Elizabeth ouvrit les yeux brutalement et porta la main à son crâne, surprise de découvrir du sang sur ses doigts. Par réflexe, la jeune femme porta la main à son côté du lit et découvrit sans surprise que ses armes avaient disparues. Un rapide coup d’œil sous les draps qui la couvraient lui confirma que ses vêtements aussi. Elizabeth se força au calme, elle lutta contre la panique qui l’envahissait au souvenir du coffre disparu et examina soigneusement la pièce dans laquelle elle se trouvait. Elle était à terre, cela elle en était certaine, elle ne sentait plus le roulis familier sous ses pieds. La chambre dans laquelle elle était allongée était spacieuse et sa décoration était riche pour ne pas dire clinquante. Partout autour d’elle le rouge et l’or se mêlaient harmonieusement et faisaient ressortir le bois sombre des meubles. Un grand miroir occupait un coté de la pièce tandis qu’une odeur douceâtre flottait dans l’air, faisant froncer le nez d’Elizabeth.
La maison était silencieuse et la jeune femme se leva doucement. Elle enroula le drap autour de son corps et ses pieds nus s’enfoncèrent dans les tapis richement tissés qui recouvraient le sol de la pièce. Elle ne savait pas trop où elle se trouvait mais se rappelait fort bien de la bourse que Tai avait reçu et ne souhaitait pas s’attarder plus longtemps que nécessaire dans cette demeure inconnue. Elizabeth progressa lentement vers le ventail de la fenêtre et appuya de toutes ses forces sur l’ouverture, espérant la faire céder.
« Tu n’iras nulle part. » Déclara une voix calme derrière elle.
Elizabeth tressaillit et se retourna, elle reconnut avec surprise la vieille femme qu’elle avait aperçue sur l’Empress. Cette dernière posa un regard froid sur elle et lui désigna une petite table sur laquelle une jeune chinoise finissait de déposer un thé aux senteurs subtiles.
« Assieds-toi. » Ordonna la femme.
L’air circonspect, Elizabeth prit place dans le siège que la femme lui désignait et huma les senteurs délicates du thé qui n’étaient pas sans rappeler l’odeur qu’elle avait déjà perçue dans la pièce.
« Bois. »
Elizabeth prit sa tasse d’une main tremblante avant de la reposer sans boire.
« Non. Je veux que vous me rendiez mes effets et mes armes. » Dit-elle d’un ton dur.
La vieille femme la regarda avant de sourire avec satisfaction.
« Tu es plus jolie ainsi, combative. Les femmes comme toi, habituées à se battre sont souvent celles qui savent le mieux contenter les clients.
- Les clients … Répéta bêtement Elizabeth.
- Tes cheveux blonds, ta peau à laquelle on aura tôt fait de rendre sa blancheur naturelle si prisée, ton corps assez souple devraient me permettre de gagner une petite fortune. Quel dommage que tes yeux ne soient pas bleus. » Soupira la vieille femme.
Elizabeth, révoltée, se leva d’un bond.
« Vous n’avez pas le droit de me garder ici !
- Je t’ai achetée petite. Une fortune, et j’entends bien rentrer dans mes frais. »
Elizabeth blême de rage, la fixa.
« Je suis libre et je n’ai jamais été à vendre. Alors vous allez me laisser partir !!! »
La femme lui sourit.
« Pas sans payer.
- Mais je n’ai pas d’argent. Murmura Elizabeth, qui songea qu’elle ne savait même pas où elle était.
- Tu en gagneras vite. » Ricana la femme, amenant une grimace dégoûtée sur le visage d’Elizabeth.
La jeune femme la fixa avec haine avant de s’emparer d’une main preste de son couteau, elle se prépara à lui planter dans le corps, pour la tuer. La vieille se contenta de rire et plongea son regard dans celui d’Elizabeth.
« A ta place je ne ferais pas ça. A la seconde où tu te seras enfuie mes informateurs préviendront le capitaine de l’Empress qui poignardera le cœur qui est dans ton coffre. »
Elizabeth frissonna et laissa retomber son couteau.
« Pourquoi faites-vous ça ? Pourquoi moi ?
- Je te l’ai dit petite. Répondit la femme en tirant une bouffée de la minuscule pipe qu’elle venait d’allumer. Tu es belle et combative, tu feras des merveilles.
- Je suis reine des pirates. Commença Elizabeth. Et je suis mariée !
- Ici tu n’es rien de tout ça. Je ne te forcerais pas dans un premier temps, mais tu resteras dans cette maison tant que tu ne m’auras pas remboursé mon investissement, je te conseille donc de te mettre rapidement au travail. »
Elizabeth éperdue la fixa.
« Puis je au moins envoyer un courrier ?
- Pour demander à la Navy d’intervenir ? Ne rêve pas ma petite, personne ne te sortira d’ici tant que tu ne m’auras pas remboursée.
- Elizabeth. Siffla-t-elle. Mon prénom est Elizabeth.
- Elizabeth ? Tss trop long. Tu t’appelles Lia à présent. Bois ton thé. »
Elizabeth la fixa dans les yeux et renversa lentement le contenu de la tasse sur le riche tapis.
« Bien nous ajouterons donc ça sur ta dette Lia. Se contenta d’indiquer la vieille femme. Jane va venir dans un instant, elle s’occupera de toi. Nous te mettrons doucement au travail. La venue d’une perle d’Occident va attirer du monde, c’est bon pour les affaires. »
Elizabeth la regarda avec intensité.
« Vous n’avez pas compris. Je ne suis pas une catin. » Dit-elle en détachant chaque mot.
La femme lui sourit.
« Bien sûr Lia c’est pour ça que Jane va t’apprendre à le devenir. Bois ton thé à présent. » Lui ordonna-t-elle en lui resservant une tasse.
Une expression rageuse sur le visage, Elizabeth obéit et manqua de se brûler la langue dans sa hâte. La vieille la regarda avec un sourire.
« Une fois que nous aurons domestiqué ton caractère tu seras parfaite. »
Elizabeth la fixa.
« Je ne serais jamais votre catin.
- C’est-ce qu’on verra. Se contenta de répondre la femme avant de se tourner vers une jeune femme qu’Elizabeth n’avait pas encore vue. Jane, occupe-toi de Lia. »
La jeune fille aux traits asiatiques regarda Elizabeth et une moue de doute assombrit son doux visage.
« Oui. » Répondit-elle pourtant en s’inclinant avec respect.
Une fois la vieille sortie, Elizabeth se tourna vers celle qu’on lui avait présentée sous le nom de Jane et les deux femmes se jaugèrent rapidement. La jeune prostituée semblait âgée d’à peine vingt ans et Elizabeth fut saisie par la beauté de son visage. Jane était menue, plus petite qu’elle et son corps mince était entièrement cintré dans un kimono de soie rouge dont les manches et la ceinture étaient rehaussée de bordures couleur or. Ses cheveux noirs et luisants qu’elle devinait longs étaient rassemblés sur sa nuque en une coiffure compliquée qui n’était pas sans rappeler à Elizabeth celle que les servantes de Sao Feng lui avaient élaborée lors de son passage sur l’Empress. Jane la regarda calmement, ses yeux gris bordés de longs cils noirs cillant à peine sous son examen.
« As-tu fini ton thé Lia ? » Demanda-t-elle d’une voix mélodieuse.
Elizabeth grinça des dents de rage et se resservit, buvant sa tasse à petits traits.
« Non.
- Dans ce cas j’attendrais. » Répliqua la jeune femme avec un calme qui finit d’énerver Elizabeth.
La reine pirate se leva avec brutalité et cogna son genou contre la table. Elle poussa un juron qu’elle avait appris au contact des pirates et qui aurait fait rougir son père, puis la toisa.
« Je dois sortir d’ici.
- C’est-ce que nous disons toutes lorsque nous entrons chez Madame Wu. Ça te passera Lia.
- Je m’appelle Elizabeth !! Et je ne suis pas comme vous… Lâcha-t-elle d’un air méprisant.
- C’est bien pour ça que je dois t’apprendre. Combien d’hommes as-tu eu ? »
Le regard d’Elizabeth se voila en repensant à l’unique journée qu’elle avait passée avec Will quelques mois plus tôt. C’était si loin à présent, comme le cœur du jeune homme.
« Jane. Dit-elle d’un ton pressé. Je dois partir d’ici, je dois retrouver mon mari.
- Dans ce cas-tu ferais mieux d’apprendre tout de suite. » Rétorqua calmement la jeune femme.
Elizabeth s’approcha d’elle avec lenteur, le regard suppliant.
« Aide moi à m’enfuir et je te jure de venir te rechercher.
- Mais je n’ai pas envie de partir. Répondit Jane calmement en lui servant une nouvelle tasse de thé. Bois. »
Le regard désespéré, Elizabeth obtempéra tandis qu’elle cherchait un moyen de sortir de cet endroit.
« Il n’y en a pas. » Déclara Jane qui devinait sans peine ses pensées.
Elizabeth se leva et vacilla légèrement, le cœur au bord des lèvres. Sa tête lui tournait et il lui semblait qu’elle allait tourner de l’œil tant elle avait chaud. Jane la regarda toujours aussi calmement. Son regard ne cilla pas lorsque la main tremblante d’Elizabeth laissa échapper le drap qui la couvrait, l’exposant à son regard inquisiteur.
« Tu devrais aller te recoucher Lia. »
Au bord de l’évanouissement, Elizabeth ne répondit pas et se contenta de se laisser tomber sur la couche qu’on lui avait attribuée. Elle se sentait vide et sans force, incapable de réagir même lorsque Jane la recouvra du drap qu’elle avait laissé au sol. Elizabeth tenta de lui dire qu’elle avait trop chaud mais aucun son ne sortit de sa bouche et elle sombra dans l’inconscience.
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Jane la fixa un long moment avant de ressortir et ferma soigneusement à clef la porte derrière elle. Puis, elle s’avança à pas feutrés dans le couloir et rejoignit la vieille femme.
« Alors qu’en penses-tu ma fille ? Demanda Madame Wu.
- Elle est rétive mais suffisamment belle pour que les clients lui pardonnent ses humeurs.
- Dans combien de temps penses-tu qu’elle sera prête ?
- Je ne sais pas Mère. Le thé la rend plus malléable mais il faudra y aller progressivement avec elle. Elle est très obstinée.
- Continue à lui en donner.
- Ça l’a rendue malade cette fois, je l’ai vu.
- Tu sais bien que ça fait toujours ça pour les premières prises. Que pense-t-elle de toi ?
- Oh elle a essayé de me convaincre de l’aider à s’enfuir.
- Quelle idiote. Ricana Madame Wu. Aucune de mes filles n’est jamais sortie d’ici.
- Mère ? Commença Jane d’un air hésitant.
- Quoi !
- Pourquoi cette fille ? Il y a d’autres jeunes anglaises qui pourraient satisfaire nos clients et qui mettraient moins de temps à être dressées.
- Justement parce que celle-ci a un tempérament de feu contrairement aux filles de sa race. Crois-moi lorsque Tai Huang m’a contactée pour me parler d’elle, j’ai sauté sur l’occasion. Elle sera la Reine de Singapour. »
Le visage de Jane se contracta à ces paroles et Madame Wu la regarda avec plus de douceur.
« Après toi ma chérie. C’est pour ça que je te demande de l’instruire, après tout, tout ceci t’appartiendra un jour. Apprends-lui la volupté et la servitude.
Jane soupira
- Déjà il faudra remettre son corps en état. Ses batailles ont laissé des marques.
- Et bien, je pense qu’à cette occasion tu pourras lui faire découvrir des choses non ? »
Cette fois Jane sourit.
« Si elle n’avait pas mentionné un mari j’aurais juré qu’elle était vierge.
- Elle ne l’a vu qu’une journée selon Tai, donc c’est tout comme.
- Oh, je vois et nous savons que les maris sont rarement les meilleurs instructeurs. Se moqua-t-elle doucement.
- De toute manière, le sien ne posera plus de problèmes. Il est mort.
- Ne l’était-il pas déjà ? »
Madame Wu sourit en inspirant une longue bouffée.
« Si mais cette fois c’est pour de bon. Le nouveau capitaine du Hollandais Volant nous est du reste très dévoué grâce à Tai. Je dois dire que la seule chose correcte que mon frère ait laissée est ce petit.
- Oh et qui commande le Hollandais ?
- Un certain Barbossa, un pirate. »
Jane chercha dans sa mémoire sans succès.
« Ça ne me dit rien
- C’est normal. Enfin il a coulé son ancien navire et repris le commandement du Hollandais Volant sans poser de questions, ravi d’avoir l’immortalité.
- Pourquoi Tai ne l’a-t-il pas gardée pour lui ?
- Oh Jane chérie. L’immortalité du Hollandais Volant est plus une malédiction qu’un don. »
Jane réfléchit un long moment avant de sourire à sa mère.
- Bien elle est donc seule.
- Personne ne souciera d’elle. Confirma Madame Wu. A toi de faire d’elle l’instrument de notre richesse. »
Jane sourit doucement avant de se lever d’une démarche déliée.
« Plus tard, le consul m’attend.
- Retourne près d’elle quand tu en auras fini avec lui. Je veux qu’elle soit rentable au plus vite. »
Jane éclata d’un rire cynique, trop pour une si jeune femme
« Ne t’en fait pas, j‘en aurais fini rapidement avec lui. » Dit-elle en sortant.
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Microcosmos (lundi, 30 avril 2012 14:09)
Toujours aussi bien écrit!! ^^
J'adore l'atmosphère de ce chapitre, j'avais l'impression d'avoir les personnages devant moi! <3
Pauvre Elizabeth, elle se retrouve encore dans de beaux draps.
JessSwann (lundi, 30 avril 2012 16:07)
Merci beaucoup, à l'époque j'avais fait quelques recherches sur les bordels singapouriens :)