Chapitre 1 : Apprentissage à la barre


Après une nuit agitée où elle avait peiné à trouver le sommeil, trop inquiète par la rage sourde qu'elle avait sentie chez Tai Huang et l'obligation de réussite qu'elle s'était fixée à elle-même, Elizabeth ouvrit les yeux, un peu déstabilisée par le décor étranger qui l'entourait. Au bout de quelques secondes, elle sourit et se rappela avec plaisir de sa prise de pouvoir de la nuit dernière. La jeune femme s'étira longuement et savoura le plaisir de se réveiller dans un vrai lit à la place de la paille ou des hamacs malodorants qui avaient été son quotidien durant les derniers mois. 

 

Écoutant distraitement les cris des hommes qui s'activaient sur le pont, Elizabeth se leva enfin et jeta un coup d'œil critique à son reflet. La jeune femme vêtue d'une sorte de peignoir de soie verte qui lui faisait face ne ressemblait pas au redoutable pirate qui seul pouvait mener les hommes de L'Empress. Il fallait donc arranger ça. Elizabeth s'avança vers la lourde armoire qui encombrait la pièce et l'ouvrit d'un geste sec. Les tissus chatoyants brodés de dorures que Feng affectionnait particulièrement lui sautèrent au visage et la jeune femme ne put s'empêcher de couler un regard vers le fond de la pièce où son prédécesseur avait trouvé une mort aussi violente qu'inattendue. Son estomac se crispa en discernant une large tache rouge au sol et Elizabeth détourna rapidement le regard.

 

Il y avait eu tellement de morts durant la guerre qui avait opposé les pirates et la Compagnie. Tellement de morts qui la touchaient directement, Sao Feng qui l'avait faite capitaine, James Norrington son premier fiancé, Le Gouverneur son propre père... Et Will, son époux, son cher et tendre Will... Elizabeth chassa d'un geste impatient les larmes qui roulaient sur ses joues et se força à se reprendre. Will n'était pas mort. Elle pouvait encore le retrouver. Mais pour cela, il lui fallait mettre la main sur le « Feu de Glace. » Une fois cette condition remplie, Will et elle-même seraient libres d'être ensemble. Elle abandonnerait l'Empress, la piraterie, tous ces vieux idéaux qu'elle savait au fond d'elle même condamnés à disparaître. Beckett avait au moins raison sur cela, tôt ou tard, la piraterie finirait par succomber, et au fond elle n'avait guère envie de voir ça. Elizabeth grimaça en songeant à la marque qui ornait le bas de son dos avant d'hausser les épaules : inutile de penser aux problèmes futurs tant que Will et elle ne seraient pas réunis. 

 

Chassant les fantômes de son passé et la nostalgie qui menaçait de l‘envahir, Elizabeth fouilla l'armoire et finit par mettre la main sur une tunique et un pantalon confortables qui, s'ils étaient un peu trop larges pour elle, avaient au moins le mérite de la faire ressembler à un vrai capitaine. S'empressant de passer les deux, la jeune femme enroula ensuite sans pitié sa longue chevelure blonde sur elle-même pour dégager son visage. Un nouveau coup d'œil au miroir la fit sourire : elle était prête. Sans plus se donner d'excuses pour retarder sa sortie, Elizabeth se dirigea vers la porte et l'ouvrit à la volée. Là, elle examina le pont d'un air suspicieux. 

 

« Bonjour Capitaine Swann Turner. » La salua Tai Huang en se forçant visiblement.

L'espace d'un bref instant, Elizabeth eut pitié du second qui s'était vu dépossédé du navire sur lequel il avait toujours fidèlement servi par une étrangère puis chassa ce sentiment. La pitié, à l'instar de la compassion, était un luxe qu'elle ne pouvait plus se permettre si elle voulait réussir à atteindre le but qu'elle s'était fixé.

 

« Où en sommes-nous ? Demanda-t-elle d’un ton sec. Les coordonnées que je t’ai données ?

- Nous allons vers le nord. Répondit Tai Huang qui arbora une expression dégoûtée.

- Parfait. Allez aussi vite que vous le pouvez » Ordonna Elizabeth.

Tai Huang ouvrit la bouche pour rétorquer mais le regard que lui lança la jeune femme le dissuada de le faire. Ruminant sa haine, Tai s’éloigna donc et transmit à l’homme de barre les indications de la jeune femme.

 

Avec un plaisir sans mélange Elizabeth se rendit jusqu’au bastingage et inspira à plein poumon l’air iodé de l’océan, savourant le bonheur de se retrouver enfin en mer et Capitaine avant d’être chatouillée par la culpabilité. Comment pouvait-elle se sentir aussi heureuse alors que Will n’était pas à ses côtés ? Comment avait-elle pu penser une seule seconde que son bonheur était total alors que, dans l’autre monde, son mari guidait les âmes sans relâche, séparé d’elle pour les neuf prochaines années, plus six mois. Les mains d’Elizabeth se crispèrent sur le bastingage et elle se força à revenir à sa première préoccupation : trouver une monnaie d’échange avec Calypso. Au regard de la liberté de Will et de la promesse d’être réunis rien ne faisait le poids. Commander l’Empress n’était qu’une étape et non un aboutissement. C’était Will qu’elle devait garder à l’esprit, Will et leur avenir futur, à terre, loin de la piraterie et des aventures. Cela seul devait compter et cela seul comptait.

 

«  Une tempête s’annonce, Capitaine Swann Turner. » Annonça Tai Huang sans dissimuler le plaisir que lui procurait la mauvaise nouvelle.

Sortie de ses pensées, Elizabeth lui lança un regard hostile.

«  Et bien que l’homme de barre soit vigilant voilà tout, tu ne vas tout de même pas essayer de me faire croire que c’est la première fois que l’Empress traverse une mer agitée ?

- Non bien sûr. Mais la tradition veut que sur l’Empress, en cas de tempête ce soit le Capitaine qui tienne la barre. » Lui annonça Tai d’un ton calme mais le regard brillant d’une joie mauvaise.

 

Elizabeth ne s’y trompa pas. L’autre venait de lui lancer un défi d’une voix suffisamment forte pour être entendu par le restant de l’équipage qui la toisait à présent avec un air moqueur. Elle doutait qu’une telle tradition ait existé sur l’Empress mais la remettre en question ne lui servirait à rien hormis à accentuer le mépris de ses hommes, voire à risquer une mutinerie prématurée. Elle n’avait donc pas le choix: elle devait relever le défi. D’une voix qu’elle espérait calme, Elizabeth répondit donc.

«  J’ignorais que c’était l’usage à bord de l’Empress, commença t ‘elle agacée par la lueur triomphante qu’elle lisait dans le regard du second. Mais puisque ça l’est je compte bien m’y soumettre. »

Elle eut la brève satisfaction de lire la rage dans les yeux de Tai qui s’inclina.

«  La barre est à vous… Capitaine. »

 

Cette fois la jeune femme ne reprit pas le second dont le ton exprimait pourtant clairement le mépris. Elle était trop inquiète pour ça. En effet, elle avait beau avoir énormément navigué au cours de ses aventures passées et connaître beaucoup de choses sur le maniement d’un navire, elle n’avait jamais encore barré. Encore moins durant une tempête. Certes, elle avait lu suffisamment de récits de navigateurs pour connaître les pièges à éviter et les manœuvres menant au succès mais cela restait de la théorie. Or ce qu’on lui demandait c’était de la pratique. Et elle n’était pas certaine d’en être capable.

 

«  Un problème Capitaine ? Lui demanda Tai d’un ton faussement innocent.

- Aucun. » Répondit brièvement Elizabeth qui se dirigea vers la barre d’un pas qu’elle espérait assuré, tremblant intérieurement d’échouer et de les conduire à la mort. Elle voulait que Will la rejoigne rapidement. Pas l’inverse !

«  La région est connue pour abriter de nombreux récifs, mais je ne vous apprends rien. » Susurra le second.

Elizabeth frissonna légèrement à cette découverte et s’efforça de ne rien laisser paraître de ses angoisses, ne voulant pas faire ce plaisir au second qui n’attendait visiblement qu’un faux pas de sa part. Regrettant à présent de ne pas s’en être débarrassé ainsi qu’elle en avait caressé l’idée la veille, elle reprit d’un ton sec.

«  En effet Tai Huang, mais je te remercie de ta sollicitude, se moqua-t-elle.

- C’est le devoir d’un second envers son capitaine. » Rétorqua Tai d’une voix onctueuse qui donna envie de vomir à la jeune femme.

 

Choisissant de l’ignorer, Elizabeth posa ses deux mains sur la barre et la serra comme si sa vie en dépendait, ce qui somme toute était le cas.

« Assure-toi que les hommes soient à leur poste. » Ordonna-t-elle à Tai, plus pour se débarrasser de sa présence inquiétante dans son dos que par véritable nécessité.

Tai ricana légèrement, montrant ainsi qu’il avait compris le but véritable de son ordre et s’éloigna, laissant Elizabeth seule à la barre.

 

La jeune femme soupira longuement après son départ, ses mains enserrèrent la barre tandis qu’un plaisir inédit se diffusait dans ses veines. Tenir la barre était nouveau pour elle mais déjà elle appréciait de sentir la jonque réagir à chacun de ses mouvements. Comme si le bateau et elle ne faisaient à présent plus qu’un. Se détendant légèrement à cette idée, Elizabeth s’autorisa un sourire qui mourut aussi vite qu’il était venu lorsque le tocsin résonna sur le pont.

 

«  Typhon ! Droit devant ! » Entendit elle, hurler la vigie.

Les mains moites et tout plaisir envolé, Elizabeth s’agrippa à la barre. Plus que son rang de capitaine et la liberté de Will, elle allait jouer sa vie et celle de ses hommes durant les prochaines heures.

«  A vos postes ! Choquez les voiles ! » S’entendit elle ordonner avec surprise.

Les hommes obéirent et Elizabeth blêmit en voyant approcher à toute vitesse le typhon. L’espace d’une fraction de seconde, elle regretta de ne pas avoir demandé de l’aide à Jack Sparrow dans sa quête avant de se souvenir des raisons qui l’avaient poussée à se lancer dans l’aventure seule. Jack était trop imprévisible pour qu’elle s’y fie. De plus, elle n’était pas assez naïve pour penser qu’une fois au courant de l’endroit où se trouvait le « Feu de Glace » Jack n’essaierait pas d’en tirer un profit personnel. Donc, même si elle devait admettre que le compas du pirate lui aurait bien été utile dans ces circonstances, elle préférait le laisser continuer à courir après la Fontaine de Jouvence avec Barbossa. Ça lui laissait le champ libre pour le reste.

 

Et éloignait les tentations…

 

Une violente bourrasque la frappa soudainement de plein fouet. Elizabeth s’accrocha à la barre et revint à des préoccupations plus terre à terre: manœuvrer l’Empress en pleine tempête. Un léger cri terrifié lui échappa en voyant droit devant le typhon s’approcher dangereusement d’eux, précédé par des vagues d’une hauteur et d’une violence encore plus inquiétantes.

« Maudite Calypso » grinça-t-elle entre ses dents, certaine que la nymphe prenait un malin plaisir à l’éprouver et se faisait la complice de Huang.

«  A bâbord toute !!! » Hurla-t-elle en désespoir de cause tout en poussant de toutes ses forces sur la barre.

 

Au moins ses hommes suivaient ses ordres, songea-t-elle en voyant ses derniers s’activer dans la voilure.

 

La première vague l’inonda entièrement et Elizabeth, transie, s’accrocha de toutes ses forces à la barre. Elle se forçait à maintenir la direction qu’elle s’était fixée et qui lui permettrait d’éviter le typhon. Du moins si ses calculs étaient exacts. Du coin de l’œil elle vit un homme passer par-dessus bord, devinant son hurlement plus que l’entendant et se força à se concentrer sur le navire. Sous ses doigts, la barre résista tandis que l’Empress craquait d’un son sinistre et Elizabeth frémit en comprenant que le gouvernail était à bout de résistance.

«  Jetez l’ancre !!! MAINTENANT » Hurla-t-elle pour se faire entendre au milieu des bourrasques de vent.

 

Un bref instant son cœur s’arrêta. Aucun homme n’avait bougé. Puis finalement elle discerna une silhouette qui se précipitait et descendait l’ancre d’un coup sec.

 

L’Empress craqua de nouveau et Elizabeth sentit la barre lui échapper. Poussant un cri de rage, elle la laissa filer avant de la rattraper pour l’immobiliser de toutes ses forces. Un bref soupir de soulagement lui échappa en constatant que sa manœuvre avait eu l’effet escompté : au lieu de faire face au typhon, la jonque se trouvait maintenant de côté, son tribord menacé d’être fauché par la lame qui déferlait vers eux.

 

«  Les voiles !!! Hurla-t-elle, Hissez les voiles !!!! »

Les hommes obéirent, toujours trop lentement aux yeux d’Elizabeth mais finalement le vent provoqué par le typhon gonfla les voiles au lieu de les déchirer et projeta le navire en avant. Agrippée à la barre pour maintenir le gouvernail et empêcher que la jonque soit happée par la force du typhon, Elizabeth serra les dents, trempée par la pluie glacée qui s’infiltrait sous ses vêtements.

«  Surveillez les voiles !!! » Ordonna-t-elle, priant pour la manœuvre réussisse.

 

Les minutes qui suivirent s’égrainèrent lentement pour la jeune femme. Chaque regard vers le typhon redoublait son angoisse, la tempête se rapprochait d’eux plus vite qu’ils ne s’en éloignaient. Mais finalement, Elizabeth sentit peu à peu la barre se détendre entre ses mains et répondre plus facilement à ses sollicitations. Plissant les yeux sous l’effet du vent, Elizabeth regarda en arrière et laissa échapper un énorme soupir de soulagement : ils étaient certes encore en pleine tempête mais ils n’étaient plus dans la trajectoire de cette dernière. Galvanisée par ce premier encouragement, elle maintint sa pression sur la barre et s’efforça d’ignorer le vent et la pluie qui lui battaient le visage. Elle devait rester à la barre jusqu’à la fin de la tempête. Peu importait la fatigue ou les muscles douloureux. Elle devait rester car c’était à ce prix qu’elle prouverait à son équipage qu’elle était digne de commander l’Empress.

 

()()

 

La nuit tombait lorsque les bourrasques laissèrent la place à un vent somme toute supportable et Elizabeth soupira bruyamment de soulagement en voyant la mer se calmer. Elle avait réussi. Elle ne savait pas trop comment elle avait réussi à mettre en pratique les heures passées à lire les récits de manœuvres maritimes mais finalement seul le résultat comptait. Et le résultat c’était qu’elle avait réussi toute seule à se sortir de la tempête. Épuisée mais heureuse, elle adressa un regard triomphant à Tai Huang qui la fixait, les dents serrées par la rage.

«  Prends la barre. Ordonna-t-elle.

- Bien. S’inclina le second qui avait compté sur le fait qu’elle l’appelle à l’aide.

- On s’en est bien sorti. Triompha Elizabeth

- Quatre hommes sont morts. Souligna Tai, agacé.

- Et bien on les remplacera à la prochaine escale. Rétorqua froidement Elizabeth.

- Vous avez frôlé les récifs. » Souligna Tai, incapable de se résoudre à son triomphe.

 

Elizabeth rougit légèrement, embarrassée: elle n’avait pas remarqué la présence des récifs. Ce qu’elle n’avoua évidemment pas.

«  Frôlé n’est pas touché Tai Huang. Répondit-elle d’un air bravache. Maintiens le cap au nord, je vais me changer et prendre un peu de repos. » Annonça-t-elle avant de s’éloigner.

Sa nuque la picota légèrement alors qu’elle était plus que jamais consciente du regard hostile de Tai mais les regards respectueux que lui adressèrent trois ou quatre hommes lorsqu’elle passa devant eux, la consolèrent bien vite. C’était certes peu, mais elle avait réussi à gagner le respect d’une partie de son équipage aujourd’hui. Rien que pour ça, affronter le typhon valait la peine…

 

()()

 

Contrairement à ce qu’Elizabeth avait espéré, le prestige qu’elle avait acquis suite à la traversée du typhon ne résista pas aux jours suivants. Bien entendu, les hommes ne se rebellaient pas ouvertement devant elle. D’une part parce qu’elle était la seule à savoir comment trouver le «  Feu de Glace », d’autre part parce qu’elle était « la femme du Hollandais Volant » ainsi qu’ils la surnommaient quand ils la croyaient endormie. C’était du reste le second point qui l’agaçait le plus. Certes elle était la femme de Will et elle était fière de l’être, pourtant tout son être regimbait à l’idée de n’être «  que Madame Turner ». Elle l’était certes, mais elle n’était pas que ça ! Elle était le capitaine de L’Empress, le Seigneur des Mers de Chine et le Roi de la Confrérie !! C’était cela qui aurait dû inspirer le respect à ses hommes et non le fait qu’elle soit mariée au capitaine du Hollandais Volant ! Elle n’était pas une petite chose fragile, une de ces femmes de salon à vocation ornementale qu’elle avait refusé de devenir lorsqu’elle avait repoussé Norrington ! Elle était CAPITAINE et pour la première fois, elle comprenait vraiment l’insistance de Jack Sparrow à se présenter comme tel.

 

Cependant, malgré cela, la jonque continuait à suivre ses ordres, quelques soient les raisons de son obéissance, et la rapprochait peu à peu de la première étape de son projet. Les jours succédèrent aux nuits angoissantes et agitées. Ce fut donc avec soulagement, qu’au terme d’une nuit sans beaucoup de sommeil, Elizabeth vit se profiler à l’horizon les côtes de la minuscule île où le vieux marin lui avait dit habiter l’homme qui savait.

 

Les traits tirés, Elizabeth s’autorisa un maigre sourire à cette vue et Tai Huang, sentant sa fatigue, en profita pour tenter de prendre l’avantage.

«  Savez-vous où trouver votre informateur Capitaine ? Lui demanda-t-il, un éclat dans le regard. Je me ferais un plaisir d’aller vous le chercher.

- Pour lui extorquer en premier les renseignements que je veux obtenir ? Rétorqua Elizabeth qui n’était pas dupe.

- Oh … Alors vous irez à terre capitaine ? » La défia Tai.

Elizabeth posa un regard peu amène sur lui. La croyait-il suffisamment bête pour s’exposer ainsi ? Il fallait croire que oui…

«  Ne t’en fait pas pour ça Tai, je sais comment procéder. » Lui assura-t-elle.

 

Le visage du second se tordit dans une grimace éloquente en comprenant qu’elle ne quitterait pas le navire et le privait d’une occasion de la tuer hors de la mer.

«  Vous avez l’air épuisée Capitaine… Susurra-t-il, feignant l’inquiétude. Il serait peut-être plus sage de me confier le commandement, nous ne voudrions pas vous perdre.

- Merci de ton inquiétude Tai Huang. Mais ça ira. » Le renvoya sèchement Elizabeth.

 

La jeune femme attendit qu’il ait disparu pour s’autoriser un soupir épuisé. En fait Tai avait raison. Elle était à bout de force. Elle n’avait toujours pas surmonté l’épreuve de son emprisonnement par la Compagnie et elle redoutait les pensées qui l’envahissaient lorsque, seule dans sa cabine, elle se laissait aller à rêvasser durant les minutes ou parfois les heures précédant le sommeil. En fait ce qui la tourmentait le plus, ce n’était pas le souvenir des tortures et humiliations qu’elle avait subies. Cela n’avait certes rien d’agréable mais elle s’y était résignée. Non, ce qui la tourmentait le plus, c’était les idées qui lui venaient lorsqu’elle imaginait son avenir.

 

Un avenir sans Will. Un avenir à la barre de l’Empress, à courir le monde pour vivre des aventures. Un avenir où elle était capitaine avant d’être épouse ou mère. Une vie de pirate à laquelle faisaient judicieusement écho les paroles de Jack Sparrow plus d’un an plus tôt «  Vous rêvez d’être libre… D’aller où vous voulez quand vous le voulez ». Les paroles du pirate n’étaient du reste pas les seules à la tourmenter. Le souvenir de Jack aussi. Souvent, elle s’imaginait dans les bras du pirate, retrouvant l’attrait de la chair qu’elle n’avait que trop brièvement connu avec Will. Elle en rêvait. De Jack, de liberté, d’aventure, d’amour. Sauf que son destin ce n’était pas ça. Ce qu’elle voulait ce n’était pas ça. Non ce qu’elle désirait le plus au monde c’était retrouver Will et vivre à ses côtés la vie paisible dont ils avaient toujours rêvée et dont le destin les avait privé.

 

«  Will » prononça à voix haute la jeune femme, savourant d’entendre son prénom. Maintenant, à la lumière du jour, elle trouvait stupide ses rêves d’aventures de la veille. Rien ne pouvait rivaliser avec Will. Rien. Forte de cette conviction, Elizabeth se dirigea vers l’homme de barre.

«  Fais nous accoster dans le port. » Ordonna-t-elle.

L’homme lui lança un regard vide et elle se demanda un bref instant s’il l’avait comprise avant de le voir manœuvrer.

 

()()

 

L’Empress était ancré au port… Restait à trouver l’informateur. Penchée au bastingage, Elizabeth fit signe à un jeune garçon de monter à bord et exhiba une pièce d’or. La promesse eut l’effet désiré et le gamin se précipita sur l’Empress.

 

Elizabeth bénit intérieurement sa naïveté qui l’avait fait se précipiter ainsi à bord sans se soucier de ses intentions et le fixa.

« Connais-tu un certain Floraty ? Lui demanda-t-elle.

- L’vieux Flo ? Pour sûr M’dame ! On l’appelle Flo l’ fol.

- Capitaine. Corrigea Elizabeth entre ses dents avant de se reprendre. Si tu vas me le chercher et que tu me le ramènes ici je te donnerais cette pièce. » Lui annonça-t-elle en exhibant la pièce d’or dont elle s’était servie pour l’attirer.

 

Les yeux du garçon s’agrandirent de convoitise mais il se força à se calmer.

«  Vous lui voulez quoi au Fol ?

- Va me le chercher c’est tout. Répondit Elizabeth, refusant de se laisser apitoyer par le garçonnet âgé tout au plus de douze ans. Je ne lui veux pas de mal si ça t’inquiète, je veux juste lui parler.

- Et j’le ramène et vous m’donnez la pièce ? Demanda le garçon d’un air suspicieux.

- Oui. » Répondit simplement Elizabeth.

Avant qu’elle ait le temps d’ajouter quoique ce soit, le gamin débarqua comme une flèche sous les regards moqueurs de l’équipage.

«  Drôle de méthode capitaine… » Ironisa Tai.

Elizabeth ne releva pas et fixa le quai avec angoisse.

 

()()

 

Moins de dix minutes après son départ, le jeune garçon revint, traînant derrière lui un vieillard.

« V’la l’vieux Flo M’dame » Annonça-t-il fièrement en tendant la main.

Elizabeth jaugea le nouveau venu avec réserves tandis que derrière elle, les premiers rires s’élevaient discrètement. Il fallait reconnaître qu’il y avait de quoi à la vue du vieillard dépenaillé et sale qui accompagnait le gamin.

«  Montez à bord. » Ordonna Elizabeth qui refusait de se laisser déstabiliser.

 

Le gamin prit le vieux par le bras et le traîna à bord.

« La dame vous d’ mande. »

Elizabeth endura stoïquement les chuchotements moqueurs qui accompagnèrent la progression du vieil homme et finit par se tourner vers lui, le cœur soulevé par les odeurs d’urine rance qu’il exhalait.

«  Vous êtes bien Monsieur Floraty ? Demanda-t-elle, tout en se sentant ridicule

- Oui, je suis Flo le Fol. Chantonna le vieil homme ce qui fit redoubler les rires.

- Bien, suivez-moi dans ma cabine. Ordonna Elizabeth en glissant la pièce promise dans la main du garçonnet. Va, cela ne te concerne plus. » Lui lança-t-elle.

Le garçon hésita… Puis, finalement après avoir mordu dans la pièce pour s’assurer de sa véracité, il débarqua sans demander son reste.

 

Floraty se tourna vers Elizabeth tandis qu’elle l’entraînait.

«  Tu vas me faire quoi ma belle ? Je te préviens j’ai pas de quoi payer mais je peux encore te faire plaisir tu sais

- Je n’en doute pas. » Grinça Elizabeth entre ses dents tandis que ses hommes éclataient de rire à nouveau.

 

()()

 

Après avoir guidé bon an mal an le vieillard dans sa cabine, Elizabeth se tourna vers lui

«  Monsieur Floraty…

- Natacha. Si tu savais ce que tu m’as manqué. La coupa le vieil homme.

- Je ne suis pas…

- Natacha, Natacha… Enfin ! J’ai cru que Sergei t’avait tuée… Bredouilla Floraty visiblement très ému.

- Je suis désolée… Murmura doucement Elizabeth. Je ne suis pas Natacha. »

 

Floraty se troubla et la dévisagea.

«  Tu n’es pas Natacha, qui es-tu ? Tu es sa fille ?

- Non, je suis Elizabeth. Et je suis ici pour vous parler. »

Le vieillard tressauta légèrement.

«  Pourquoi ? »

Elizabeth répondit avec prudence et choisit ses mots, le récit de l’homme de la taverne en mémoire.

«  A cause d’une pierre. Une pierre rare. On dit que vous savez où elle se trouve.

- LE « FEU DE GLACE » ! Non, non pitié faites que ça s’arrête, je ne veux plus voir ça, jamais, pourquoi vous me torturez comme ça ? Natacha, oh non Natacha. » Gémit le vieillard.

Le cœur lourd devant sa détresse, Elizabeth se força à poursuivre.

« S’il vous plait. Je veux juste savoir où il se trouve. C’est très important pour moi. » Ajouta-t-elle, la gorge serrée.

 

Floraty la considéra un instant et un éclat calculateur brilla brièvement dans son regard.

«  Qu’es-tu prête à donner en échange ?

- Cinq pièces d’or. Murmura Elizabeth dont c’était la seule richesse.

- Non. Non, Natacha. Embrasse-moi et je te le dirais. » Répondit le vieillard en éclatant d’un rire dément.

Elizabeth sentit l’air lui manquer.

«  Non. De l’argent, des soins dites-moi …

- Un baiser et je vous dirai ce que vous voulez. » Chantonna le vieillard.

 

Elizabeth refoula sa nausée. Un baiser en échange de la liberté de Will. C’était beaucoup et si peu. Il n’y avait pas à tergiverser. Le cœur au bord des lèvres elle s’approcha et posa sa bouche sur celle du vieux, ignorant son estomac qui protestait sous les exhalations putrides de Floraty. Elizabeth se força au calme jusqu’à ce qu’elle sente la langue rêche et chargée de l’autre tenter de se frayer un chemin entre ses dents. Écœurée, elle se recula vivement.

«  Vous avez eu votre baiser ! Dites-moi où il est !

- Natacha refuse d’embrasser son Pedro. Répondit le vieil homme d’un ton chagrin.

- Je l’ai fait. Maintenant payez moi. Lança Elizabeth à bout de patience. Où est le «  Feu de Glace » ?

- Feudeglace,feudeglace,feudeglace…

- S’il vous plait, gémit Elizabeth.

- Feudeglace,feudeglace maudit soit celui qui le regarde. Sergei tue.

- Sergei ? Releva Elizabeth.

- Sergei Pavlov. Ton mari, oh ma Natacha….

- C’est-ce Pavlov qui a la pierre ? Demanda Elizabeth.

- Feudeglace, feudeglace, feudeglace, détruit tout… Sergei… Natacha … Primorsk

- Primorsk ?

- Là … feudeglace… » Soliloqua le vieil homme.

 

Jugeant qu’elle n’en tirerait plus rien, Elizabeth s’écarta prudemment. Après tout, elle avait un nom et une ville. Restait à trouver les deux. Sans l’ombre d’un état d’âme elle ouvrit la porte à la volée et entraîna le vieil homme pour le forcer à débarquer.

«  Natacha, Natacha…

- Je ne SUIS PAS Natacha ! » S’exclama Elizabeth en le forçant à descendre sous l’œil amusé de Tai.

Un sourire mauvais aux lèvres, elle se tourna vers lui.

«  Ne te réjouis pas trop vite Tai. J’ai ce que je voulais. On lève l’ancre. Direction Primorsk.

- En Russie ??? S’étonna le second.

- Évidemment. » Répondit Elizabeth d’un air détaché alors qu’elle ignorait tout du port jusqu’à ce que Tai lui en révèle l’emplacement.

 

Quelques secondes après, l’Empress s’ébranla et partit à la conquête de Sergei Pavlov et de son « Feu de Glace » !


Prologue                                                                                                           Chapitre 2


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