Tapisserie



Résumé : Pré Série, un moment de sororité entre Mary et Anne Boleyn qui préfigure étrangement leur destin

 

Genre : Fantastique

 

Rating :K+

 

Note : Ecrit dans le cadre des Nuits du FoF, 60 minutes pour un thème sur les deux thèmes : Apotropaïque et Motif


Tapisserie

Mary Boleyn s’ennuyait… La vie dans leur château d’Hever, au fin fond du Kent n’avait absolument rien d’exaltant et la jeune femme rêvait d’autres horizons, d’un homme, qui, juché sur son cheval blanc l’arracherait à sa condition de fille ainée d’un comte obscur et l’emmènerait à la Cour du Roi, là où il y avait du monde, de la vie… La jeune fille poussa un lourd soupir et se décida à quitter la fenêtre devant laquelle elle était assise depuis plusieurs heures.

 

Désireuse de compagnie autant que de distraction, elle rejoignit sa cadette, Anne, et une grimace lui échappa en découvrant l’occupation de la jeune fille : comme toujours, elle brodait patiemment une tapisserie. Concentrée sur son ouvrage, sa sœur releva à peine son visage lunaire lorsque Mary s’approcha d’elle. 

 

La blonde Mary laissa échapper un soupir blasé à la vue du motif qui se dessinait sous l’aiguille de la brune Anne : sa sœur ne brodait que des scènes galantes, en dépit des exhortations de leur gouvernante à plus de « réalisme de la vie quotidienne » dans ses ouvrages.

 

Mary s’assit aux côtés d’Anne et caressa du bout des doigts le motif délicat en forme de cygne qui bordait la tapisserie de sa sœur. Un sourire indulgent aux lèvres, elle se pencha sur les détails de la broderie avant de se rembrunir à mesure qu’elle prenait connaissance de l’histoire qu’Anne racontait. 

 

Le cœur lourd, Mary se reconnut, enlacée par un homme couronné au visage agréable, avant d’être repoussée et reléguée dans le coin du morceau de tissu. Son regard s’écarquilla de stupeur en reconnaissant Anne dans la scène suivante. Sa sœur, un sourire séducteur aux lèvres et ses atouts physiques outrageusement mis en avant se trouvait désormais dans les bras du prince. Choquée, la jeune fille se tourna vers sa cadette.

 

« A quoi rime tout cela ? D’où te vient une telle idée de motif pour ton ouvrage ? »

Ses yeux bleus enfiévrés, Anne la fixa : 

« Je ne sais pas d’où me viennent ces images, j’ai juste le sentiment que cela est destiné à se produire. Tu seras aimée d’un prince mais pas assez pour qu’il te revendique comme épouse… Il te répudiera sans te marier puis je prendrais ta place et deviendrai reine. »

La mâchoire de Mary se crispa sous l’effet de la contrariété et elle adressa un regard dénué d’affection à sa cadette.

« Tu agis comme une de ces bohémiennes dont tes cheveux portent la couleur, mais tes prédictions ne sont qu’une illustration de ton imagination aussi fertile que perverse. Tu es la seconde née, Anne, aussi me seras-tu toujours inférieure, quelles que soient tes fantaisies. Tu ne deviendras jamais reine, quand bien même tu pourrais consacrer les dix prochaines années à broder cette histoire. »

 

Anne, le regard embué, baissa les yeux et la bonne Mary s’adoucit un peu : elle s’était laissée emporter par sa frustration d’être coincée entre les quatre murs d’Hever en réagissant de la sorte. Elle posa le regard sur sa jeune sœur, à peine âgée de treize ans, et sa colère s’envola. Anne n’était qu’une enfant, prise dans le feu d’une exaltation romantique… Elle ne comprenait pas la portée de son œuvre. L’ainée se tourna vers sa cadette, un sourire indulgent aux lèvres.

« Je m’excuse de m’être emportée contre toi, Anne. L’inaction et le manque de société me portent sur les nerfs, je crois… Ta tapisserie est très jolie, affirma-t-elle. Et je ne t’en veux pas de rêver qu’un prince t’emporte loin de ce château, je t’avoue que ça m’arrive souvent à moi aussi, avoua-t-elle avec un clin d’œil. Cependant, je ne comprends pas pourquoi tu as bordé ta tapisserie de ce motif de cygne. »

 

Blême, Anne lui répondit :

« Je ne sais pas plus que toi ce qui me fait agir ainsi… J’ai simplement », hésita-t-elle.

Consciente de la dureté dont elle avait précédemment fait preuve, Mary l’encouragea à poursuivre.

« Je voulais conjurer le sort, souffla Anne. Je ressens dans ma chair qu’un prince t’aimera avant de se tourner vers moi… Je deviendrai reine, affirma-t-elle avec fierté. Mais je sens que je chuterais et qu’un cygne en sera le témoin. Voilà pourquoi je brode cette scène, dans l’espoir qu’elle ne se réalisera pas. »

 

Mary écarta les bras et serra sa cadette contre elle, s’efforçant d’occulter le fait, que ce qui perturbait le plus sa sœur n’était pas sa potentielle trahison envers elle mais bien la perspective de sa chute.

 


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