'entraîner vers la forêt dense et humide.

 

La peur commença à envahir Jack lorsqu'il entendit les premiers battements de tambour qui distillaient une musique aux accords primitifs et violents. La tribu que Jack découvrit ne l'était pas moins et même les contrebandiers eurent un mouvement de recul en découvrant les hommes et leur corps à demi nus recouverts de peintures de guerre ainsi que leurs femmes tout autant armées que les hommes. La main du contrebandier trembla un peu sur son bras lorsqu'il s'adressa aux hommes et leur désigna Jack. Au bout d'un long moment l'un des villageois parut comprendre ce qu'il voulait et s'approcha de Jack, le reniflant sans gêne avant de pincer le bras du pirate ce qui lui arracha un glapissement offusqué.

 

En l'entendant les hommes s'entre regardèrent et se mirent à parler rapidement dans un dialecte inconnu de Jack aux sonorités sommaires et gutturales tandis que les contrebandiers semblaient lutter contre l'envie de s'enfuir à toutes jambes. Jack sentait leur peur et commençait à la partager. Il ne savait pas au juste ce qu'il y avait à craindre mais regrettait amèrement l'île sur laquelle Barbossa l'avait laissé. Il serra les poings, prêt à s'enfuir à la première occasion. Jack voulait vivre. Il ne voulait pas mourir ainsi, seul au milieu d'inconnus sans avoir réalisé au moins un de ses rêves. Puisqu'il avait appris que les autres étaient toujours décevants et l'utilisaient pour servir leurs propres intérêts alors, il allait devenir comme eux pour atteindre son but. Récupérer la seule chose qui avait encore de l'importance dans sa vie. Le Black Pearl. S'accrochant à cette idée, Jack resta droit et sourit aux indigènes.

 

Finalement le chef de la tribu leur fit signe d'attendre et s'absenta quelques instants qui parurent durer une éternité à Jack et à ses compagnons. Il revint en portant un panier tressé rempli à ras bord de feuilles à demi séchées vers lesquelles les contrebandiers tendirent des mains avides, tremblant cette fois non plus de frayeur mais d'impatience. Le capitaine des contrebandiers se saisit du panier et jeta à Jack un regard dans lequel brilla un instant une étincelle de culpabilité bien vite remplacée par la convoitise. Sans un mot d'adieu, il fit signe à ses compagnons et commença à avancer vers la plage où leur navire était amarré avec dans les bras le panier contre lequel il avait échangé Jack.

 

Ce dernier n'eut pas le temps de trouver une solution pour les suivre que déjà les indigènes l'encerclaient, tirant sur ses bras, le reniflant, le palpant avant de se lancer dans ce qui ressemblait à une conversation animée. Jack les écouta attentivement, calmant les battements de son cœur affolé tout en tentant de trouver une solution pour fuir. Finalement ils se décidèrent et le chef, celui qui avait ramené le panier rempli de feuilles aux contrebandiers, lui fit signe d'entrer dans une hutte.

« Vraiment ? » Demanda Jack en désignant la cabane avec des gestes affectés, tentant ainsi de gagner du temps

Le sourire du pirate s'effaça devant le masque froid de ses hôtes, ravalant sa salive avec difficulté Jack obéit, persuadé d'être mené à la mort.

 

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Une fois à l'intérieur il découvrit une table dressée, remplie de mets appétissants qui réveillèrent son appétit. N’osant y croire et se moquant un instant de son avenir, il se rua sur les plats et mangea avec délice les mets proposés. Au bout de quelques instants il s'immobilisa. La tribu le regardait manger. Décontenancé, il s'apprêtait à reposer la mangue qu'il venait de saisir mais la main du chef sur son bras interrompit son geste. Avec un sourire, qui permit à Jack d'apercevoir ses dents taillées en pointe comme pour mieux déchirer, l'homme parla.

« Basséko. »

 

Jack le fixa un moment sans comprendre avant de se décider à mordre dans la mangue, sous les hochements de tête approbateurs des villageois. Une fois qu'il eut fini de manger Jack se laissa tomber dans un coin, épuisé mais repu.

 

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Une semaine passa ainsi, une semaine durant laquelle Jack fut traité comme un roi. Chaque matin un copieux petit déjeuner lui était servi composé avant tout de légumes, racines et autre fruits. Le premier jour on lui avait donné un peu d'un ragoût à la saveur étrange mais délicieuse que pirate avait dévoré mais il n'avait plus mangé de viande depuis ce jour. Les indigènes veillaient à satisfaire tous ses besoins et il n'était pas rare qu'à la nuit tombée, une femme rejoigne sa couche. Jack se sentait comme un coq en pâte mais ne pouvait toutefois se départir de sa méfiance, la vie lui avait appris à ne pas baisser la garde. Aussi, chaque jour il allait se promener pour explorer l'île et s'efforçait de mémoriser le chemin menant à la côte, à la mer, à l'horizon.

 

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Un matin, Jack, torse nu, sortit de la cabane dans laquelle on l'avait installé et grimaça lorsque l'air entra en contact avec son bras. La fille de la nuit dernière l'avait mordu avec une rare sauvagerie, lui arrachant presque un morceau de chair pendant leurs ébats. Jack se dirigeait donc vers un point d'eau lorsqu'il buta sur quelque chose. Il partit en vol plané et s'écrasa au sol avec un bruit peu gracieux.

« Bugger ! » Hurla-t-il avant de revenir sur ses pas avec dans l'idée de punir l'objet qui l'avait fait trébucher.

 

Un glapissement lui échappa en découvrant qu'il s'agissait d'un crâne à taille humaine. Avec frénésie Jack commença à fouiller les alentours et découvrit des ossements nets et clairs sur lesquels ne subsistait plus aucun morceau de chair comme si quelqu'un les avait soigneusement nettoyés. Le regard de Jack revint se poser sur son bras presque machinalement et ses yeux s'agrandirent tandis qu'il rejetait l'os qu'il tenait le plus loin possible de lui.

« Bugger ! Gémit-il à nouveau. Ils ne me veulent pas comme roi ! Ils me veulent dans leur estomac. » Couina-t-il.

 

Il se releva lestement alors qu’il comprenait soudain pourquoi il était si grassement nourri et commença à courir vers la plage avant de réaliser la stupidité de son attitude. Il ne servait à rien de tenter de s'enfuir alors qu'il n'avait aucune chance d'y parvenir, mieux valait attendre le bon moment, endormir la méfiance des cannibales en gardant la même attitude. Et éviter d'engraisser trop vite. Jack retourna donc à sa hutte et distribua des sourires aux indigènes, des sourires teintés d'ironie. Il eut du mal à honorer la jeune fille qui vint partager sa couche la nuit suivante, la lueur d'envie qui brillait dans les yeux de cette dernière lui paraissant soudain moins flatteuse. Lorsque la fille descendit sa bouche sur son ventre, se préparant à le gratifier d'une caresse qu'il aimait pourtant particulièrement, Jack crut s'étouffer. Vivement il saisit le menton de la jeune femme et lui sourit pour donner le change.

« Pas les bijoux de famille ma belle. » Déclara-t-il avant de la pousser sur le lit.

 

Il préférait et de loin mener la danse…

 

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Une semaine s'écoula encore qui porta Jack au comble de l'angoisse, le pirate ne sachant pas quand les indigènes l'estimeraient suffisamment gras pour être un repas acceptable. Jusqu'au jour où il vit les couleurs de la compagnie des Indes au loin. Il crut mourir de soulagement lorsqu'une chaloupe se détacha et se dirigea vers l'île. L'air de rien Jack annonça à ses geôliers dont il avait à présent acquis quelques rudiments de langage qu'il partait se promener. Des sourires gourmands lui répondirent. Jack s'éloigna du village d'un pas mesuré et se mit à courir comme un dératé lorsqu'il se sut hors de vue. Sur la plage il s'aperçut que la chaloupe empruntée par les soldats était gardée et remplie d'épices. Sans hésiter, Jack plongea et nagea le plus vite possible en direction du navire, à l'ancre de laquelle il s'accrocha pour attendre patiemment que la Royal Navy se décide à repartir. Lorsqu'il sentit le navire s'ébranler sous lui, Jack soupira de soulagement et regarda en direction de l'île.

 

« Souvenez-vous de ce jour comme de celui où vous avez failli manger, le capitaine Jack Sparrow. » Gloussa-t-il nerveusement en caressant la cicatrice que les dents de la fille avaient laissée sur son bras.

 

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Sur le navire, Jack se mêla aux hommes et endossa une fois encore l'uniforme de la Compagnie, songeant avec ironie que ceux qui venaient involontairement de le sauver le pendraient immanquablement en découvrant sa marque. Jack passa des jours à raser les murs et à répondre poliment aux officiers, le cœur affolé à l'idée d'être pris. Il avait bandé son bras, prétextant une blessure, pour être sur que personne ne voit sa marque. Puis finalement ils accostèrent dans un port grouillant de monde. Jack ne savait pas le moins du monde où il se trouvait mais il se noya avec soulagement dans la faune bigarrée avant de s'apercevoir avec surprise qu'il était à Port Royal. Comme si le destin lui jouait le tour de toujours et encore le ramener à ses premiers pas. Il s'attarda un instant devant l'échoppe qui avait été celle de son père avant d'avoir l'œil attiré par une jeune fille à la mise modeste que semblait molester un officier. Sans réfléchir Jack s'approcha du couple et posa sa main sur l'épaule de l'officier. Ce dernier le toisa de toute sa hauteur.

« Que veux-tu soldat ?

- En fait … » Commença Jack, avant de changer d’avis.

 

Sans rien ajouter il mit son poing dans la figure de l'officier et savoura le craquement qui accompagna son geste. S'ensuivit un désordre indescriptible durant lequel Jack en profita pour filer et délester certains de leur bourse. Le sourire aux lèvres, Jack courut en direction du port, de la mer, de la liberté, se débarrassant au passage de l'uniforme qu'il avait du endosser et qui le gênait aux entournures. Il monta sur le premier navire qui se présenta, décidé à le voler. Il défaisait les cordes d'amarrages lorsqu'il s'aperçut que la jeune fille l'avait suivi et le regardait avec un air plein d'espoir.

« Rentre chez toi. Lui lança Jack.

- Je n'ai pas de maison. »

 

Jack soupira et se retourna en affectant de prendre un air patient.

«  Je suis un pirate et je ne veux pas m'embarrasser de toi, tu serais en danger

- Je peux t'aider.

- Non. Là chérie mon seul souci est de bouger ce fichu bateau afin qu'il m'emmène loin d'ici. Parce que je doute que ces chers officiers ne continuent à officier alors qu'un pirate aussi fameux que moi se trouve aussi près de leurs filets. Alors retourne d'où tu viens et termine ton petit commerce tu veux. » Dit Jack en battant négligemment des mains.

 

Un hoquet lui échappa lorsque la main de la gamine s'écrasa sur sa joue.

« Je ne suis pas ta chérie pas plus que je ne suis ce genre de femme, quant à ta fuite… Je peux t'aider. »

Jack la regarda un peu plus attentivement. Jolie gamine mignonne, quinze tout au plus, une peau d'une douce nuance de chocolat, des yeux dans lesquels brillait une colère sourde et des cheveux d'un noir brillant. Il soupira.

« Comment t’appelles-tu ?

- Anamaria.

- Ton nom. S'impatienta Jack.

- Juste Anamaria.

- Très bien Anamaria, nous allons voir ce que tu sais faire et ce que tu peux faire. Peux-tu cesser de me frapper et défaire le nœud qui est là-bas ? »

 

Sans un mot, la jeune fille obéit, faisant sourire Jack qui sentit le bateau quitter le quai.

« Tu as de la chance Anamaria te voilà membre de l'équipage du fameux Capitaine Sparrow. Fanfaronna Jack

- Sparrow ? Jamais entendu parler. » Lui répondit elle d'un ton maussade sans pouvoir s'empêcher de sourire devant l'air offusqué de Jack.

 

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Leur voyage dura deux jours, deux jours durant lesquels Jack chercha un moyen de se débarrasser de la gamine qui l'avait suivi. Il n'avait que son Pearl en tête, son navire et sa vengeance envers Barbossa. Il abandonna Anamaria dans un port quelconque, persuadé qu'elle saurait se débrouiller et reprit sa route vers un nouvel horizon, seul.

 


Chapitre 22                                                                                                  Chapitre 24


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