Ça faisait à présent plusieurs semaines que James Norrington s'en était allé chasser les pirates et la vie avait repris son cours tant pour Elizabeth que pour Will après les remords des premiers temps. Ils savaient tout deux qu'ils étaient en partie la cause de la disgrâce du Commodore et cette certitude les avait dans un premier temps mis mal à l'aise avant que la vie reprenne ses droits, le souvenir des épreuves qu'ils avaient traversées s'estompant de leur mémoire et de celle des habitants de Port Royal.
Malgré les mises en garde du père d'Elizabeth, ils se voyaient quotidiennement et faisaient de longues promenades sur le port ou dans la forêt bordant Port Royal toujours sous la surveillance discrète du chaperon d'Elizabeth. La jeune fille supportait de moins en moins cette présence durant ses rendez-vous avec Will et rêvait de retrouver la liberté de mouvement qui était la sienne lorsqu'ils vivaient sur le navire de Jack Sparrow. Leurs échanges étaient donc emprunts de retenue et de bienséance, le chaperon se contentant de détourner pudiquement les yeux lorsqu'ils s'embrassaient. En vérité, les leçons d'escrime que Will dispensait à Elizabeth étaient leurs seuls moments de réelle intimité et même là encore, Will restait le jeune homme chevaleresque qu'elle aimait et ne se permettait aucuns gestes d'intimité autres que ceux que nécessitait l'apprentissage des armes.
Ce matin-là, Elizabeth se réveilla en sursaut, les joues rouges du rêve qu'elle venait de faire. Un peu perdue, elle toucha ses lèvres d'un air songeur. Elle imagina que, comme dans un peu plus tôt dans son rêve, Will venait d'y déposer les siennes et glissait ses mains sur son corps nu de vierge comme elle se surprenait de plus en plus souvent à le souhaiter. Avec un soupir frustré, Elizabeth passa une robe de chambre brodée et glissa ses pieds dans les petites mules qui l'attendaient sagement à côté du lit depuis qu'elle était enfant, leur taille grandissant en même temps qu'elle. Elle s'avança jusqu'à son miroir et passa lentement son peigne de nacre dans ses longs cheveux cendrés, cherchant par ce geste familier à étouffer le désir qu'elle sentait de plus en plus souvent couver dans ses reins sans toutefois réussir à le nommer. Le frappement discret de sa femme de chambre la fit sursauter et elle se tourna vers la porte.
« Entrez. »
La jeune soubrette fit son apparition, les bras chargés d'un lourd plateau d'argent sur lequel étaient disposés tasses, soucoupes et autres victuailles pour le petit déjeuner.
« Vous êtes déjà levée Mademoiselle ? Moi qui pensais que vous alliez dormir une bonne partie de la matinée après le dîner d'hier soir. »
Elizabeth soupira à ce souvenir, elle supportait de plus en plus mal de devoir jouer les hôtesses pour les amis de son père qui la connaissaient depuis son enfance ou presque et la traitaient comme si elle avait encore douze ans.
« En vérité cette soirée n'était pas si épuisante… » Marmonna-t-elle.
La femme de chambre tapota ses oreillers et lissa la courtepointe brodée avant de lui faire signe d'approcher.
« Venez donc vous remettre au lit Mademoiselle et appréciez ce petit déjeuner que je vous ai apporté. Vous avez bien le temps de faire votre toilette. »
Elizabeth se recoucha docilement et commença à picorer sur le plateau, l'esprit encore occupé par son rêve.
« En vérité, je pensais aller voir Will à la forge sitôt après avoir mangé.
- Oh Mademoiselle, je pense qu'il ne vous faudra pas aller si loin pour voir William Turner. »
Brusquement intéressée, Elizabeth se tourna vers elle.
« Que veux-tu dire ?
- Simplement que vous n'êtes pas la seule à vous être réveillée tôt… Dit la soubrette en se penchant vers elle. Il est venu se présenter à la porte dès que l'heure des visites a sonné. »
Elizabeth se releva d'un bond et manqua de renverser son déjeuner.
« Ne pouvais-tu pas le dire plus tôt ! » S'écria-t-elle.
La femme de chambre devina son intention.
« Oh non Mademoiselle, vous ne pouvez pas y aller. C'est votre père qu'il a demandé à voir ! »
Elizabeth se troubla un instant.
« Mon père ? Mais… »
La soubrette tapota à nouveau l'oreiller d'un air nonchalant.
« Peut-être qu'il avait quelque chose à lui demander ? Glissa-t-elle d'un air complice. Sans vouloir vous offenser… » Ajouta-t-elle rapidement.
Elizabeth, les joues rosies par le plaisir lui décocha un grand sourire.
« Oh non tu ne m'offenses pas du tout ! Que sais-tu d'autre ?
- Et bien rien mais je pense que William Turner est un homme à qui tout père serait ravi d'accorder la main de sa fille non ? »
Elizabeth, les yeux pétillants, repoussa définitivement le plateau.
« Aide-moi à m'habiller, je veux le voir avant qu'il parte ! »
Avec un sourire amusé, la femme de chambre la suivit et se prépara à l'aider à trouver sa toilette.
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Le Gouverneur Swann finissait son repas matinal lorsque son valet, Gerald, vint lui annoncer que William Turner désirait le voir. Il soupira avec agacement avant de se résigner.
« Faites le entrer puisque ça ne peut apparemment pas attendre que j'ai terminé mon déjeuner.
- Bien monsieur. »
Will entra en silence, l'air un peu intimidé.
« Gouverneur Swann. Excusez-moi, j'aurais souhaité vous parler. »
Le Gouverneur replia soigneusement sa serviette avant de se tourner vers le jeune homme.
« Et bien Will asseyez-vous donc et faites-moi part de ce qui vous amène d'aussi bon matin. »
Le jeune forgeron déglutit, légèrement mal à l'aise.
« Je m'excuse de vous déranger. Peut-être devrais-je revenir à un autre moment… »
- C'est ridicule. A présent que vous êtes ici décidez-vous mon garçon, je n'ai que peu de temps à vous accorder. »
Will leva les yeux sur le père d'Elizabeth et commença à balbutier.
« En fait monsieur, c'est que votre fille…
- Et bien ? Qu'y a-t-il avec Elizabeth ? »
Will prit une grande respiration.
« Je souhaiterais vous demander l'autorisation de l'épouser. Déclara-t-il d'une voix blanche. Je sais que je ne suis pas le parti idéal et que je n'ai aucune fortune mais si vous m'accordez sa main, je vous promets qu'aucune femme ne sera plus aimée qu’elle. Je travaillerai, elle ne manquera de rien, je … »
Le Gouverneur le dévisagea un instant, pensif, pendant que Will cherchait désespérément ce qu'il pourrait promettre d'autre.
« En avez-vous parlé à Elizabeth ? »
Will rougit et secoua la tête.
« Je souhaitais obtenir votre accord avant de le faire, Monsieur. »
Le Gouverneur eut un vague sourire.
« Et bien je crois que ce n'est pas tant mon accord qui importe dans ce cas mais plutôt celui de la femme que vous désirez épouser. »
Will rougit et leva un regard plein d'espoir vers le Gouverneur.
« Cela veut il dire que vous m'autorisez à l'épouser ? »
Le Gouverneur le regarda un instant avant de sourire.
« Rien ne m'importe plus que le bonheur d'Elizabeth. Si elle souhaite vous épouser je ne m'y opposerais pas. »
Will se retint de justesse de serrer le père d'Elizabeth dans ses bras.
« Merci, merci Gouverneur. Je vous promets que je veillerais sur elle, je serais le meilleur des maris qu'elle puisse rêver d'avoir, je travaillerais et elle ne manquera jamais de rien, je vous l'assure ! »
Le Gouverneur le regarda avec amusement.
« Il me semble mon garçon que ce n'est pas moi que vous devez convaincre mais ma fille. Gardez donc vos promesses pour elle. Je suppose qu'elle ne devrait plus tarder, quand à moi je vais à présent me remettre au travail… A moins que vous ayez autre chose à me demander ? »
Will, les yeux brillants, secoua la tête.
« Non monsieur je crois que je vais attendre Elizabeth… Si vous le permettez. Ajouta-t-il rapidement.
- Faites donc cela. » Approuva le gouverneur en se levant.
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Une fois sorti, Weatherby Swann poussa un grand soupir de regret, le moment qu'il avait tant redouté était arrivé. Il n'avait aucun doute sur la réponse qu'Elizabeth ferait au jeune homme, les sentiments qu'elle lui portait semblant grandir de jour en jour. Brusquement, il se sentit vieux, bientôt sa fille partirait de son côté vivre sa vie de femme et sa mission de père serait terminée. Il se retrouverait seul alors.
« Bonjour Père !
- Oh Elizabeth. Je ne t'avais pas entendue arriver. Déjà levée ? Demanda le gouverneur avec une pointe de nostalgie, songeant que tout arrivait décidemment trop vite ce matin
- Oui… Je, je n'arrivais plus à dormir. Répondit Elizabeth. Dites-moi on me dit que Will est passé ce matin ? » Demanda-t-elle d'un ton qui se voulait décontracté mais les yeux brillants d'impatience.
Weatherby pesta intérieurement contre les domestiques qui étaient de toute évidence incapable de garder la moindre chose secrète.
« Oui en effet. Se borna-t-il à répondre
- Oh … Lâcha Elizabeth dont l'enthousiasme se réduisit soudain. Et … est il encore ici ? »
Weatherby soupira.
« Dans la salle à manger. Il t'attend, il veut te parler je crois… »
Le sourire revint instantanément sur les lèvres d'Elizabeth qui modéra son impatience et guetta sur le visage de son père une indication.
« Tu devrais aller le voir Elizabeth, tu en brûles d'envie et moi j'ai du travail. » Dit le Gouverneur à regret.
Elizabeth se pencha sur lui et embrassa légèrement sa joue.
« Dans ce cas j'y vais Père. Bonne journée ! Cria-t-elle avant de partir dans une envolée de jupons.
- Elizabeth ! Une fois que tu auras fini avec Mr Turner. J'aimerais te voir. Cria le Gouverneur
- Oui Père … bien sur. Murmura-t-elle, un peu inquiète. »
Elizabeth se força au calme avant d'entrer dans la salle à manger et finit par affecter un air détaché en pénétrant dans la pièce. Perdu dans ses rêves matrimoniaux, Will sursauta en entendant la porte s'ouvrir et laissa échapper la tasse qu'il tenait. Il rougit de confusion et contempla les morceaux épars sur le sol. Elizabeth dissimila son sourire et s’inclina d’un air cérémonial.
« Bonjour Will. »
Agenouillé sur le sol, il releva légèrement la tête et se cogna à la table avant de sourire avec un air navré.
« Elizabeth…. »
La jeune fille sourit et vint s'agenouiller à ses côtés puis l'aida à ramasser les morceaux en silence.
« Aie ! » Laissa-t-elle échapper en se coupant
Se traitant mentalement de demeuré, Will prit sa main dans la sienne.
« Montre
- Ce n'est rien. Souffla Elizabeth troublée
- Bien sûr que si. » Répondit Will qui embrassa doucement sa main, sa langue frôlant la blessure.
Le cœur d'Elizabeth accéléra brutalement à son contact et la sensation de sa bouche sur sa peau réveilla à nouveau cette chaleur qui grondait dans ses reins. Rougissante, elle retira sa main de celle de Will.
« Ce n'est rien une petite coupure. Elle ne saigne déjà plus. » Déclara-t-elle d'une voix tremblante.
Gêné le jeune forgeron se releva puis l'aida à le faire à son tour et Elizabeth sourit
« Mon père me dit que tu souhaites me parler. Commença-t-elle, le cœur cognant dans sa poitrine
- Oui Elizabeth … je .. Je… »
L'arrivée du domestique chargé de débarrasser la table le stoppa net. Elizabeth, agacée se retourna et fit signe à Will de la suivre
« Viens dans le grand salon. »
Will rouge de confusion la suivit et laissa à son grand regret le domestique ramasser les morceaux abandonnés de la tasse, une expression désapprobatrice sur le visage.
Le cœur prêt à exploser tant il battait vite, Elizabeth referma les portes derrière eux avant de se tourner vers Will
« Je t’écoute. »
Le jeune la regarda, la bouche ouverte sans oser prononcer un mot. A cet instant, elle lui semblait plus belle qu'il ne l'avait jamais vue.
« Elizabeth…. Je … je voudrais te demander … Elizabeth veux tu m'épouser ? »
La jeune femme se figea, les larmes aux yeux. Enfin, le moment qu'il lui semblait attendre depuis toujours était arrivée, muette d'émotion elle le regarda et s'efforça de graver cet instant dans sa mémoire. Will inquiet de ne pas recevoir de réponse, continua, son débit accélérant à mesure qu'il parlait.
« Je sais que je ne suis qu'un forgeron et que je ne pourrais pas t'offrir tout ce luxe auquel tu es habituée mais je t'aime. Depuis le premier jour je t'aime. Elizabeth Je…
- OUI ! Cria-t-elle presque, tant il lui semblait que son bonheur la submergeait. Oui, oui et mille fois oui Will ! »
Coupé net dans son élan, Will la regarda et sourit peu à peu en comprenant qu'elle venait d'accepter sa demande.
« J'ai cru que tu ne me le demanderais jamais. Murmura Elizabeth en s'approchant de lui, sa bouche frôlant la sienne.
- J'ai cru que tu n'accepterais jamais. » Répondit Will avant de se pencher sur elle pour un long baiser.
La jeune femme se serra contre lui et ses doigts se glissèrent dans le pourpoint qu'il avait revêtu pour demander sa main à son père. Ses sens s'enflammèrent, appelant des caresses dont il ignorait jusqu'au nom et les mains de Will se refermèrent sur sa taille. La respiration du jeune fiancé se fit brusquement saccadée tandis qu'Elizabeth effleurait du doigt sa peau nue entre deux boutons de sa chemise.
Le Gouverneur toussa bruyamment pour séparer les deux amoureux. Il leur adressa un regard d'excuse.
« Bien je suppose donc c'est une affaire réglée. Déclara-t-il d'une voix qui se voulait détachée.
- Oh Père ! Will m'a demandé de l'épouser ! Explosa Elizabeth en se jetant dans ses bras, éclatante de joie.
- Je crois que je n'ai pas besoin de vous demander ta réponse ma chérie… Sourit le Gouverneur en la serrant contre lui.
- Elizabeth m'a fait le bonheur d'accepter ma demande. Répondit Will, le regard brillant
- Je crois que j'avais compris cela… »
Elizabeth tourna son visage rayonnant vers son père.
« J'ai tellement hâte de me marier.
- Tu es donc si pressée de me quitter ? » Sourit le Gouverneur.
Embarrassée, Elizabeth se tut un instant.
« Ce n'est pas ça mais …
- Mais tu as le droit ma chérie, c'est tout à fait normal. Je pense que six mois est un bon délai.
- Six mois ! S'écrièrent Will et Elizabeth d'une seule voix.
- Certains pourraient croire que nous précipitons le mariage parce que tu es fautive. Commença à expliquer le Gouverneur
- Oh au diable le qu'en dira-t-on ! S'exclama Elizabeth. Père je vous en prie… »
Le Gouverneur Swann soupira, son regard alla de l'un à l'autre des jeunes fiancés, il sentit leur impatience et revint sur le visage d'Elizabeth.
« Tu sais que je ne peux rien te refuser… Si c'est avec William que tu veux passer le reste de tes jours, je suis d'accord… Et pour le mariage disons que deux mois me paraissent un délai acceptable…
- Oh merci ! » S'écria Elizabeth enfouissant son visage dans le cou de son père.
Il la serra brièvement contre lui avant de s'écarter.
« Je vous laisse donc… Vous devez avoir beaucoup de choses à vous dire. »
Will soupira avec résignation.
« Je ne peux pas rester. Je dois retourner travailler… J'aurais bientôt une femme à ma charge. » Sourit t'il en couvant d'un regard amoureux Elizabeth.
La jeune femme courut vers lui et noua ses bras autour de son cou.
« Passe me voir ce soir.
- Je n'y manquerais pour rien au monde. » Murmura Will tandis que le Gouverneur soupirait lourdement.
Finalement, les deux amoureux se détachèrent l'un de l'autre et c'est le cœur gonflé d'espoir que Will se rendit à la forge tandis qu'à plusieurs miles de là, le navire de Cutler Beckett était forcé de faire une escale afin de livrer les épices dont il était le dépositaire avant de reprendre sa route pour Port Royal…
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