Chapitre 2 : On échappe pas à son destin


Pacific Princess, mer de Chine

 

L’homme, à la proue du navire, regarda avec un plaisir non déguisé les contours de l’île de Zebirget se dessiner sous ses yeux. Si ses informations étaient exactes il y trouverait le moyen d’assouvir sa soif de vengeance envers ces maudits pirates qui étaient responsables de sa disgrâce physique ainsi que de l’échec de ses ambitieux projets. Autour de lui, aucun matelot n’osait souffler mot, la réputation d’implacabilité de l’homme suffisait à lui assurer une relative tranquillité et une obéissance sans limites.

 

Cutler Beckett, tout à fait conscient de la terreur qu’il inspirait à ses hommes, se servit une nouvelle tasse de ce thé de Chine qu’il affectionnait tant et prit le temps de savourer le goût légèrement amer qui avait sa préférence. Celui-ci se mariait tellement bien avec son état d’esprit. Un marin s’approcha de lui en tremblant.

« Lord Beckett ? Pardonnez-moi mais nous sommes arrivés à la destination que vous avez donnée. Nous attendons vos ordres. »

Cutler étira ses lèvres en un mince sourire et prit le temps de terminer sa boisson avant de répondre.

« Et bien, débarquez cela va de soi ! » Lança-t-il d’un ton méprisant.

 

C’est ainsi que le ciel de la paisible petite île de Zebirget, jusqu’alors peuplée d’ermites et d’hommes de dieu, s’assombrit brutalement tandis que le très estimé Lord Beckett reposait avec délicatesse sa tasse.

 

Fragile esquif, quelque part en mer.

 

Jack soupira une nouvelle fois sur ses rames. Ça faisait un temps incalculable qu’il était ainsi en mer, seul à bord d’une barque misérable avec pour seule compagnie des bouteilles de rhum vides, une carte volée à Barbossa et un compas qui… Fonctionnait à merveille !

« Hé !! Jacky dis-moi, tu es sûr que tu sais où on va ? Lui demanda dans le creux de l’oreille l’un de ses autres lui-même.

- Bien sûr que je le sais ! Énonça d’une voix pâteuse le pirate. On va trouver la fontaine de jouvence. Regarde ! Lança-t-il d’un air ravi.

- Très futé ce plan Jack ! Vraiment. Bien sûr, si tu avais poignardé le cœur toi-même au lieu de le faire faire à l’eunuque, l’immortalité ne serait plus un problème pour toi, tout juste un ACQUIS !!! Espèce de triple idiot !! Tu ne te rappelles pas où ce raisonnement t’a mené la dernière fois hmmm ??? »

 

Jack, agacé, reprit une gorgée de rhum avant de répondre.

« Je n’y suis plus, non ?

- C’est certain que d’errer en plein milieu de l’océan à bord de ce canot c’est beaucoup plus mieux que le Purgatoire de Jones ! Vraiment, bravo, quelle progression Jacky ! Lui renvoya cyniquement un de ses avatars.

- Je vais bientôt améliorer ma situation ! Lui répondit Jack. Après tout, ce que je désire le plus c’est devenir L’IMMORTEL CAPITAINE JACK SPARROW ! » Déclama-t-il avec une emphase en partie due au rhum.

Puis, il ouvrit son compas et commença à ramer avec ardeur vers la direction que ce dernier indiquait.

 

Antre de Calypso, quelque part au fond de l’océan.

 

Calypso suivait d’un air intéressé la progression de l’homme au visage brûlé. Elle se réjouit de la souffrance qu’il semait sur son passage et l’ordre qu’il avait donné d’exécuter sans pitié tous ceux qui se trouvaient sur son chemin et qui semblaient se dresser contre sa volonté. Du fond de son savoir ancestral, Calypso sentit le désir de vengeance de cet homme et ce qu’il pourrait apporter à ses projets. Avec un sourire encore plus large elle observa Lord Beckett tandis qu’il interrogeait un vieillard et lui soutirait la précieuse carte menant au fameux péridot avant de le tuer sans la moindre pitié.

 

Elle remarqua la manière dont Beckett essuyait la lame rougie par le sang de son épée, CETTE épée dont Calypso ne s’expliquait pas qu’elle fut à présent en sa possession et le sourire sardonique presque aimable dont Beckett accompagna ce geste et les paroles qu’il prononça.

« N’y voyez surtout rien de personnel. Je me vois dans l’obligation d’éliminer toute personne en mesure de dévoiler mes intentions. »

Le ton était égal, presque cordial, mais un observateur attentif pouvait déceler le relent de cruauté et de jouissance profonde devant la mort que le vernis de l’éducation ne parvenait pas totalement à dissimuler.

 

Calypso lança une nouvelle fois ses pinces de crabes, cherchant toujours à déchiffrer les augures du destin afin de mieux pouvoir tordre ce dernier en sa faveur. Un sourire éclaira son visage à la vue d’Elizabeth à bord de l’Empress, le visage torturé par le manque de celui qui avait donné sa vie pour elle, celui qui plus que n’importe quel homme l’aimait au point de sacrifier tout ce qu’il avait de plus cher. Calypso savoura par avance la désillusion de la jeune femme lorsqu‘elle apprendrait la vérité sur le « choix » de Will.

 

Celle qu’on l’avait forcée à être, Tia Dalma, aurait pu ressentir de la pitié devant le chagrin et le dilemme qui allaient être ceux d’Elizabeth Turner mais pas la toute puissante Calypso. Elizabeth avait triché, elle avait tenté de contrer le destin, tout comme William Turner avait essayé d’échapper à la tâche qui lui était dévolue. Jack aussi avait triché, il avait échappé à la mort de nombreuses fois, tenté de s’attribuer un destin qui n’était pas le sien et par-dessus tout il était un descendant direct des membres du premier conseil, celui qui l’avait injustement emprisonnée. Certes Jack était différent et d’une certaine manière elle avait de l’affection pour lui mais s’il se dressait devant elle tout le plaisir qu’il avait pu lui donner lorsqu’elle était Tia Dalma ne lui sauverait pas la vie.

 

Calypso se tourna ensuite sur son globe de verre qui lui permettait de suivre les existences des pauvres mortels ou immortels. Son regard s’adoucit un bref instant alors qu’elle se tournait vers l’objet de toutes ses convoitises, le nouveau capitaine du Hollandais Volant.

 

Hollandais Volant, quelque part dans le royaume des morts,

 

Assis devant sa table de travail, le regard vide, William Turner songeait une fois de plus à sa femme. Chaque jour le supplice qui était le sien devenait plus douloureux, à chaque fois qu’il voyait le soleil se coucher dans son monde il ne pouvait s’empêcher de penser que pour Elizabeth une nouvelle journée commençait sans qu’il puisse être à ses côtés.

 

Will ferma les yeux et laissa une larme rouler sur sa joue. Certes il était en vie mais le prix qu’il payait était très élevé. A chaque minute il pensait à celle qu’il ne pouvait pas serrer dans ses bras, celle qu’il ne pouvait pas embrasser, celle que plus que tout au monde il craignait de perdre. Dix ans. Dix années de labeur pour une seule journée de bonheur. Pourtant ça en valait la peine, elle en valait la peine, peu importe les épreuves, peu importe le fait que chaque transport d’âmes l’éloignait peu à peu du jeune forgeron au grand cœur qu’il avait été, rien ne comptait à ses yeux sauf celle qui était sa femme même dans la mort. Il savait qu’elle ne l’oublierait pas, enfin sûr d’elle après une longue et affreuse période de doute durant laquelle il avait cru qu’elle aimait Jack Sparrow.

 

Will se crispa en repensant au baiser qu’il l’avait vue donner au pirate qui avait sacrifié son rêve d’immortalité pour le sauver. Puis, peu à peu, ses traits se détendirent, non il n’avait rien à craindre, Elizabeth ne l’aimait pas, elle ne l’avait jamais aimé. C’était lui qu’elle aimait. Leur mariage, leur « journée » de noce sur l’île de Molokai, la tendresse de ses baisers, la chaleur de ses bras tentant vainement de le retenir au moment de se quitter étaient autant de preuves de l’amour d’Elizabeth pour lui. Jusqu’à la preuve ultime, la charge qu’il lui avait confiée, lui prouvant par ce geste qu’il lui avait pardonné ce qu’elle avait fait et surtout son silence après l’avoir fait. Will lui avait confié son cœur, sa seule faiblesse, parce que s’il arrivait quelque chose à Elizabeth il préférait mourir lui aussi. Sans elle, rien ne valait la peine d’être vécu.

 

Bill entra silencieusement dans la cabine de son fils et l’observa sans mot dire. Il n’imaginait que trop bien l’état d’esprit dans lequel il était, il avait rencontré la jeune Elizabeth et comprenait pourquoi son fils l’aimait tant. Et pourtant Will lui avait avoué que s’il avait dû choisir, si il n’avait pas passé son accord avec Jack, c’est sa promesse envers lui qu’il aurait respectée parce qu’il était son père et qu’il savait qu’Elizabeth, plus que quiconque, pourrait comprendre à quel point c’était important pour lui de le sauver.

 

Peu importe ce que Will lui avait dit durant la bataille, si Jack était mort avant de poignarder le cœur de Jones, Will l’aurait fait à sa place parce qu’il lui était intolérable que son père souffre au service de Jones tandis que lui jouissait d’une vie pleine de douceur auprès de sa femme. Will avait donc délibérément menti à Elizabeth. Certes, il l’aimait mais pourtant elle n’était pas celle qu’il aurait choisie en dernier recours. S’il avait dû la quitter de son plein gré, aussi dur que ce soit pour lui il l’aurait fait pour son père. Will n’éprouvait pas de remords d’avoir menti par omission à Elizabeth. N’avait-elle pas fait la même chose en ne révélant pas sa responsabilité dans la mort de Jack ?

 

Pourtant, à présent, lorsque son père était à ses côtés et l’accompagnait alors qu’il fouillait des yeux l’horizon qui, un jour, le ramènerait près de celle qu’il aimait, le jeune capitaine ne pouvait songer qu’à sa femme et au manque d’elle.

 

Antre de Calypso, fonds sous-marin

 

Calypso referma le globe de verre qui lui permettait de surveiller l’autre monde avec un sourire. Le doute était certes bien caché mais il sommeillait encore dans l’âme du jeune Turner. Elle savait, quoi qu’il dise, que Will avait toujours peur qu’Elizabeth se tourne vers Sparrow. C’est pour cela qu’il lui avait confié son cœur, ce dernier était à la fois une preuve de confiance mais aussi un rappel constant à Elizabeth de son existence, même dans un autre monde.

Calypso caressa d’un doigt négligent le globe où le visage de Will apparaissait quelques minutes auparavant.

« On n’échappe pas à son destin, William Turner. » Ricana-t-elle.

 

Puis, elle rassembla les ingrédients qu’il lui avait fallu des siècles à trouver de même que la formule qui lui permettraient de fabriquer une potion grâce à laquelle elle pourrait passer dans l’autre monde et rendre visite à son fringuant capitaine. Calypso sourit et songea que, désormais, rien ne pourrait nuire à sa puissance. Elle avait enfin réussi à trouver le moyen de franchir la seule porte qui lui était interdite, celle qui lui avait coûté l’amour de Davy. En effet, elle était persuadée que si elle avait pu visiter Davy durant ses dix ans, son absence lors du fameux jour où il s’était arraché le cœur aurait eue moins de conséquences.

 

Calypso était bien décidée à ne pas laisser les choses se répéter, Will était à elle, comme Davy l’avait été, c’était ainsi. Pour elle, la malédiction du Hollandais Volant qui lui prenait tous ses amants sans retour était levée, elle forcerait les barrières invisibles et rejoindrait Will. Mais pas encore… Tout est une histoire de moment opportun et celui-ci ne l’était pas, mais bientôt…

 

 


Chapitre 1                                                                                                          Chapitre 3


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