Chapitre 10 : Un nouveau départ


Jack ouvrit les yeux, complément perdu, il observa le décor qui l'entourait. Où était il donc ? Il ne reconnaissait pas cet endroit. Des bocaux emplis de choses qui lui étaient totalement inconnues pendaient au plafond, tandis qu'un désordre indescriptible régnait dans la pièce étroite. Jack grimaça, tout son corps était engourdi et il n'avait pas le moindre souvenir de ce qui lui était arrivé. Il tenta maladroitement de se relever et ne put retenir un petit cri de douleur lorsque son bras frôla le drap. Aussitôt, le rideau qui séparait cette pièce du restant de l'habitation se mit à bouger et une femme inconnue se pressa à son chevet. Le voyant réveillé, elle posa une compresse fraîche sur son front en souriant.

« Et bien, et bien, jeune homme doucement. Tu as été très malade, pendant très longtemps. » Lui dit la femme d'une voix chaude et envoûtante en laissant glisser son regard sur le corps de Jack.

 

Ce dernier fronça les sourcils, il ne se souvenait pas de cette femme étrange qui paraissait si bien le connaître. Il examina encore une fois son visage et y chercha des traits qui lui seraient familiers sans parvenir à se souvenir.

« Tia, je m'appelle Tia Dalma et il est normal que tu ne me reconnaisses pas. Je doute que tu sois en état de te souvenir de quoi que ce soit vu l'état dans lequel tu étais lorsque je t'ai ramassé.

- Ramassé ? » Coassa Jack qui s'efforça de rassembler ses maigres souvenirs.

Tia lui posa un doigt sur les lèvres avant de reprendre.

« Je ne sais pas grand-chose sur toi. J'ignore jusqu'à ton nom. Je t'ai trouvé en Angleterre, tu courais comme si le diable en personne te poursuivait. Tu m'as percutée et tu t'es évanoui. Sans doute à cause de la fièvre.

- La fièvre ?

- Vraisemblablement à cause de tes blessures. » Expliqua-t-elle patiemment avant de prendre tendrement son bras et d’appliquer un onguent frais dessus.

 

Jack retint un gémissement de douleur et, les yeux écarquillés, examina la marque en forme de P qui ornait à présent son bras. Peu à peu les souvenirs affluèrent dans son esprit. La mer, Anne, le Wicked Wench, Cutler. La marque ! Le sceau de la piraterie. Il leva un regard affolé vers Tia qui comprit aussitôt.

« Ne t'inquiètes pas je te juge pas. Tu n'as rien à craindre de moi. Je ne te veux que du bien mon mignon. » Dit-elle d'une voix rauque en lui caressant la joue avant de suivre le contour de ses lèvres du doigt en souriant.

Jack déglutit légèrement, il ne comprenait toujours pas qui était cette femme et ce qu'il faisait chez elle.

« Où … Où suis-je ? Osa-t-il demander d'une voix qui tremblait légèrement, mal à l'aise devant le regard de pure convoitise que la femme posait sur lui.

- Tu es chez moi. Ne t'en fais pas la garde ne viendra pas te chercher ici. Tu es hors de leur portée.

- Chez vous, mais où est-ce chez vous ?

- Dans un bayou.

- Un bayou ? Répéta Jack qui ne souvenait pas avoir entendu parler d'un bayou en Angleterre.

- Dans les Caraïbes mon joli. » Précisa la femme.

 

Jack ferma les yeux une brève seconde. Les Caraïbes dont il était parti il y avait si longtemps. Et voilà qu'il y revenait avec une femme inconnue et le sceau des hors la loi sur son bras. Brutalement, une idée lui vint.

« Attendez, vous avez bien dit que nous nous sommes rencontrés en Angleterre ? Alors pourquoi m'avoir amené ici ? Et comment ? Et depuis combien de temps suis-je là ? »

Tia leva une main apaisante et l'encouragea à calmer le feu de ses questions.

« Je t'ai amené ici pour te soigner. Nous sommes venus en bateau et cela fait plus de deux mois que nous nous sommes rencontrés. Tu as eu de la fièvre presque sans discontinuer depuis ce fameux soir. J'ai cru te perdre plusieurs fois, comme si ça t'étais égal de vivre ou de mourir. » Souffla Tia en le fixant dans les yeux.

 

Jack, mal à l'aise, détourna le regard.

« Pourquoi vous êtes-vous occupée de moi ?

- Parce que je ne pouvais pas te laisser. Tu es venu vers moi, guidé par le destin…

- Le destin. Répéta Jack avec amertume. Je vois, je suppose que je vous dois des remerciements.

- Ne te sens pas obligé surtout. En revanche j'aimerais connaître ton nom.

- Aucune importance. » Murmura Jack.

Tia sentit la volonté farouche du jeune homme et s'inclina provisoirement.

« Comme tu voudras. Lorsque tu seras prêt à m'en parler tu le feras. Ou non. Mais pour l'instant tu dois guérir, reprendre des forces. Quand ce sera fait tu pourras partir si tu le souhaites.

- Vraiment ?

- Oui mais j'espère que tu ne le feras pas. » Murmura-t-elle, caressante.

 

Jack se détourna légèrement d’elle, il avait bien compris ce que désirait la femme mais la pensée de la douce Anne emplissait encore son cœur et son esprit. Et cette Tia même si elle était séduisante lui paraissait dangereuse. Elle était bien loin de ressembler aux femmes qu'il avait rencontrées jusqu'à présent. Elle se comportait comme une marchande de plaisir mais Jack sentait confusément qu'elle était plus que ça. Tia, les yeux brillants, continuait de regarder le jeune homme, elle avait la sensation étrange que celui-ci n'était pas ce qu'il semblait être. Elle avait reconnu la marque du destin sur lui, et elle ne se lassait pas d'être intriguée par l'aura qui se dégageait de lui. Depuis qu'elle avait croisé son regard Tia était sous le charme, elle avait envie de l'aider à soigner ses blessures, toutes ses blessures. Tia sentait bien qu'outre les multiples contusions, une blessure plus grave déchirait l'âme du garçon. C'était celle-là qu'elle voulait soigner.

 

()()

 

Les semaines passèrent, Jack se fortifiait chaque jour un peu plus sous les soins attentifs de Tia Dalma. Mais il ne baissait pas sa garde et la sorcière ignorait toujours son nom et son histoire. De même, Jack s'il acceptait ses soins et sa compagnie, la maintenait à distance et ne lui laissait aucun espoir d'une tendre évolution de leur relation. Finalement le jeune homme finit par se sentir totalement remis de ses blessures physiques et commença à envisager son départ, réfléchissant à son avenir qui semblait bien compromis depuis qu'il portait la marque des hors la loi.

 

Jack s'habituait aussi de plus en plus aux étrangetés de son hôte, et peu à peu le souvenir d'Anne s'il ne s'effaçait pas, le faisait moins souffrir. Tia observait tout cela. Elle voyait son invité changer chaque jour un peu plus mais ignorait toujours ce qui torturait son âme et la raison de la marque qu'il portait. Tia luttait contre l'envie irrépressible de consulter les augures. Elle voulait entendre son histoire de la bouche du jeune homme et de nulle autre manière. Finalement un soir, tandis que Tia se tenait devant sa maisonnette et savourait d'avance une nuit qui s'annonçait douce, elle eut la surprise de voir arriver Jack, muni d'une bouteille de rhum et de deux verres.

« Vous permettez ? » Demanda-t-il en servant sans attendre de réponse.

 

Tia prit la chope qu'il lui tendait sans répondre et lui laissa le soin d'entretenir la conversation. Jack but son verre d'un trait avant de commencer à parler, sans la regarder, les yeux dans le vague.

« Je m'appelle Jack Sparrow. Je suis un corsaire au service de l'Angleterre. Enfin plutôt j’étais. Ajouta-t-il avec un petit sourire cynique en prenant à nouveau du rhum. Grâce à ceci, reprit-il en désignant son bras. La marque des pirates. Je pense que toute carrière dans la marine m'est désormais interdite. »

Tia hocha la tête, sentant confusément qu'un seul mot maladroit suffirait à le faire se refermer définitivement.

« Vous vous demandez ce que j'ai fait hein ? Et bien je vais vous le dire. C'est un ami qui m'a fait ça. Enfin celui que je pensais être mon ami. Il m'a marqué comme une bête parce que sa sœur, sa sœur … » Bredouilla Jack dont les larmes n'étaient pas loin.

Il s'interrompit quelques instants pour boire et respira rapidement pour maîtriser son émotion. Tia le regardait en silence et attendait le bon moment pour parler.

« Sa sœur est morte. Elle s'est empoisonnée et elle a laissé une lettre qui me rendait responsable de son acte. Continua Jack d'une voix tremblante. Mais, je ne l'ai jamais touchée. C'était la sœur de mon ami ! Je l'ai supplié de me croire, mais Cutler n'a rien voulu savoir. Alors il a pris le tison. Se força à raconter Jack d'un ton neutre, le regard lointain. Mais ça ne lui a pas suffi. Il a … Il a raconté que j'avais tenté de voler la Compagnie et mon capitaine... Il m'a rejeté. Craqua Jack qui laissa les larmes couler. Il ne m'a pas cru, il n'a pas cru en moi. Comme Cutler. Comme mon père. Il ne m'a pas cru. » Répéta-t-il.

 

Tia s'approcha de Jack et le prit dans ses bras.

« Moi je te crois, Jack Sparrow. »

Jack ne répondit rien. Il laissa sa peine s'écouler et murmura des mots sans suite cohérente.

« Chut Jack, tu n'es pas obligé de tout affronter ce soir.

- Il … il a brisé ma vie, mon rêve. L'océan, c'est mon rêve. Voguer sur les mers, voir le monde. Je n'avais plus que ça et maintenant je n'ai plus rien.

- Jack, il y a d'autres bateaux que ceux de la Navy, d'autres contrées, d'autres moyens de vivre ton rêve. Murmura Tia en suivant les contours de la marque laissée par Beckett. Cela ne t'interdit pas de naviguer.

- Je ne sais faire que ça. Répondit Jack. Depuis mon enfance je veux être un marin. Peu importe le reste, peu importe le prix à payer. »

En l'entendant, Tia réalisa, le cœur serré, qu'elle ne le garderait pas auprès d'elle. Il aimait trop la mer pour cela mais elle, elle ne devait pas être égoïste. Elle le regarda droit dans les yeux et prit son temps pour lui répondre.

« Alors tu y arriveras Jack Sparrow. Si c'est vraiment ce que tu désires le plus au monde, tu navigueras. » Lui dit-elle d'une voix chaude.

 

Jack lui sourit. Son cœur battait à tout rompre. Il lut dans son regard qu'elle ne lui mentait pas, elle le croyait. Elle, elle ne le connaissait pas et pourtant elle l'avait aidé, soigné, consolé, quand tous lui avait tourné le dos. Échauffé par le rhum, les yeux toujours brûlants de larmes Jack se pencha doucement sur elle et posa ses lèvres sur le siennes. Il se laissa envahir par la saveur épicée de Tia puis posa une main qui n'avait rien de timide ou d'hésitant dans le creux de ses reins avant de la pousser vers l'intérieur de la cabane.

 

La nuit passa vite pour Jack qui trouva dans les bras de Tia un peu de l'oubli auquel il aspirait tant depuis le rejet d'Anne.

 

()()

 

Le matin surpris les deux amants tendrement enlacés, Jack se réveilla avec un atroce mal de tête tandis que Tia se levait prestement, le cœur déjà lourd de peine, sachant ce que Jack allait dire. Lui la regarda un bref instant, un peu gêné de sa conduite de la nuit dernière. Prenant une grande respiration, Jack regarda la marque de son bras puis commença à parler.

« Tia je …

- Je sais Jack. Lui dit-elle d'un ton sans appel. Tu veux partir. La retrouver.

- Elle ne m'a jamais déçu. Je te l'ai dit, elle est mon rêve, elle est tout ce qu'il me reste …

- Comment lutter contre elle ? Murmura Tia avec un soupçon d'amertume.

- Tu ne le peux pas. Personne ne le peut. » Lui répondit Jack avant de la prendre dans ses bras pour atténuer la dureté de ses propos.

 

Tia se détacha lentement de lui.

« Une chaloupe est amarrée en bas. Tu peux la prendre.

- Merci Tia.

- Ne me remercie pas Jack. Je te l'ai dit, le destin t'a guidé dans mes bras. Et maintenant il est temps pour toi de reprendre ta route. Se força-t-elle à dire.

- Oui. Souffla Jack en commençant à avancer vers la porte. Au revoir Tia. »

Tia le regarda rêveusement et s'efforça de contenir le chagrin que lui procurait son départ. Jack s'éloigna de plus en plus à mesure qu’il descendait le fleuve. Lorsqu'il eut atteint la mer il respira à plein poumon l'air iodé et ferma les yeux pour laisser le soleil des Caraïbes lui réchauffer la peau.

« Je suis de retour ma belle. » Dit-il, les yeux clos.

 

Jack se sentait enfin chez lui. Non parce qu'il se trouvait là où il avait passé son enfance mais parce qu'il sentait à nouveau la caresse des vagues contre la coque de son petit bateau.

 

Jack rouvrit les yeux après un long moment et se mit à ramer vers l'horizon qui, à nouveau, s'ouvrait pour lui.


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