Chapitre 1 : Une esclave et un homme libre


Jack Sparrow finit par se lever de la plage sur laquelle il s’était laissé tomber, ses yeux sombres vides de toutes les larmes qu’ils contenaient. Il se retourna pour contempler la forêt qui se découpait derrière lui, surmontée par le clocher de l’église maudite.

 

L’île des Quatre Vents, un endroit désertique, oublié des dieux et scrupuleusement évité par les hommes tant l’air y était néfaste. Jack regarda sa main et la marque noire qui semblait s’étendre sur son bras comme la gangrène du remords qui envahissait son cœur. Ce n’était pas un hasard s’il se retrouvait sur cette île, lui aussi était un pestiféré, un homme dont la noirceur se voyait maintenant à l’extérieur. Lizzie avait eu tort de lui faire confiance, il n’était pas l’homme qu’elle rêvait qu’il soit. Et jamais il ne saurait quel goût ça a, jamais plus il ne glisserait ses doigts dans les cheveux de la jeune fille, pas plus qu’il ne poserait ses lèvres sur les siennes. Elle était morte. A cause de lui, morte de l’avoir cru. Il l’avait trompée, trahie, bafouée… Il s’était servi de son amour pour Will pour finalement la condamner. Il y avait de cela bien longtemps son père lui avait dit que le plus difficile dans l’existence c’était de vivre avec soi-même, il n’avait pas compris alors. A présent qu’il se retrouvait seul, sans guère d’espoir d’en sortir vu que cette fois il n’y aurait pas de jeune aristocrate pour brûler son rhum afin les sortir de là et qu‘il était face à ses actes, il comprenait ce que son paternel avait voulu dire. Comble de tout, l’océan lui était désormais interdit … il avait sacrifié des dizaines d’innocents pour se sauver et ironiquement être le dernier survivant du Black Pearl ne lui laissait qu’un goût amer tandis qu’il réalisait qu’il s’était lui-même emprisonné sur cette terre inhospitalière. Ses barreaux étaient les contours de l’île maudite. Et les hurlements, les visages, les regards qui ne quittaient plus sa tête étaient un constant rappel de l’homme misérable et pleutre qu’il était. Ruminant ces pensées, la tête basse, Jack se dirigea vers les profondeurs de la forêt…

 

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James Norrington ne parvenait toujours pas à croire en sa bonne fortune, il avait le cœur de Davy Jones et les lettres de marques qui lui permettraient de retrouver sa place dans le monde dans lequel il avait toujours vécu. Une fois de plus il éclata de rire en pensant à la chance qui lui avait permis de remettre la main sur le cœur de Jones et à la stupidité de Sparrow. Pour une fois ce maudit pirate n’avait été le plus malin et, lui, James Norrington, avait réussi à le doubler. Les hommes de Jones avaient également fait preuve d’une stupidité sans limites en ne vérifiant pas la présence du cœur dans le coffre qu’il leur avait lancé. James sourit, à présent les monstres étaient loin, à la poursuite de Sparrow et il espérait bien que le pirate recevrait enfin le châtiment que ses nombreux méfaits méritaient. La pensée d’Elizabeth le traversa un instant et assombrit sa victoire toute neuve mais il se reprit bien vite. Elizabeth avait choisi son camp depuis fort longtemps, et elle n’avait jamais été dans le sien, lui préférant le panache des pirates et la candeur du petit forgeron qu’elle avait choisi d’épouser. James regarda autour de lui et chercha à percer la forêt dense pour trouver un moyen de quitter cette île maudite.

 

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Dans un coin du Hollandais Volant, Elizabeth tentait de se dérober aux regards concupiscents de ceux qui avaient été des hommes il y avait bien longtemps. L’odeur de mort qui régnait sur le navire lui soulevait le cœur et elle ne pouvait fermer les yeux sans voir le visage de Will alors qu’il lui disait adieu, le goût de ses lèvres encore sur les siennes, le sacrifice qu’il avait fait pour qu’elle vive. Une nouvelle larme coula sur sa joue en pensant que jamais plus Will ne la serrerait dans ses bras pas plus qu’il ne tiendrait la promesse qu’il avait fait à son père. Bill le Bottier resterait pour toujours esclave du Hollandais Volant tout comme elle. Et le grand architecte de tout ce gâchis, celui qui l’avait trahie, vendue, abusée, celui qui était responsable de la mort de Will s’était finalement enfui comme le lâche qu’il était. La rage s’ancra dans son cœur en évoquant l’image de Jack Sparrow le Capitaine Jack Sparrow, l’homme qui lui avait sauvé la vie il y avait si longtemps, l’homme en qui elle avait eu confiance, sur qui elle pensait pouvoir compter pour sortir Will des tentacules de Jones. Un rire froid, sec et amer lui échappa en songeant que c’était précisément à l’homme qui avait condamné Will qu’elle avait demandé de l’aide. Et il avait utilisé ses sentiments, son amour pour Will et sa reconnaissance teintée d’attirance pour lui-même pour mieux la manipuler. Jack Sparrow était méprisable et ils les avaient tous trahis. En particulier elle, il l’avait laissée croire qu’il était quelque un de bien … ou tout du moins qu’il tenait suffisamment à elle pour se comporter comme tel.

 

Elizabeth sécha ses larmes d’un geste rageur, elle ne pouvait pas se permettre de s’appesantir sur elle-même et sur sa vie brisée. Puisque Will était mort, elle devait à sa mémoire de tout faire pour rendre la liberté à ce père qu’il chérissait tant. Ce serait pour elle comme une ultime déclaration à celui auquel elle n’avait jamais dit je t’aime, préférant attendre la tendre intimité d’une nuit de noce ardemment désirée mais qui ne serait jamais la leur. Oui, elle devait trouver Bill le Bottier parmi tous ces monstres et tacher de découvrir une faiblesse chez Jones, un moyen de pression qu’elle pourrait utiliser. Elle saurait faire ça, elle avait eu le meilleur des professeurs en la matière…

 

La sensation d’une main froide et nauséabonde se posant sur son épaule la sortit de ses tristes pensées et elle du refouler son dégoût à la vue de l’homme à tête de requin qui se tenait devant elle. Il eut un sourire cruel et découvrit ses dents acérées qui s’avéraient bien utiles pour déchiqueter les corps et la releva sans douceur

« Le Capitaine Jones vous attends »

 

Le cœur d’Elizabeth marqua un arrêt …. Elle ne pouvait plus s’enfuir à présent, elle était l’esclave de ce poulpe et n’avait plus la moindre échappatoire. Jimmy Leg lui sourit plus largement, comprenant sans peine le cheminement de ses pensées… C’était monnaie courante que les malheureux nouveaux enrôlés sur le navire ne réalisent que trop tard la portée de leur engagement. Sa main se durcit sur l ‘épaule de la jeune femme et il la projeta à l’intérieur de la cabine de Jones avec un rire sinistre.

 

Les accords que Jones plaquaient rageusement sur son orgue résonnaient violement dans la pièce. Le cœur d’Elizabeth se serra devant la tristesse infinie de la musique jouée et elle se rappela de l’histoire d’amour malheureuse de Jones, peut être parviendrait elle à l’émouvoir ? Après tout elle était la seule femme à bord du Hollandais Volant et les regards que les autres malheureux lui avaient lancés lui conformait la rareté de ce fait. La musique s’arrêta brutalement et Elizabeth recula malgré elle lorsque Jones commença à avancer sur elle…

 

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Jack Sparrow progressait dans la forêt dense, ses pas le guidant sur ce qui avait été un refuge, l’église de l’île. Il ne savait pas trop ce qu’il allait chercher dans ce lieu mais il ne parvenait plus à réfléchir calmement, un éclair de cheveux blonds hantait sa mémoire et le faisait se sentir misérable et méprisable.

« J’ai confiance en vous Jack… Un jour … vous voudrez une chance d’être admiré.. Et récompensé… »

Il lui semblait encore entendre le murmure de sa voix, sentir le frôlement de sa bouche contre la sienne et Jack ouvrit des yeux terrifiés devant les sentiments qu’il découvrait : le remords d’avoir laissé mourir Lizzie Swann ainsi que son amoureux fidèle et le regret de n’avoir pas su se montrer digne de l’estime qu’elle semblait lui porter. Et de ne pas avoir mérité sa récompense.

 

L’air hagard, Jack commença à revenir sur ses pas et se dirigea vers la plage où il avait été si soulagé d’accoster quelques heures plus tôt. Jack serra nerveusement le poing, la boursouflure formée par la marque noire le brûlait à présent comme le souvenir de ce qu’il avait fait…

 

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Sur le Hollandais Volant, Jones dévisagea sans aménité la jeune fille qui tentait de cacher ses tremblements devant lui. Il prit le temps de bourrer sa pipe, gardant son œil bleu glacier sur Elizabeth, réjoui par la petite lueur d’espoir qu’il lisait dans ses yeux et qu’il allait bientôt avoir le plaisir insigne de faire disparaître. Il se positionna derrière elle et lui souffla à l’oreille.

« Alors Miss Swann… La compagnie vous plait elle ?

- J’ai connu mieux. » Répondit elle, saisie par un frisson de répulsion dû à la proximité de l’homme poulpe.

Jones recula et vint se placer devant elle.

« Tu crois que je vais t’épargner parce que tu es une femme, sorcière ? »

Elizabeth fit un pas en arrière devant la haine qui brûlait dans les yeux du capitaine.

« C’est à une femme que je dois ma présence sur ce navire…Une de ces créatures inconstantes et infidèles… Belle, si belle, de cette beauté qui fait se damner les pauvres fous dans mon genre. »

 

Elizabeth déglutit, croyant pouvoir saisir un moment de faiblesse du poulpe elle commença d’une voix douce.

« Je suis dés.. »

Une gifle brutale l’interrompit.

« Tu sais pourquoi je t’ai proposé de rejoindre mon équipage sorcière ? Parce que je veux te faire souffrir, je veux que tu sois traitée comme le méritent toutes tes pareilles ! »

Elizabeth se mit à trembler devant la folie qu’il irradiait.

« Et tu veux savoir l’ironie de tout cela ? Alors que tous les hommes de ce navire sont peu à peu assimilés par la mer, devenant pareille à ses créatures… Ta « beauté » demeura intacte… N’est-ce pas formidable ? Tu resteras ici, belle et désirable au milieu de tous ces hommes qui n’ont pas vu de sorcières dans ton genre depuis des années. Quelle torture pour eux ! » Ricana Jones.

 

Elizabeth trembla plus fort en comprenant les implications contenues dans les mots de Jones. Non il n’allait pas être ému par elle finalement… Elle s’était condamnée à cent ans de servitude et le regard de Jones lui soufflait que ce ne serait qu’une suite de tortures pour elle …

« Mais avant toute chose Elizabeth … dis-moi où se trouve mon cœur !!! »

Elle réfléchit rapidement, repassant le fil des événements, le coffre… la fuite de Norrington puis la panique de Jack alors qu’il fouillait la terre éparse sur le pont du navire

« Je ne sais pas, peut-être est-ce Jack qui l’a

- Sorcière !! Cesse de me regarder comme ça et répond !!

- Je ne sais pas. Je vous l‘ai dit je ne vois que Jack. » Répéta Elizabeth en tentant de dissimuler la haine que lui inspirait le pirate.

 

Jones leva à nouveau sa pince, prêt à frapper lorsqu’il fut interrompu par Maccus. Ce dernier pénétra dans la cabine et jeta un regard lascif dans la direction d’Elizabeth

« Capitaine … Le … le Kraken il ne va pas bien du tout. »

Jones se tourna et déplaça toute la masse nauséabonde qui lui tenait lieu de corps.

« Surveille la et n’y touche pas. Vous n’avez pas le droit de toucher cette créature du démon qui est venue ici uniquement pour vous torturer en exhibant ses charmes ! » Rugit Jones en sortant.

 

Elizabeth ne put s’empêcher de pousser un soupir de soulagement … Jones projetait juste de se servir d’elle pour torturer un peu plus ses hommes et par la même occasion la condamner à la solitude, attendu qu’elle ne pourrait se lier avec aucun de ses compagnons d’infortune. Mais elle s’en moquait. Elle n’était pas seule, Will, son sourire, son visage seraient pour toujours dans son cœur. Dans cent ans, dans mille ans, elle n’aurait pas oublié le petit forgeron qui avait ravi son amour. Rien que cette pensée illumina son visage d’un tendre sourire qui s’effaça bien vite lorsque Jones pénétra avec fracas dans la cabine. Jones congédia Maccus d’un geste hargneux et se tourna vers Elizabeth.

« Le Kraken est mort.. Une indigestion due à Mr Turner sans doute. Déclara-t-il en jouissant de la peine qui venait de déferler sur le visage de sa captive. Bien, nous allons causer….Dit-il en s’approchant de la jeune femme, trouvant particulièrement plaisant de la torturer. A quoi peux-tu bien me servir si tu ne peux pas me renseigner mmm ? »

 

Le cœur d’Elizabeth s’arrêta tandis que le sinistre poulpe s’approchait d’elle… elle savait qu’elle était désormais son esclave… et la lueur qu’elle lut dans ses yeux la terrifia.

 

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Sur le sable de l’île des Quatre Vents Jack Sparrow regarda pour la centième fois sa main avec incrédulité… La marque noire avait disparue et avec elle la douleur qui picotait sa main depuis des heures. Jack leva sa main à hauteur de son visage

« Libre… je suis libre. » Murmura-t-il sans voir l’homme qui approchait dans son dos.


Prologue                                                                                                           Chapitre 2


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