Chapitre 4 : Un compagnon d'infortune


Cela faisait maintenant une semaine qu’Elizabeth avait fait la connaissance du Comte Pavlov et la jeune femme n’avait jusqu’à présent eu aucune raison de regretter l’impulsion qui l’avait faite « Lady Beckett ». Le comte Pavlov, Sergei, était un homme charmant, cultivé et raffiné. Le genre d’homme que le père d’Elizabeth aurait été ravi de la voir épouser. Sauf que le Comte Pavlov était aussi un chasseur de pirates, dieu merci ses compatriotes lui suffisaient, et un bavard impénitent. Elizabeth ne savait pas trop lequel de ces deux défauts lui était le plus insupportable mais elle se surprenait souvent à devoir se retenir de ficher son petit poignard entre les omoplates du charmant comte.

 

Elle doutait cependant d’en avoir le temps. Son œil exercé et méfiant lui avait permis de remarquer que loin d’être aussi nonchalant qu’il l’affichait, le Comte Pavlov était en fait soigneusement protégé par des domestiques qui, lorsqu’on les regardait avec attention, tenaient plus du mercenaire que du serviteur zélé. Elizabeth contenait donc son impatience et s’efforçait de ne pas attirer les soupçons en posant des questions malvenues sur le « Feu de Glace ».

 

En cette glaciale fin d’après-midi, la jeune femme était donc assise au coin du feu dans le salon du Comte et dégustait une vodka lorsque ce dernier la fixa avec gravité.

«  Elizabeth…

- Oui ? Répondit cette dernière.

- Elizabeth. Je sais que vous n’êtes venue ici que dans l’unique but d’obtenir des nouvelles de votre époux mais votre attitude, me laisse espérer que peut être… »

 

Elizabeth serra les dents en comprenant qu’elle en était arrivée au point qu’elle redoutait et espérait à la fois… Elle avait séduit le Comte.

«  Que peut être ? Que voulez-vous dire Sergei Alexandrov ? » Lui demanda-t-elle, adoptant inconsciemment le parler des russes.

Le Comte sourit en la fixant. L’anglaise lui plaisait. Elle était jolie et bien faite. Correctement éduquée et dotée d’un caractère bien trempé. Mais par-dessus tout, elle était la femme de Cutler Beckett. Une femme peu au fait des inimitiés de son époux si il en jugeait par sa présence.

 

Le Comte Pavlov lui tendit un nouveau verre de vodka et reprit d’un ton froid.

«  Soyez ma maîtresse Elizabeth. »

La jeune femme s’étrangla à demi devant son franc parlé et le regarda d’un air médusé.

«  Je vous demande pardon ?

- J’ai dit : soyez ma maîtresse. Et croyez bien que je saurais vous dédommager à la hauteur du plaisir que vous me procureriez en acceptant. »

Elizabeth déglutit légèrement, totalement prise au dépourvu. La déclaration du Comte était aussi surprenante qu’insultante et elle grimaça instinctivement.

«  Je ne suis pas une fille de joie.

- Non vous êtes une aristocrate anglaise dont le mari a disparu et qui, au lieu de le chercher se divertit en ma compagnie depuis plus d’une semaine. Il me semble avoir été suffisamment patient Elizabeth. Je vous veux dans mon lit et il me parait que vous ne seriez pas hostile à cette idée.

- Mon époux risquerait de ne pas apprécier. Répondit Elizabeth d’un ton joueur.

- Je ne le vois nulle part. Et sans vouloir vous offenser ma chère, Lord Beckett n’a jamais été en reste lorsqu’il s’agissait de jolies femmes. »

 

Elizabeth retint de justesse une grimace tandis qu’elle imaginait Beckett se comportant comme un amant puis adressa un sourire avenant au Comte.

«  Je n’aimerais pas être une proie dans votre tableau de chasse Sergei.

- Dans ce cas soyez ma favorite. Cette nuit laissez-moi vous montrer l’amour à la russe plutôt que nos ballets.

- Et si je préfère la danse ? »

Le Comte la saisit brusquement par le poignet et l’obligea à se lever.

«  Cessez ce jeu Elizabeth. Soyez ma maîtresse cette nuit et les prochaines ou partez.

- Vous me chassez ? Demanda Elizabeth.

- Si je ne peux vous posséder.

- Et si je vous disais que je dois y réfléchir ?

- Je vous répondrais que la patience de chaque homme a ses limites. »

 

Elizabeth se mordit nerveusement les lèvres. Elle avait réussi à atteindre son but. Sauf que maintenant que c’était fait, elle ne pouvait penser sans réticences à la proposition du Comte. Flirter avec un autre que Will était une chose. Se retrouver dans un lit à ses côtés en était une autre. Et elle n’était pas sûre d’en être capable. Elizabeth s’humecta les lèvres et leva les yeux vers le Comte.

«  Toute femme aime à être désirée. Et courtisée.

- Tout comme le courtisan aime être encouragé. » Répondit le Comte.

Sa réponse amena un authentique sourire sur les lèvres d’Elizabeth. Elle s’approcha de lui et posa brièvement ses lèvres sur les siennes.

«  Est-ce un encouragement suffisant ? » Lui demanda-t-elle, sure de son fait.

 

Contrairement à ce qu’elle avait escompté, le Comte ne s’en contenta pas. Un éclat froid brilla un instant dans son regard tandis qu’il l’attirait contre lui. Sa bouche s’empara de celle d’Elizabeth pour un baiser aussi méthodique qu’exigeant, sa langue explora rapidement sa bouche avant de la relâcher. Elizabeth le toisa, rassurée au fond d’elle-même : malgré tout son savoir-faire, le baiser du Comte l’avait laissée froide, ou tout du moins maîtresse d’elle-même. Cette indifférence la rassura. Elle avait craint un moment de se laisser aller à éprouver un plaisir qui eut été une trahison à l’égard de Will.

«  Je vous donnerais ma réponse ce soir Sergei Alexandrov.

- Je brûle de désir de la connaître. Et j’espère que vous serez à mes côtés demain pour m’accompagner dans mon domaine. Vous ferez une compagne de voyage stimulante. »

 

Elizabeth fronça les sourcils.

«  Vos terres ? Je pensais que votre résidence était ici ?

- Le berceau de ma famille se trouve un peu plus au Nord. »

Au nord… Songea Elizabeth avec désespoir. Comme s’il ne faisait déjà pas assez froid. La main du Comte se posa à nouveau sur sa taille et elle s’écarta résolument.

«  Ce soir Sergei Alexandrov.

- Dans ce cas j’ai hâte d’y être. » Répondit le Comte en la fixant.

 

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Elizabeth poussa un soupir de soulagement en sentant l’air frais lui fouetter le visage. Elle en avait plus qu’assez de l’atmosphère étouffante des salons du Comte ainsi que du petit jeu de séduction qu’elle se forçait à lui jouer. Elle préférait cent fois être à la barre de l’Empress, porter des vêtements d’homme et sentir les embruns. Mais si elle voulait sauver Will, il n’y avait pas d’autres solutions.

 

Songeuse, la jeune femme prit place dans le carrosse que le Comte avait mis à sa disposition et se laissa conduire au port: contrairement à ce qu’elle avait craint, le Comte avait avalé sans sourciller qu’elle voyage sur une jonque appartenant prétendument à Beckett. Il fallait croire que les russes étaient plus ouverts d’esprit sur les femmes que les anglais. Elle poussa pourtant un soupir de soulagement en mettant pied à terre devant l’Empress, rebaptisé Le Victory pour l’occasion.

 

Ignorant superbement le cocher ainsi qu’il était d’usage de le faire avec la domesticité, Elizabeth monta à bord de la jonque, l’esprit en ébullition. Comment faire pour éviter de se soumettre au désir qu’elle avait tout fait pour provoquer ? Elle jeta un regard distrait à ses hommes avant de s’immobiliser brusquement

«  Où est Tai Huang ? Demanda-t-elle.

- Négocier les fourrures. » Lui répondit un homme.

Rassurée, Elizabeth le remercia d’un signe de tête et retourna s’enfermer dans sa cabine.

«  Dites-lui de me rejoindre dans ma cabine lorsqu’il sera revenu. » Ordonna-t-elle.

 

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Près de deux heures plus tard et alors qu’Elizabeth avait presque réussi à ébaucher un plan qui lui permettrait de repousser le moment de se soumettre au désir du Comte un coup bref fut frappé à la porte.

«  Entrez. » Ordonna Elizabeth.

Tai fit son apparition, un sourire satisfait sur les lèvres auquel Elizabeth ne fit pas attention.

«  Capitaine Swann Turner, la salua-t-il mettant dans les trois mots tout le mépris qu’il ressentait à l’égard de la jeune femme.

- Je vais avoir besoin de toi et de quelques hommes. Je vais partir ce soir dans l’intérieur des terres. Le « feu de glace » se trouve là-bas. J’aimerais que tu restes sur l’Empress en m’attendant.

- Bien Capitaine, capitula immédiatement Tai.

- Gorsk, Xiaphan , Fing et Poreng me suivront à distance. » Continua Elizabeth qui avait consacré de longues heures à choisir les hommes dont elle était le plus sûre, si tant est qu’elle pouvait l’être des pirates.

 

Tai ne broncha pas et Elizabeth posa un regard froid sur lui.

«  Inutile que je te ré explique ce qui arrivera si l’Empress n’est pas là à notre retour n’est-ce pas Tai ?

- Vous Capitaine » Soupira Tai.

Elizabeth grimaça, elle aurait dû demander au Comte où se trouvaient ses terres, peut-être s’y trouvait-il un port à proximité… Encore une négligence due à son manque d’expérience.

«  Sors maintenant. Ordonna-t-elle avec une moue contrariée.

- Oui Capitaine. Bon voyage Capitaine… » Lui lança Tai.

 

Elizabeth n’y prit pas garde agacée par sa négligence et pressée de peaufiner les détails du plan qui lui permettrait d’échapper aux assiduités du Comte. A cette pensée, la jeune femme soupira. Elle avait enduré sans broncher les supplices divers auxquels l’avaient soumise les soldats de la Compagnie. Le fouet, les tisons, les geôles humides, la privation de nourriture. De nombreuses fois, elle avait craint qu’ils ne la violent mais leur peur des maladies attribuées aux pirates l’avait protégée de cet outrage. Bien sûr il y avait une différence entre un viol et le fait de s’offrir au Comte. En l’épousant, elle avait fait une promesse à Will, celle de n’appartenir qu’à lui. Et elle ne trahirait cette dernière que s’il n’y avait pas d’autres choix. Pour le Comte, elle entendait bien le faire patienter jusqu’à ce qu’il lui dévoile le « feu de glace ».

 

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Le cœur serré d’angoisse, Elizabeth resserra les pans de sa fourrure autour d’elle et se présenta à la porte du Comte que le valet lui ouvrit avec diligence. Un sourire tremblant aux lèvres, Elizabeth s’avança dans le salon richement décoré et se prépara à jouer sa partie.

«  Ma chère Elizabeth. Avez-vous pris une décision ? » Lui demanda le Comte.

 

La jeune femme tiqua, le Comte ne perdait pas de temps. Plaquant un sourire séducteur sur ses lèvres, elle avança vers lui

«  Je suis navrée Sergei, mais je ne peux m’offrir à vous cette nuit… Beaucoup savent que je suis à Primorsk et je serais une femme perdue si cela venait à se savoir. »

Le Comte lui lança un regard glacial et Elizabeth sentit son cœur se serrer à la pensée que tous ses efforts des derniers jours venaient probablement d’être réduits à néant.

«  Cependant il me plairait de vous accompagner Comte. Et si vos terres sont aussi isolées que je l’imagine, alors sans doute que ma réputation serait à l’abri des mauvaises langues.

- Je vois… » Répondit le Comte avec froideur.

Elizabeth inspira profondément et avança dans sa direction.

«  De plus, il me semble que si j’acceptais votre proposition dès cette nuit, l’opinion que vous avez de moi en souffrirait une fois le plaisir de l’étreinte dissipé. Et je ne le souhaite pas… Prenons le temps de nous connaître voulez-vous ? » Suggéra-t-elle en rosissant.

 

Elizabeth retint son souffle tandis que le Comte lui tournait brusquement le dos, les mâchoires serrées. Désespérée, elle résolut de s’offrir si la situation devenait impossible mais le Comte se retourna brusquement, les traits détendus.

«  Je comprends pourquoi l’Europe s’enflamme pour les roses anglaises. Il est en effet plus délicat de vous cueillir que ces françaises à qui il suffit de proposer de s’asseoir pour se retrouver entre leurs cuisses. Soit ma chère, je ferais donc en sorte de vous conquérir. »

Un authentique sourire aux lèvres, Elizabeth s’inclina légèrement.

«  J’étais certaine qu’en homme du monde, vous comprendriez mes réticences.

- Bien sûr. Approuva le Comte en s’approchant d’elle. Vous m’autoriserez cependant à demander, disons un encouragement ? »

 

Elizabeth sourit tandis qu’il se penchait sur elle et répondit à son baiser, soulagée qu’il se contente de cela et qui était tout ce qu’elle avait l’intention de lui offrir. Les mains chaudes du Comte se placèrent sur sa nuque tandis qu’il l’embrassait avec un savoir-faire non dénué d’une certaine froideur et elle songea que pour cet homme, les choses de l’amour n’étaient somme toute qu’un domaine de plus dans lequel il recherchait l’excellence. Le souffle de Sergei se mêla au sien et elle écarta les lèvres, puis plaqua son corps contre celui du Comte tandis qu’il glissait ses mains dans son dos.

 

Emportée par le baiser malgré elle, Elizabeth ne vit pas venir l’attaque et poussa un cri en se retrouvant brutalement plaquée contre le sofa.

«  Que faites-vous ! » Paniqua-t-elle en sentant les mains du Comte relever sans pitié sa robe, déchirant l’étoffe dans leur hâte.

Paniquée, elle sentit ses doigts parcourir le bas de son dos et elle blêmit.

«  Ce que je fais ma chère c’est que je vérifie le souvenir que la Compagnie vous a laissé. » Rétorqua le Comte qui déchira la fine chemise qui la couvrait et exhiba le P que lui avait valu son séjour dans les geôles.

Tout en cherchant à attraper le poignard qui ne la quittait jamais, Elizabeth balbutia.

«  Je … Non c’est une fantaisie de mon époux et … »

 

La gifle claqua sèchement et Elizabeth se retrouva immobilisée par une poigne de fer.

«  Me croyez-vous si stupide Elizabeth Swann ?

- Je, je ne vois pas de qui vous voulez parler…

- Vraiment ? Il est vrai que votre plan aurait pu fonctionner. Vous faire passer pour la femme de mon plus ancien ennemi pour me charmer était une idée de génie… »

Médusée, Elizabeth le fixa sans comprendre.

«  Oh vous ne le saviez pas ? J’ai un compte à régler avec Beckett. Une ancienne dette dirons-nous. J’avoue que j’ai marché dans votre petite mise en scène. Vous ne ressemblez pas aux autres pirates. Vous êtes aussi raffinée que cultivée, sans doute un reste de l’éducation que vous avez reçue. En fait je me serais laissé prendre si ce chinois n’était pas venu me mettre en garde. »

 

Elizabeth blêmit et tenta de se débattre, folle de rage en comprenant que Tai Huang, loin de se soumettre l’avait littéralement vendue au Comte. Une nouvelle gifle la cueillit et l’assomma à demi. Le Comte la souleva brutalement de son siège et la tira vers la porte.

«  Vous auriez dû profiter de votre avantage tant que vous le possédiez Elizabeth.

- Qu’allez-vous faire ! Ragea la jeune femme

- Je vais m’assurer que vous connaissiez le sort de vos semblables. Pirate. » Répondit le Comte en la traînant vers le fond de la maison

 

Elizabeth gémit, certaine que l’autre allait la tuer. Le cœur serré, elle songea à Will qu’elle avait tant voulu libérer et qu’elle ne reverrait jamais à présent. Le Comte vit ses larmes et son visage se déforma en une grimace cruelle.

«  Non je ne vais pas vous pendre Elizabeth. Je laisse cela à Beckett. Moi je préfère que mes proies aient le temps de penser à leur vie de débauche. »

La nouvelle rassura brièvement Elizabeth avant qu’elle ne remette à trembler lorsque le vent glacial caressa ses épaules.

 

Le Comte lui passa avec dextérité des fers aux poignets et la fixa avec dégoût.

« Vous allez faire un petit voyage finalement Elizabeth. Cependant j’aimerais savoir, pourquoi moi ? »

Elizabeth grinça des dents. A présent qu’elle était découverte, il était inutile de nier.

«  Le Feu de Glace. Avoua-t-elle. J’en ai besoin pour négocier la libération de mon époux. »

Un rire tonitruant lui répondit et le Comte la regarda avec mépris.

«  Et vous comptiez sur votre beauté pour vous le voir offrir. Navré ma chère mais le seul charme que vous ayez à mes yeux était l’époux que vous vous êtes attribué. Vous n’êtes pas le genre de femme pour laquelle un homme fait des folies. Vous n’êtes pas assez belle pour ça. »

 

Elizabeth le regarda d’un air noir et encaissa le coup porté à son orgueil. Le Comte ricana et la jeta dans une voiture fermée.

«  Adieu Capitaine Swann. J’espère que votre voyage vous plaira… »

Elizabeth poussa un cri de rage tandis que le carrosse s’ébranlait lentement.

 

()()

 

Folle de terreur, Elizabeth entreprit de cogner contre les parois de la voiture, cherchant à les faire céder jusqu’à ce que les jointures de ses poings ne se mettent à saigner. Sans succès. Le capitonnage du carrosse était fait d’acier au lieu des tissus confortables qui garnissaient habituellement ce genre de transport. Elizabeth gémit et se laissa aller en arrière.

«  Tai Huang tu me le paieras. » Ragea-t-elle à voix haute, la colère la distrayant de son angoisse.

 

Elle se força au calme et entreprit d’examiner la voiture à la recherche d’une faille. Ses mains entravées s’attardèrent sur l’acier des barreaux et elle secoua ces derniers avant de s’immobiliser. Ils étaient sur le port. Elizabeth colla son œil à la fenêtre grillagée et son cœur bondit en reconnaissant Tai Huang, qui soigneusement placé sur la route, s’inclina à son passage, un sourire triomphant aux lèvres.

 

Elizabeth se répandit en imprécations qui eussent fait rougir de honte son père et se recula finalement dans sa cellule mouvante. Hurler après Tai Huang ne l’aiderait pas à s’échapper. Elle devait réfléchir. Trouver une solution. Après tout elle avait déjà réussi à s’évader des prisons de la Compagnie. Il n’y avait pas de raisons pour qu’elle ne trouve pas cette fois. La jeune femme ferma donc les yeux et s’obligea à se détendre tandis qu’elle cherchait un moyen.

 

Au bout d’un temps qui lui parut durer des siècles, la voiture s’immobilisa et Elizabeth se raidit en entendant des pas se rapprocher. Sergei ne lui avait pas pris son poignard. Serrant le manche dans sa main droite, Elizabeth prit une inspiration et se prépara à poignarder le premier homme qui passerait à portée de sa lame.

 

La porte s’ouvrit lentement et elle frappa à l’aveuglette. Un cri de rage et de douleur lui échappa en sentant une main se refermer sur son poignet et le tordre sans ménagement.

«  Je vous en prie c’est une erreur. » Tenta-t-elle, changeant désespérément de technique.

Un visage imperturbable lui répondit et Elizabeth se retrouva traînée hors de la voiture.

 

Soigneusement encadrée par deux colosses, Elizabeth frissonna autant de peur que de froid en se sentant traînée vers un bâtiment de pierre sinistre. Les yeux de la jeune femme examinèrent rapidement l’endroit et sa peur décupla en constatant qu’hormis l‘édifice, tout était désert.

«  J’ai de l’argent… tenta-t-elle. Laissez-moi partir et je vous paierais… »

Une fois de plus personne ne lui répondit et Elizabeth n’eut pas d’autre choix que de se laisser traîner à l’intérieur du bâtiment. La puanteur qui y régnait la saisit à la gorge et Elizabeth gémit à la vue du long couloir désert aux murs duquel pendaient des fers à demi rouillés.

«  Où m’emmenez-vous ! » Paniqua-t-elle.

 

Les hommes se contentèrent d’accélérer le pas et Elizabeth gémit en entendant son poignet craquer sous la vigueur de l’étreinte de celui qui la maintenait. Finalement ils s’arrêtèrent brusquement et un cliquetis se fit entendre, suivit d’un gémissement lugubre. L’arme au poing le second homme mit en joue l’intérieur de la cellule et s’exclama en russe tandis que l’autre jetait durement Elizabeth à l’intérieur.

 

La jeune femme trébucha, gênée par ses chaînes et gémit lorsque son dos heurta durement le mur. Sans un regard les hommes refermèrent la cellule et elle ne put qu’entendre leurs pas décroître.

 

()()

 

Les lèvres serrées de douleur, Elizabeth jeta un regard circulaire à ce qui l’entourait et plissa les yeux, cherchant à discerner les choses dans la pénombre qu’un faible rayon de lune éclairait.

«  Anglaise ? » Interrogea brusquement une voix.

Elizabeth tiqua en l’entendant. Méfiante elle se rapprocha lentement de la direction dont elle provenait et répondit d’une voix hésitante.

«  Qui est là ? »

 

Un mouvement la fit reculer instinctivement et Elizabeth faillit laisser échapper une exclamation de surprise en découvrant l’occupant de la cellule.

«  Madame Turner… » Soupira Barbossa.

La jeune femme réfléchit rapidement et le souvenir de l’attaque du navire des parents de Sonja lui revint en mémoire.

«  C’était vous ! 

- Moi ? Demanda Barbossa. Vous paraissez surprise de me voir.

- Je vous croyais en route pour la Fontaine de Jouvence. Rétorqua Elizabeth. Où sont Jack et les autres ? »

 

Au moment où elle posait sa question, la jeune femme comprit que cette dernière était une mauvaise idée. Barbossa rougit de rage et la fixa.

«  Ce chien m’a pris par surprise et m’a volé le Black Pearl. La bande de bâtards que vous appelez équipage l’a suivi et m’a laissé derrière. »

Ébahie, Elizabeth le fixa.

«  Vous voulez dire que Jack a … qu’il a …

- Une mutinerie !!! S’exclama Barbossa fou de rage. Je lui avais repris le Pearl mais il nous a retrouvé et il…

- Vous a volé le Pearl à son tour. » Compléta Elizabeth en se retenant pour ne pas rire tant la situation lui semblait inédite.

 

Barbossa lui lança un regard hostile.

«  Vous n’avez pas répondu à ma question Madame Turner : qu’êtes-vous venue faire ici ? Vous n’êtes pas venue m’aider vu votre surprise. Et je dois avouer que je pensais que la Compagnie vous avait pendue après avoir mis la main sur vous à Tripoli. »

Elizabeth grimaça, le souvenir de ses semaines d’enfermement encore douloureux.

«  Tout comme vous vous êtes empressé de venir m’aider … » Ironisa-t-elle.

 

Barbossa sourit légèrement.

«  Il me semblait que vous étiez de taille à vous défendre seule non ? D’ailleurs si ça n’était pas le cas, vous ne seriez pas ici cette nuit. Encore qu’il aurait mieux valu pour vous de rester là-bas… »

Revenant à des préoccupations plus urgentes Elizabeth fixa les murs qui les cernaient.

«  Où sommes-nous ?

- Dans la geôle privée du Comte Pavlov. » Répondit Barbossa avec rancœur.

Elizabeth tiqua. Si Barbossa était ici c’était donc qu’il avait eu maille à partir avec le Comte… Ce qui ne pouvait signifier qu’une chose : il voulait le « Feu de Glace ».

 

Barbossa la toisa.

«  Alors qu’êtes-vous venue chercher Madame Turner ?

- Et vous comment avez-vous atterri ici ? Contra Elizabeth, peu désireuse de dévoiler ses projets.

- Ne jouez pas à la plus maligne avec moi Madame Turner… De toute évidence vous aussi vous convoitez le joyau de Feu. Ce que je me demande c’est que comptiez-vous en faire ? »

Elizabeth soupira. Il ne servait à rien de mentir, d’autant plus que Barbossa et elle étaient dans la même situation précaire.

«  L’échanger contre la liberté de Will. Et vous ?

- L’échanger contre l’immortalité. Répondit Barbossa. J’aurais dû me douter que vous ne faisiez cela que dans l’intérêt de Turner.

- Et pour quoi d’autre ? » Se rebiffa Elizabeth.

 

Barbossa la regarda d’un air las.

«  Vous ne vous êtes jamais dit que votre William n’était pas la seule chose que pouviez désirer ?

- Et vous ? » Contra Elizabeth, piquée au vif.

Barbossa dédaigna de répondre et la toisa, un sourire vaguement amusé aux lèvres en découvrant sa tenue.

«  Apparemment votre plan d’attaque était moins sanglant que le mien, que s’est-il passé ?

- Tai Huang m’a trahie… Soupira Elizabeth avec rancœur.

- Vous l’avez gardé ? S’étonna Barbossa. Vous n’auriez pas du. Surtout après qu’il se soit déjà mutiné une fois.

- J’oubliais que vous en connaissiez un rayon dans ce domaine. » Rétorqua Elizabeth, encore plus furieuse de l’entendre exprimer ce qu’elle s’était répété durant tout le trajet.

 

Un silence s’installa puis la jeune femme prit la parole.

« Comment sort-on d’ici ?

- Vous croyez que je serais encore là si je le savais ? » Lui renvoya Barbossa.

Elizabeth rougit légèrement et désigna la fenêtre d’un signe de la tête.

«  Si vous me faisiez la courte échelle peut être parviendrait-on à desceller ces barreaux ? Ou alors mettons un plan au point pour attaquer les gardiens lorsqu’ils viendront nous donner à manger »

Barbossa la fixa.

«  Ils ne viendront pas Madame Turner… Depuis deux semaines que je suis ici, ce soir est la seule fois où ils sont venus. »

 

Elizabeth blêmit.

«  Deux semaines… Mais dans ce cas comment avez-vous ? 

- Avez-vous déjà goûté de la viande de rat Madame Turner ? » Répondit Barbossa.

Une grimace écœurée sur le visage, Elizabeth le fixa.

«  Vous plaisantez.

- Vous croyez vraiment qu’il y a de quoi rire ??? S’énerva Barbossa. Croyez-moi, j’ai tout tenté pour sortir d’ici. Mais cette prison est tellement sûre que Pavlov n’a pas besoin d’hommes pour la garder. Le seul avantage c’est que les rats y pullulent.

- Mais. Commença Elizabeth, peu désireuse de s’attarder sur le sujet des rats. Que compte-t-il faire de nous ? »

 

Barbossa la regarda d’un air moqueur.

«  Vous ne savez vraiment pas à qui nous avons affaire n’est-ce pas ?

- Non… Répondit Elizabeth qui frissonna brièvement.

- Dans ce cas laissez-moi donc vous parler de Sergei Pavlov. Cracha Barbossa. Les rats peuvent bien attendre. »


Chapitre 3                                                                                                        Chapitre 5


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