Chapitre 9 : La visite de l'oncle Michael


Elizabeth referma pensivement son nouveau livre de pirate, obtenu dans la bibliothèque d‘un ami de son père à l‘issue de nombreuses sueurs froides, un vague sourire aux lèvres. Il lui avait fallu des mois pour lire et comprendre les mots qu’il contenait et elle avait souvent du ruser pour demander à Mlle Woods de lui expliquer la signification de mots tels que « radouber », « ligne de flottaison » ou encore « cabestan ». Elle avait aussi découvert que les pirates possédaient leurs propres drapeaux, des « pavillons » et que ce dernier avait même un nom : Jolly Roger. La petite fille connaissait à présent aussi bien que certains officiers anglais la signification des différents couleurs arborées par les pirates : le noir à tête de mort qui indique aux navires de se rendre sans combattre et le pire de tous, le rouge à tête de mort qui annonce un combat sans merci.

 

Au début, Elizabeth avait éprouvé quelques difficultés à l’idée que les pirates pouvaient faire couler le sang d’innocents. Mais finalement, elle s’était persuadée que: une le livre étant écrit par des anglais ne disait pas vraiment la vérité et deux, son pirate prêtre n’était pas un fou avide de sang comme Sao Fengue. Elle-même lorsqu’elle serait pirate, ce qu’elle était sure ce devenir un jour, ne serait pas inutilement cruelle. Et Elizabeth s’imaginait déjà, tenant dans ses petites mains la lourde barre d’un navire tandis qu’une brise faisait flotter au vent ses cheveux. Elle n’aurait pas besoin de se battre pour obtenir la cargaison des navires, il lui suffirait de monter à bord, le couteau entre les dents et de demander poliment une partie de la marchandise après avoir retiré le couteau de sa bouche bien entendu. Nul doute qu’on la lui donnerait. Elle deviendrait ainsi une grande pirate et aussi une lady, pour faire plaisir à son papa. Elle partirait sur les mers et ferait ce qu’elle voudrait quand elle le voudrait !! Plus d’heures de repas ni de sieste, ni d’études, ni de bonnes manières. Elle serait libre d’agir comme bon lui semblerait,           à côté de cela quelques récits d’abordages sanglants, sûrement exagérés d’ailleurs, n’étaient qu’un détail.

 

Miss Asst pénétra dans la chambre de la petite fille et la sortit de ses réflexions.

«  Vous êtes bien silencieuse Miss Elizabeth. Est-ce le fait d’avoir eu huit ans qui vous rend si grave ?

- Non je réfléchissais c’est tout. » Répondit la petite fille en affectant un air pédant.

En effet, Elizabeth avait compris depuis plusieurs mois que le meilleur moyen de ne pas obéir était encore de feindre de le faire. Aussi était-elle à présent d’une exquise politesse envers Mrs Brode dont l’antipathie envers elle n’avait toutefois pas diminuée.

«  Toujours vos histoires de pirates. » Soupira Miss Asst plus pour elle-même que pour la petite.

 

Elizabeth se raidit, son visage enfantin se marbra de rouge alors qu’elle feignait inutilement l’innocence.

« De quoi ? » Demanda-t-elle d’un ton étranglé.

Miss Asst soupira à nouveau et se dirigea vers le coffre à jouets d’Elizabeth d’où elle exhuma calmement les différents ouvrages que des larcins divers avaient permis à la petite fille d’acquérir.

« Oh mais qu’est-ce que ça fait ici ? » Fit semblant de s’étonner Elizabeth, une grosse boule dans l’estomac.

 

Miss Asst se leva tranquillement et alla fermer la porte tandis qu’Elizabeth sentait des larmes de honte bien peu piratesques lui brûler les yeux.

« Miss Elizabeth. Vous êtes assez grande maintenant pour que je m’autorise à vous le dire. Les pirates sont mauvais.

- Mais ?

- Non Miss Elizabeth. Vous avez lu ces livres et ce qu’ils contiennent. Je n’en ai rien dit à votre père et je ne compte pas le faire. Seulement j’aimerais comprendre ce qui vous plait tellement chez des meurtriers et des assassins. »

Elizabeth baissa les yeux et comprit qu’il était inutile de nier.

«  Ils obéissent pas …

- Oh … Murmura Miss Asst avant de lui lancer un regard rempli de pitié. Pauvre petite … Ajouta-t-elle en lui caressant les cheveux, songeant que les rêves d’indépendance d’Elizabeth seraient brisés bien assez tôt sans qu’elle ait besoin de le faire.

- Vous allez le dire à Papa ou Mrs Brode ? Demanda Elizabeth d’une voix tremblante en s’efforçant de retenir ses larmes.

- Non. Je vous l’ai dit je ne dirais rien. Mais en échange j’aimerais que vous me fassiez à votre tour une promesse.

- Laquelle ?

- Ne prenez plus ce genre de livres dans les bibliothèques des amis de votre père Miss Elizabeth. Assena Miss Asst qui ouvrit un traité de marine sur lequel il était écrit avec élégance que le livre appartenait à Sir Jias. Imaginez la honte de votre père s’il apprenait que sa petite fille est une voleuse. »

 

Elizabeth rougit de plus belle, le cœur serré à l’idée d’avoir déçu sa Nanny qui veillait jalousement sur elle depuis des années.

« Je les ai juste empruntés. Se justifia-t-elle d’une toute petite voix. Je comptais les rendre.

- Je n’en doute pas. Seulement veillez à cesser vos emprunts Miss Elizabeth. Surtout si le propriétaire ignore tout de ces derniers.         

- Oui Miss Asst. » Murmura Elizabeth, rouge de honte.

La nurse la regarda en souriant et sécha doucement les larmes de la petite fille.

« Allons venez Miss Elizabeth. Vous ne voudriez pas manquer votre promenade n’est-ce pas ?

- Non. » Répondit la petite fille, toute exultation envolée.

 

Après cette conversation, Elizabeth passa des jours à trembler que son père ne tonne de sa voix sévère et ne la convoque dans son bureau avant de comprendre que sa nurse tiendrait sa promesse de silence. L’incident ne fut plus jamais évoqué et Elizabeth s’en tint à sa parole: elle n’emprunta plus jamais d’ouvrages aux amis de son père. Pourtant, le temps passant, sa soif de connaissance devint besoin irrépressible et la petite fille avait de plus en plus de mal à ne pas questionner avec avidité les officiers qui venaient leur rendre visite.

 

Elizabeth garda donc une politesse et un vernis de façade et se contenta de relire ses vieux ouvrages jusqu’à les connaître par cœur sous le regard indulgent de Miss Asst qui se refusait à briser ses rêves. Jusqu’au jour où Weatherby pénétra dans le salon en agitant une enveloppe dans sa main.

« Elizabeth il va falloir t’habiller ma chérie. Devine qui vient nous rendre visite ?

- Des amis à toi ? Demanda la petite fille sans entrain en s’imaginant déjà passer l’une de ces longues soirées qui l’épuisaient toujours tant elle s’efforçait de se maîtriser.

- Mieux que ça. Ton oncle Michael et sa fiancée. »

 

Elizabeth fronça quelques instants les sourcils avant de se souvenir de cet oncle à la bonne odeur de brandy et aux manières joviales qui lui avait un soir parlé de liberté. Weatherby se frotta les mains.

«  Ton oncle vient présenter sa fiancée, une certaine Eliza. Sourit Weatherby. Tu vois elle porte presque ton prénom. »

Elizabeth sourit joyeusement à cette nouvelle et se précipita dans sa chambre, pressée d’annoncer la bonne nouvelle à sa nurse…

 

()()

 

Le soir venu, Elizabeth, toute de rose vêtue comme son père aimait à la voir, se leva presque timidement en voyant entrer un homme au teint halé et aux manières rudes dans le salon de la famille Swann. A son bras était accrochée une frêle créature âgée d’un peu près seize ans dont la délicate blondeur et les yeux clairs tranchaient avec l’apparente rudesse de son compagnon. Michael s’approcha de Weatherby et lui serra vigoureusement la main avant de se tourner vers la jeune fille qui l’accompagnait.

« Mon cher beau-frère, je vous présente Eliza Monk qui m’a fait l’honneur d’accepter ma demande en mariage.

- Oh … et bien fort bien. » Se reprit rapidement Weatherby un peu surpris par la jeunesse de la fiancée.

Eliza sourit timidement tandis que Michael se penchait sur Elizabeth.

«  Et voici donc ma petite nièce, Elizabeth. Qui est presque une demoiselle à présent. »

 

Elizabeth rougit de plaisir tandis que son père s’empressait de reprendre son beau-frère.

« Elle n’a que huit ans. Elle a tout le temps de grandir.

- Oh mon cher si vous viviez comme nous dans les Indes vous ne diriez pas ça. Répondit Michael d’un ton légèrement supérieur.

- Et bien … » Commença Weatherby sans trop savoir quoi dire.

Il accueillit avec soulagement l’annonce de l’arrivée de Charles et Alice Dove.

 

Les grands parents d’Elizabeth arboraient ce soir-là un sourire radieux, bien loin des mines contraintes qui étaient les leur à l’annonce du départ de Michael quelques années plus tôt. Il faut dire que le domaine que le jeune homme avait en son temps gagné aux cartes s’était révélé être une vraie mine d’or et avait fait de Michael l’un des membres les plus respectés de la société anglaise installée aux Indes.

 

Elizabeth, se tortilla sur sa chaise, grillant d’impatience à l’idée de poser des questions sur ces Indes lointaines à son oncle. La petite fille lançait également des regards intrigués en direction d’Eliza Monk, qui, les yeux baissés, s’appliquait à garder un silence emplit de retenue.

« Dites-moi Eliza, depuis quand avez-vous quitté Londres ? La civilisation ne vous manque pas trop dans les Indes ? Demanda Alice qui espérait toujours le retour de son fils.

- Non Madame Dove. En fait, c’est la seconde ou la troisième fois que je viens à Londres. Je suis née et j’ai grandi aux Indes. Répondit la jeune fille en rougissant.

- Vraiment ? S’étonna Weatherby.

- Le père d’Eliza, Oliver Monk est installé aux Indes depuis des années, il occupe de grandes fonctions au sein de la Compagnie des Indes, mais le berceau de sa famille est à Plymouth. » S’empressa d’expliquer Michael.

 

Le repas se déroula correctement et parut donc aussi ennuyeux qu’à l’accoutumée à la petite Elizabeth. Il n’y était question que de chiffres et commerce d’épices rares et si la petite fille avait un moment caressé l’espoir de poser des questions à cette Eliza qui serait bientôt sa tante, elle fut rapidement déçue. En effet, malgré une existence passée aux Indes, la jeune fille semblait être l’exemple parfait d’une éducation à l’anglaise, elle baissait les yeux quand il le fallait, répondait aux questions avec retenue quand elle ne laissait pas son fiancé répondre pour elle et mangeait du bout des lèvres avec des mouvements gracieux.

 

Elizabeth suivit donc les adultes au salon sans grand enthousiasme, elle avait espéré plus de cet oncle dont le discours sur la liberté semblait à présent bien loin.

«  Eliza est une excellente musicienne. Commenta Michael avec fierté. Et notre petite Elizabeth ? Joue t’elle d’un instrument ?

- Non ! S’écrièrent en même temps le père et la fille qui se souvenaient encore de l’épisode gênant de leur soirée chez les Ashford quelques années plus tôt.

- Hélas non … Commenta Alice. Pourtant un duo aurait été si charmant. Regretta-t-elle.

- Vous ne diriez pas ça si vous aviez déjà entendu Elizabeth jouer. » Marmonna Weatherby tout en souriant à sa fille.

Elizabeth se sentit brusquement très intéressée par le bout de ses pieds, attendu qu’elle savait fort bien ne faire aucun effort pour tirer des notes harmonieuses de l’instrument, trouvant le fait de rester assise devant un piano tout sauf amusant.

«  As-tu reçu mes cadeaux Elizabeth ? » Demanda Michael.

La petite fille se remémora un instant les poupées et autres joujoux multicolores qui s’étaient succédés au cours des années et hocha la tête.

« Oui Oncle Michael. Merci. 

- Si tu ne joues pas de musique. A quoi occupes-tu ton temps ? » Demanda brutalement Eliza à la petite fille.

 

Des images de courses effrénées dans le parc lorsque personne ne la voyait et de batailles contre des ennemis invisibles traversèrent l’esprit de la petite fille et elle ouvrit la bouche, un peu embarrassée.

« Ma fille aime beaucoup lire. Commenta Weatherby.

- Oh. Et que lis-tu ? Demanda Michael, brusquement intéressé. Eliza lit peu, elle trouve cela trop fatiguant.

- Et bien des histoires. Commença lentement Elizabeth. J’aime bien ce qui se passe sur l’eau.

- Elizabeth, Elizabeth semble fascinée par les bateaux. Expliqua Weatherby un peu gêné.

- Une lubie. Commenta Charles.

- Oh. Mais tu sais Elizabeth, les océans sont remplis de danger. Expliqua Michael.

- Ces maudits pirates. » Frissonnèrent de concert Eliza et Alice.

 

Elizabeth se mordit la lèvre et se retint de justesse de parler de ces pirates, qui, justement, la fascinaient tellement.

« Mais notre glorieuse armée et la Compagnie auront tôt fait de châtier ces moins que rien. Déclara calmement Charles.

- J’aime bien les légendes de la mer. » Murmura Elizabeth d’une petite voix.

Michael sourit légèrement et caressa la joue de la petite fille avec affection.

« Je crois que le moment venu, notre petite Elizabeth sera une épouse parfaite pour l’un de nos plus glorieux officiers. Les hommes aiment à avoir une femme qui s’intéresse à leur devoir.

- Oui. Se détendit Weatherby

- Je ne suis pas sure que ce genre de connaissance soit adaptée à une jeune fille bien élevée. Objecta Alice.

- Voyons Mère ! Soupira Michael. La petite aime les légendes et les histoires glorieuses sur notre prestigieuse Navy, je trouve cela très bien au contraire. Les jeunes filles d’aujourd’hui, enfin les jeunes anglaises du continent, sont parfois si inconscientes.

- Tout le monde ne peut pas être élevé chez les sauvages ! S’exclama vivement Alice avant de se tourner vers Eliza qui s’empourprait. Je ne parlais bien sûr pas de vous ma chère, vos manières exquises font de vous une Lady que nous n’aurons pas à rougir d’accueillir dans notre famille. »

 

La conversation dériva ensuite sur des sujets plus anodins et effleurèrent à peine les problèmes rencontrés par Michael dans les Indes qu’il se contenta d’évoquer par un :

« Ces maudits sauvages sont bien maîtrisés par notre armée, moi-même je n’hésite pas à châtier les trublions parmi eux. Du reste, ils nous sont trop reconnaissants de les civiliser pour ne pas nous être entièrement soumis. Ce qui du reste est normal, La Grandeur de Notre Majesté est telle que chaque peuple plie sous elle. »

 

La soirée se prolongea jusque tard dans la nuit, bien après le coucher d’Elizabeth et la petite fille se coucha, légèrement déçue par cet oncle qui n’était somme toute guère plus qu’un planteur.

 

()()

 

Le lendemain allait lui faire changer d’avis sur Michael Dove, en effet à son réveil, exceptionnellement tardif au vu de la soirée de la veille, Elizabeth trouva un paquet enrubanné l’attendant sur la grande table du salon. Weatherby lui sourit gentiment et le lui désigna.

« Le majordome de ton Oncle Michael a apporté ceci pour toi ce matin. »

Rosissant de plaisir, Elizabeth s’approcha du paquet dont elle défit l’emballage avec toute l’impatience de la jeunesse. Un cri de ravissement lui échappa en découvrant le titre de l’ouvrage : Histoire des Sept Mers. Derrière elle, Weatherby soupira ne sachant s’il devait se réjouir ou au contraire être furieux que Michael encourage cet intérêt chez sa fille.

 

Ignorant totalement la réaction de son père, Elizabeth ouvrit avidement le livre, et poussa un cri de joie en lisant sur la table des matières que plusieurs chapitres étaient consacrés aux pirates. Weatherby le vit aussi et grimaça.

« Elizabeth je ne suis pas très sûr que… Commença-t-il avant de s’interrompre en voyant sa fille serrer le livre contre elle comme si elle eut craint qu’il ne lui reprenne. Bien … Écrit d’abord à ton Oncle pour le remercier. Céda-t-il à regret.

- Oui papa !!! S’écria Elizabeth dont les cris de joie réveillèrent le mal de crâne lancinant de Weatherby qui avait de toute évidence abusé des plaisirs de la table et de la bouteille la veille.

- Va Mademoiselle Woods t’attends. Soupira Weatherby. Soumets-lui la lettre à ton oncle avant de demander au domestique de la porter.

- Oui… » Répondit Elizabeth qui serrait toujours le précieux livre contre elle.

 

Weatherby sourit avec indulgence tandis que sa fille s’éloignait en sautillant. Après tout il n’y avait rien de mal à laisser la petite se cultiver, songea-t-il et si ce livre la rendait heureuse et bien pourquoi pas ? Nul doute qu’en grandissant, Elizabeth reviendrait à des intérêts plus conformes à sa position.


Chapitre 8                                                                                                    Chapitre 10


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