Prologue


Année 1788, sur une plage,

 

 

Elizabeth Turner avançait lentement et la peur de ne pas réussir à atteindre la mer faisait battre encore plus fort son cœur fatigué. Dans ses bras qui réussissaient à peine à le soulever reposait comme un bébé monstrueux le coffre contenant le cœur battant de son époux. A plus de soixante-dix ans elle savait depuis des mois que son heure viendrait bientôt mais elle devait à Will de mourir en mer, comme un ultime geste d'amour pour celui envers qui elle avait engagé sa foi lorsqu'elle était jeune et belle et que la vie leur souriait encore à tout deux.

 

Un soupir soulagé s'exhala de la poitrine de la vieille femme lorsqu'elle sentit les premières vagues lécher sa peau ridée. Sans s'inquiéter d'être submergée elle continua à avancer, serrant le coffre comme s'il était son unique trésor et pour elle c'était bien le cas. Lorsqu'elle eut de l'eau jusqu'au menton, Elizabeth ferma les yeux et se laissa porter jusqu'à ce que son cœur épuisé de tant de souffrances et de solitude ralentisse avant de s'arrêter et que l'océan submerge le vieux corps fatigué.

 

William Turner, à la barre du Hollandais Volant regarda s'approcher la frêle embarcation dans laquelle la vieille femme aux cheveux blancs qu'il connaissait à la fois si bien et si mal avait pris place. S'élançant souplement, il vint lui tendre la main pour l'aider à monter sur le navire et sourit avec nostalgie en reconnaissant le coffre qu'elle avait emporté avec elle dans la mort.

« Tu n'as pas oublié. Murmura-t-il

- Comment l'aurais-je pu ? Je t'avais promis d'en prendre soin Will.

- Je sais. Je sais maintenant que je peux te faire confiance Elizabeth.

- Tu l'as toujours pu. »

 

Will sourit ironiquement à ces mots et se souvint de leur passé, lorsqu' Elizabeth était encore une jeune femme, belle, désirable, vivante, vibrante. Il regarda la vieille femme qui se tenait devant lui et chercha à retrouver la jeune fille dont il était tombé amoureux sans y parvenir.

« Comment va Liam ? Demanda-t-il à la place

- Notre fils va bien… Le petit Will aussi. » Compléta Elizabeth, un sourire attendri sur son visage parcheminé à la pensée de son petit-fils.

 

Will l'observa un court instant et réalisa qu'il n'avait pas connu cette femme qui était pourtant la sienne. Que savait-il de ses joies, de ses peines ? De ce qu'elle aimait ou détestait ? Il avait connu Elizabeth Swann, une jeune fille pleine d'entrain, une fille de gouverneur qui voulait échapper aux convenances mais il ignorait qui était Elizabeth Turner… et il n'avait nulle envie de le savoir. Il rougit violement à cette pensée, conscient du sacrifice qu'Elizabeth avait fait.

 

Années après années, elle avait porté, puis élevé seule le fruit de leur nuit de noce sur Molokai. Tous les dix ans, lorsque Will revenait, elle était là à l’attendre fidèlement, le coffre en sécurité et leur fils près d'elle. La première fois qu'il l'avait revue, elle lui avait dit en riant que Jack lui avait fait des avances.

« Mais il sait bien que c'est peine perdue, que mon cœur t'appartient Will. » avait-elle ajouté très vite.

 

Qu'elle était belle alors sur les collines irlandaises, ses cheveux encore blonds retombant sur ses épaules. Qu'il était heureux de la retrouver, de connaître Liam, de faire l'amour à sa femme. Puis il était reparti pour dix ans. Dix années durant lesquelles la jeune femme lui avait de moins en moins manqué, dix années où il avait commencé à apprendre à l'oublier. Lorsqu'ils s'étaient retrouvés, le visage d'Elizabeth était déjà ridé, son teint avait perdu de son éclat et même lorsqu'elle était venue vers lui, elle semblait moins heureuse aussi. Le lumineux sourire que Will lui connaissait avait disparu, remplacé par une expression attendrie qui était plus celle d'une mère que d'une épouse. Ils s'étaient aimés sans passion et lorsque Will était reparti il avait eu envie de lui demander de ne plus l'attendre… Mais les larmes qui perlaient dans les yeux de celle pour qui il avait donné sa vie l’avaient dissuadé de parler.

 

La fois suivante son fils était un homme et il avait annoncé là Elizabeth la mort de Jack Sparrow, le pirate ayant succombé, à bout de forces d'avoir passé vingt ans à chercher sans succès la fontaine de Jouvence. Elle avait pleuré. Des sanglots déchirants qui lui auraient brisé le cœur s'il l'avait encore aimée. Pourtant il lui avait fait l'amour, par habitude si l'on pouvait dire, avec un peu de pitié pour cette femme qui n'avait jamais eu la vie qu'elle méritait. Elizabeth aurait dû avoir un homme à ses côtés, un époux qui veillerait sur elle comme elle avait veillé sur son cœur et sur leur enfant.

 

Revenant au présent, Will regarda la vieille femme qui encore maintenant levait un regard emplit de tendresse sur lui.

« Je suis si désolé Elizabeth. Murmura-t-il

- Ne le sois pas…. Je ne pouvais pas m'attendre à ce que tu gardes tes sentiments intacts. »

Will ne nia pas, sachant que c'était inutile. Elle le connaissait tellement bien alors qu'il ignorait tout d'elle.

« Quand l'as-tu su ?

- Lorsque tu es revenu la seconde fois, tu n'avais plus cette fougue que j'aimais tant chez mon forgeron pirate. Sourit-elle

- Pourquoi es-tu restée ? Pourquoi n'as-tu pas refait ta vie ?

- Parce que je n'ai jamais cessé de surveiller l'horizon. »

 

Will passa doucement son bras autour des frêles épaules d'Elizabeth.

« Je t'ai aimée tu sais… je pensais que ça durerait toujours.

- Je sais Will. Peut-être, peut être que notre destin n'était pas d'être ensemble.

- Je suis désolé Elizabeth, tellement désolé, tu méritais mieux, beaucoup mieux. Un homme qui t'aime jusqu'à la fin de ses jours…

- Le Capitaine du Hollandais Volant peut-il aimer pour toujours ? Murmura doucement Elizabeth.

- Je l'ai cru…

- Tu n'as pas à t'en vouloir Will, mes sentiments aussi ont changés tu sais.

- Alors pourquoi n'as-tu pas refait ta vie Elizabeth, j'aurais compris

- Je t'ai fait une promesse sur l'île de Molokai et un choix plus tôt durant la bataille. Je ne pouvais pas revenir en arrière. Nous étions mariés.

- Jusqu'à ce que la mort nous sépare. Murmura Will sans parvenir à cacher tout à fait son soulagement à l'idée que ce moment était arrivé.

- Oui. »

 

Tous deux se tournèrent alors d'un même mouvement vers les chutes d'eau qu'on entendait gronder au loin. Elizabeth frissonna sans que Will ne puisse discerner s'il s'agissait d'appréhension ou d'impatience et il resserra son étreinte pour la rassurer.

 

Finalement, la terre des morts apparut devant eux et Elizabeth se détacha doucement de Will.

«  Merci pour ce voyage Will. Merci pour Liam. Merci de m'avoir aimée. »

Will caressa doucement la joue parcheminée, brusquement serein.

« Adieu Elizabeth… Va prendre ce repos que tu as tant mérité. »

Elle lui sourit, pale caricature du sourire qui avait été le sien lorsqu'il l'aimait encore et se tourna résolument vers la rive.

 

Will écarquilla en voyant Jack Sparrow de l'autre côté qui semblait attendre Elizabeth dont le pas se fit soudain plus alerte. Il regarda les deux vieux amis se retrouver. Elizabeth lui tournait le dos, tandis que l'expression de Jack devenait brutalement affamée mais aussi heureuse. Will détourna le regard, un peu gêné en voyant le pirate qui paraissait sans âge, serrer éperdument dans ses bras la vieille femme qui venait d'arriver. Elizabeth leva ses bras décharnés par l'âge et à son tour les referma autour de Jack. Au tremblement de ses épaules Will devina qu'elle pleurait.

 

Sans regrets, il se détourna des deux amis enlacés et se tourna vers la barre, heureux de ne plus avoir à faire semblant, heureux de ne plus avoir à protéger celle qui avait donné sa vie pour lui comme il avait donné la sienne pour elle. Il n'était pas triste de la mort d'Elizabeth. Pour la première fois depuis qu'il était Capitaine du Hollandais Volant, Will se sentit tout simplement libre. Cette fameuse liberté dont Jack lui avait tant parlé mais qu'il n'avait jamais compris avant de pouvoir enfin y goûter. Réajustant son bandana, Will tourna fermement la barre de son navire vers de nouvelles âmes à aller chercher et dit adieu sans regrets à celle qu'il avait aimée il y avait si longtemps de cela…


                                                                                                                                                                                                                                                                             Chapitre 1


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