Chapitre 2 : L'envoyé de la Compagnie


 

Will était parti depuis plusieurs semaines, laissant un vide immense dans la vie d'Elizabeth, lorsque l'envoyé de la Compagnie des Indes arriva finalement à Port Royal avec un bon mois de retard.

 

James Norrington, sur le port, observait d'un air blasé le déchargement des nombreux bagages de l'homme. Soudain, ce dernier fit son entrée et arracha un cri de stupéfaction à James. Une chaloupe approchait lentement, avec à son bord, un cheval sur lequel était juché un homme qui ne pouvait être que l'envoyé de la Compagnie. Lord Cutler Beckett. James, médusé, observa le débarquement et admira malgré lui la poigne de fer avec laquelle Lord Beckett retenait sa monture. Lorsque ce fut fait il s'approcha et s'inclina légèrement.

« Lord Beckett. Je vous souhaite la bienvenue à Port Royal.

- Et vous êtes ? Le questionna l'autre d'un air narquois.

- Le Commodore James Norrington, my Lord. Pour vous servir.

- Bien entendu. Susurra Lord Beckett. Et bien vous pouvez commencer dès à présent en m'indiquant l'endroit où se trouvent mes bureaux.

- Ne préférez-vous pas prendre un peu de repos dans votre demeure avant ?

- J'ai dit mon bureau Norrington. » Répéta-t-il d'un ton qui ne souffrait pas de discussion.

 

Norrington, légèrement refroidi, se mit en devoir de l'accompagner, suivi par un homme étrange dont la mine était en tous points celle que l'on escomptait voir chez un assassin. Son visage couturé de cicatrices et son regard cruel glacèrent le sang de Norrington qui détourna la tête aussitôt ce qui amena un sourire à l'homme, satisfait de percevoir la peur chez l'autre. Une fois dans son bureau, Lord Beckett invita James à prendre place d'un geste tandis que des hommes déroulaient sur le mur un morceau de toile qui représentait une carte du monde encore inachevée.

« Dites-moi Norrington, est-ce bien vous qui, il y a quelques semaines, avez laissé filer un pirate notoire appelé Jack Sparrow ? »

James serra les poings devant le rappel de ce qu'il considérait comme une insulte personnelle.

« Oui Lord Beckett. Alors que je le tenais ce diable d'homme a réussi à échapper à la corde par un moyen connu de lui seul. »

 

Beckett eut un sourire désagréable.

«  Ne parlez pas du diable à la légère, vous ne le connaissez pas. Sparrow n'est qu'un homme. Et comme tout homme il doit avoir une faille, une chose qui le forcerait à sortir de son trou, non ? »

Norrington secoua la tête.

« Si cette faiblesse existe nous ne l'avons pas encore découverte. Jack Sparrow ne s'intéresse qu'à son navire, le Black Pearl, or celui-ci est également introuvable.

- Je vois. Murmura Beckett. Et les effets personnels de Sparrow ne vous ont rien appris ? »

James eut un petit rire étouffé.

« Ses effets… Un pistolet vide, une épée rouillée et un compas cassé.

- Un compas ? Interrogea Beckett en lui tendant un verre de cognac. Et se pourrait-il que cet objet soit en votre possession ? Demanda-t-il d'un ton qui se voulait négligent.

- Hélas non, disparu comme son propriétaire. »Énonça James d'un ton indifférent.

Cutler s'approcha de lui l'air doucereux.

« C'est dommage Commodore. Voyez vous j'aimerais beaucoup entrer en possession de cet objet, mais je suis sûr que vous allez tout faire pour accéder à ma requête n'est-ce pas ? »

 

James déglutit devant la menace à peine voilée que contenait la voix du Lord. Il reposa son verre prestement et se leva en un clin d'œil

« Je m'emploierais à vous satisfaire my Lord.

- Je n'en ai jamais douté Norrington. Vous pouvez nous laisser à présent. J'ai une tonne de choses à régler avant de me rendre chez le Gouverneur qui m'a convié pour le dîner.

- Très bien my Lord. Nous nous verrons là-bas dans ce cas. Déclara Norrington, qui devant le froncement de sourcils de Beckett, se sentit obligé d'apporter une précision. Il se trouve que sa fille, Miss Swann, est ma fiancée.

- Oh vraiment ? Vous entendez cela Monsieur Mercer ? Quelle heureuse femme ! » Releva ironiquement Beckett avant de lui indiquer la porte d'un regard froid.

 

James, ne sachant quoi répondre, sortit prestement. Une fois que la porte se fut refermée sur lui Cutler se tourna vers l'homme qui l'accompagnait.

« Alors Mercer qu'en pensez-vous ? Croyez-vous qu'il dise la vérité ?

- Sur le compas ? Certainement my Lord, de même que je suis sûr qu'il ignore comment Sparrow a disparu.

- Jack oui … Pour l'instant c'est son compas que je désire. Une fois en possession de cet objet le retrouver sera un jeu d'enfant, tout comme le coffre. »

Mercer lui sourit servilement.

« Que voulez-vous que je fasse My Lord ?

- Rien. Pour l'instant contentons-nous d'observer et de glaner des renseignements afin d'asseoir notre position. Personne ne doit pouvoir soupçonner les véritables raisons de notre venue. Pendant que je serais chez le gouverneur ce soir, faites donc un tour discret dans les tavernes de la ville afin de vous renseigner un peu sur le très honorable Commodore Norrington. Nous verrons si cet homme peut nous être utile. Venez cette nuit me rendre compte.

- A vos ordres Lord Beckett. » Murmura Mercer avant de s'envelopper d'un grand manteau noir qui le faisait paraître plus sinistre encore.

 

()()

 

Le soir venu, Norrington arriva un peu en avance chez le gouverneur. Sa rencontre avec l'envoyé de la Compagnie lui avait laissé un goût amer et il devait lutter contre la répulsion que l'homme lui inspirait. Lord Beckett transpirait l'ambition par tous les pores de sa peau et Norrington sentait confusément qu'il serait prêt à beaucoup pour la satisfaire, même à mettre de côté son sens de l'honneur. Le gouverneur, quant à lui, l'accueillit avec sa bonhomie habituelle.

« Ah vous voilà James ! Vous vouliez profiter un peu de votre fiancée avant l'arrivée des autres convives n'est-ce pas ? Hélas je crains fort qu'Elizabeth ne soit pas encore prête. Ma fille est en retard comme toujours. » Sourit le gouverneur avec indulgence.

Avant que James n'eut le temps répondre, le valet fit son apparition et annonça l'arrivée de l'envoyé de la Compagnie des Indes, Lord Cutler Beckett.

« Cutler Beckett ? Répéta le gouverneur saisi.

- Je suis Lord à présent, Gouverneur. » Rectifia Beckett, un désagréable sourire aux lèvres.

 

Le gouverneur rougit brutalement, embarrassé, tandis que le regard de Norrington passait de l'un à l'autre sans comprendre.

« Euh oui Lord Beckett. Je ne me doutais pas que vous étiez l'envoyé de la Compagnie. Pardonnez ma surprise. » Bredouilla le gouverneur, troublé.

Il se demanda comment cet homme avait fait pour retrouver la faveur du roi et être anobli.

« Vous êtes excusé Gouverneur. Il est vrai que ma situation a beaucoup évolué depuis notre dernière rencontre.

- C'est-ce que je constate. Et bien j'en suis ravi pour vous. Se força à dire le gouverneur. Oh vous connaissez sans doute James mon futur gendre ? » Reprit il, désireux de changer de sujet.

Cutler lança un bref regard méprisant en direction du Commodore.

« En effet il m'a fait l'insigne honneur de venir m'accueillir. »

Avant que Norrington n'ait eu le temps de répondre à l'homme, celui-ci tourna la tête vers le grand escalier de la demeure.

« Ah ! S'exclama le gouverneur, ravi, en s'avançant vers les marches. Te voici enfin. »

 

Elizabeth, étroitement corsetée dans une robe de mousseline bleue, sourit à son père tandis que Norrington la dévorait des yeux totalement oublieux des convenances. Elizabeth prit gracieusement la main que lui tendait son père et se laissa conduire vers les invités de ce dernier.

« Ma chérie laisse-moi te présenter. Cut… Euh Lord Cutler Beckett l'envoyé de la Compagnie des Indes qui nous fait l'honneur de sa présence à notre table le soir même de son arrivée. »

Elizabeth inclina doucement la tête vers le nouveau venu, prête à jouer le rôle d'hôtesse qui était le sien.

« C'est la petite Elizabeth ? Ne put s'empêcher de dire Cutler. Grand dieu Gouverneur je ne me souvenais pas que votre fille était aussi ravissante ! »

 

Le gouverneur se rengorgea avec toute la fierté d'un père tandis qu'Elizabeth rougissait comme il était de bon ton de le faire pour une jeune fille devant un compliment aussi spontané. James serra les poings en apercevant la petite lueur de pure convoitise qui, un bref instant, brilla dans les yeux du Lord. Ignorant complètement Norrington, Cutler s'inclina devant la jeune fille et lui baisa la main.

« Je suis ravi de vous rencontrer Miss Swann. Vous êtes sans nul doute le plus bel ornement de cette soirée.

- Oh j'espère être plus qu'une simple décoration ! » Ne put s'empêcher de rétorquer vivement Elizabeth au grand dam de son père et de son fiancé qui prononcèrent en même temps son prénom d'une voix outrée.

Cutler, sa main toujours dans la sienne, plongea son regard dans le sien et sourit en voyant la lueur de défi qui brillait dans les yeux de la jeune femme.

« Il semblerait en effet que vous soyez plus que cela. Répondit-il ignorant délibérément le gouverneur et le commodore. Me ferez-vous l'honneur de paraître à mon bras ? J'aime votre audace. » Déclara-t-il avec un sans gêne qui fit rougir Elizabeth et se crisper son père et son fiancé.

 

Elizabeth, le regard plein de défi, posa sa main sur le bras que Beckett lui présentait galamment.

« Je m'en voudrais de vous priver d'un colifichet supplémentaire. Répondit-elle ironiquement pour signifier son accord ce qui fit sourire Beckett.

- Dans ce cas ma chère l'affaire est entendue … »

Avant que Norrington ou le gouverneur ne puissent s'y opposer, Cutler entraîna la jeune femme vers le salon de son hôte en souriant.

« Seigneur. » Murmura le gouverneur tandis que Norrington tentait tant bien que mal de garder son calme.

 

()()

 

Le repas fut un enfer pour James. Lord Beckett avait visiblement jeté son dévolu sur Elizabeth et le repas fut animé par leurs joutes oratoires malgré les efforts du gouverneur pour faire taire sa fille. Finalement James trouva un moyen de détourner momentanément l'attention du lord de sa fiancée.

« Oh Lord Beckett je n'ai pas encore eu l'occasion de vous le dire, mais en fouillant les effets de Sparrow j'ai trouvé quelque chose qui vous intéressera peut être. » Déclara-t-il en agitant un morceau de papier en direction de Beckett qui s'en empara avec avidité.

 

Cutler, les mains tremblantes, n'osant y croire, défit le papier et découvrit le dessin d'une clef. Non. Pas une clef LA clef ! Maîtrisant son excitation devant cette découverte il se tourna nonchalamment vers Norrington.

« Un dessin ? Mais que diable voulez-vous que je fasse de ceci ? Je pensais avoir été clair ! Seul le compas de Sparrow présente un intérêt pour moi !

- Le compas ! S'exclama Elizabeth. Mais c'est Will qu'il l'a ! »

Cutler, ainsi que James, se tourna vers elle.

« Je vous demande pardon ? Qu'avez-vous dit ?

- Elizabeth, vous savez où se trouve le jeune Turner ? » Demanda Norrington d'un ton pressant.

Elizabeth, consciente d'avoir parlé sans réfléchir, rougit légèrement.

« Non je l'ignore. Will est venu me faire ses adieux il y a quelques semaines mais il ne m'a pas fait part de ses projets. » Mentit elle en fixant son fiancé.

Elle ne voulait pas trahir la confiance que Will avait mise en elle plus qu'elle ne l'avait déjà fait par son étourderie.

 

Cutler la regarda avec attention et, lentement, un sourire vint éclairer son visage. Il avait intercepté un bref cillement des yeux de la jeune femme qui lui avait appris que cette dernière mentait sans l'ombre d'un doute. Il la regarda intensément. Décidemment cette femme lui plaisait, elle était belle, elle avait un caractère fort et la position qu'occupait son père n'était pas le moindre de ses atouts. Cutler sourit et se pencha sur elle.

« Assez parlé de choses sans importance. Miss Swann, m'accorderez-vous une danse ? »

James Norrington pâlit devant ce nouvel affront tandis qu'Elizabeth se levait, espérant en apprendre plus sur les raisons pour lesquelles Lord Beckett voulait tant le compas de Jack.

 

Cutler Beckett resserra la jeune femme contre lui et conduisit la danse d'une main ferme. Leurs deux corps s'imbriquaient parfaitement l'un dans l'autre et Cutler sentit celui de sa partenaire répondre instinctivement au sien.

 

Il sourit, il lui fallait cette fille. La pervertir, la briser tant physiquement que moralement lui procurerait un plaisir comme il n'en avait pas éprouvé depuis longtemps. La plier à tous ses fantasmes, l'asservir et briser peu à peu tous ses tabous, ses barrières, ses résistances serait pour lui un défi plaisant à relever. Cette pensée le fit sourire plus largement. Elizabeth, le sentant détendu, lui sourit en retour.

« Pourquoi désirez-vous le compas de Jack ? Il mène à un trésor qui est maudit. » Lui dit-elle à voix basse.

 

Cutler frissonna légèrement. La fille était maligne et elle n'avait pas froid aux yeux, allant jusqu'à jouer de son charme pour obtenir des informations. Décidément il avait enfin trouvé une adversaire à sa mesure. Cutler la rapprocha encore de lui et passa outre des limites fixées par la décence.

« Et pourquoi pas ? Vous avez peur que je sois maudit Elizabeth ? Qui vous dit que le compas ne mène qu'à ce trésor ? Murmura-t-il à son oreille. L'océan est rempli de coffres qui attendent d'être découverts par des esprits curieux, comme vous et moi … » continua-t-il en caressant légèrement sa main.

Elizabeth ferma à demi les yeux sous sa caresse avant de se reprendre et de rétablir entre eux la distance correcte.

« Merci pour cette danse Lord Beckett mais mon fiancé m'attend, si vous permettez ?

- Je vous laisse partir Elizabeth. Pour cette fois … » Ajouta-t-il.

 

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Elizabeth, le cœur battant la chamade, rejoignit James qui l'entraîna vers les jardins sous l'œil narquois de Beckett.

« Pourquoi ne pas m'avoir dit que Turner était venu vous voir ?

- Je, je ne sais pas James, en vérité je ne pensais pas que cela puisse avoir une quelconque importance.

- Tout ce qui vous concerne est important à mes yeux. » Répondit Norrington avec passion, l'esprit échauffé par sa jalousie à l'égard de Beckett et de Will.

 

Elizabeth le dévisagea, étonnée par sa ferveur. James l'attira plus près de lui.

« Je vous aime Elizabeth. Déclara-t-il avant de l'embrasser brièvement. J'ai hâte d'être votre époux pour vous le montrer. »

Elizabeth se troubla légèrement. C’était la première fois que son fiancé faisait preuve d'une telle impatience et elle ne savait pas comment se comporter. Elle rougit.

« Je, moi aussi James. » Répondit-elle, espérant que c'était la réponse adéquate.

James lui sourit avant de la guider vers le salon. Là, il reprit le vernis de la société et se comporta en parfait gentleman le reste de la soirée.

 

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Cutler prit congé peu de temps après, et rejoignit Mercer qui, à vrai dire, n'avait pas appris grand-chose.

« Monsieur Mercer j'ai une nouvelle mission à vous confier. »

Mercer le regarda et anticipa ce que son maître allait lui demander.

« Qui ?

- Le Commodore Norrington, il possède quelque chose que je convoite. Une chose qui me permettra de conforter ma position ici mais aussi d'assouvir certains désirs. Murmura-t-il avant d'ajouter. Je vous la laisserais Mercer. Dès que j'en aurais fini avec elle.

- Elle est belle je suppose …

- Oh oui ! Et croyez-moi elle est pleine de promesses. » Précisa Cutler en repensant à la manière dont le corps d'Elizabeth avait répondu au sien.

Mercer lui sourit. Il était inutile de répondre à cela.

 

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Deux jours plus tard, à la nuit tombée, le Commodore Norrington trouva la mort, assassiné d'un coup de poignard en plein cœur alors qu'il sortait de la demeure du père de sa fiancée. Alors que James rendait son dernier soupir après avoir reconnu avec stupeur son meurtrier, à Londres une jeune femme se réveilla en sursaut et se mit sans réfléchir à préparer ses bagages.

« Il a recommencé. » Murmura-t-elle pour elle-même.


Chapitre 1                                                                                                          Chapitre 3


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