Chapitre 7 : Humiliantes entraves


Immobile sur le seuil de la porte de la chambre d’Elizabeth, Cutler Beckett posa un regard narquois sur la scène qui s’offrait à lui. James pâlit et se leva d’un bond tandis qu’Elizabeth poussait un glapissement stupéfait.

« Lord Beckett ? Je vous croyais ailleurs… » Souffla la jeune femme.

Beckett posa un regard dépourvu d’humour sur la jeune femme.

« Manifestement. Tout comme il apparaît manifeste qu’il est inutile de faire chercher le bon docteur Sillers pour une ultime vérification. » Constata t’il en désignant du bout de sa canne les tâches rosées qui parsemaient le drap dont les amants s’étaient couverts.

 

Elizabeth rougit légèrement et redressa la tête d’un air hautain.

« On ne peut décidément rien vous cacher Lord Beckett. » Cracha-t-elle d’un ton sarcastique.

Les lèvres du Lord s’étirèrent en un mince sourire tandis que James s’empressait de remettre son fut, ses gestes rendus maladroits par l’émotion de se voir surpris.

« Lord Beckett, je, il me faut vous expliquer, je, balbutia t’il.

- Allons Commodore, prenez le temps de vous habiller, le coupa Beckett. Rassurez-vous, je peux comprendre l’inconfort qu’il y a à être surpris dans le lit d’une putain par son supérieur. »

Cette fois Elizabeth blêmit tandis que James s’échauffait. L’amoureux saisit son épée et se tourna vers Beckett.

« Cette fois, envoyé de la Compagnie ou non, vous allez répondre de cette insulte. »

 

Beckett le toisa avec mépris.

« Ne soyez pas ridicule Norrington, dix de mes hommes sont placés dans la maison et n’attendent qu’un geste de moi pour intervenir. Vous seriez mort avant de m’avoir ne serait-ce qu’effleuré. »

James le fixa avec haine.

« Si vous croyez que ça va m’arrêter…

- JAMES ! NON !! » Intervint Elizabeth, paniquée à l’idée de le perdre à son tour.

Beckett ricana.

« Ecoutez donc la voix de la raison Norrington même si celle-ci vient un peu tard à Miss Swann. Asseyez-vous. »

 

Norrington se tourna vers Elizabeth et croisa son regard embué.

« Je ne veux pas te perdre, souffla la jeune femme.

- Jamais, murmura t’il, touché de son inquiétude.

- Charmant, » se moqua Beckett.

Le couple se tourna vers lui avec haine et il reprit avec un plaisir manifeste.

«  Si Miss Swann ne s’est pas offerte à vous comme une putain, c’est donc que vous l’avez forcée… Tsss, moi qui vous croyait homme d’honneur.

- Non ! S’interposa une fois encore Elizabeth. Il ne m’a pas forcée.

- Vous admettez donc être une putain, voilà qui est intéressant. » S’amusa Beckett.

Elizabeth releva le visage, les joues marbrées de rouge.

« Il n’y a pas de déshonneur à s’offrir à celui qu’on aime. »

James hoqueta, sous le choc de sa déclaration aussi publique qu’inattendue, tandis Beckett ricanait.

«  J’ai peur que l’on vienne à penser autrement si l’affaire était malencontreusement ébruitée Miss Swann. Après tout, nul n’ignore votre vulnérabilité en ces temps troublés, ce qui est bien naturel après l’abandon de votre fiancé et le suicide de votre père, d’aucun pourraient penser que le Commodore Norrington a profité de la situation… »

 

James hoqueta à nouveau devant son insinuation et s’avança.

« Pas si Elizabeth devient ma femme. »

Beckett eut un sourire acide.

« Une solution qui vous comblerait de félicité l’un et l’autre à n’en pas douter. Cependant, ma réponse reste la même Commodore, il vous faudra donc attendre pour goûter à nouveau aux charmes d’Elizabeth, si tant est que vous en ayez encore envie l’un et l’autre au terme du délai que je vous ai imposé. »

Elizabeth se redressa, les larmes aux yeux.

« Pourquoi faites-vous ça ? Pourquoi vous entêter alors que vos misérables projets de mariage arrangé viennent de s’écrouler. »

 

James tressaillit et se tourna vers elle.

« Quoi ?

- Oh, je comprends mieux maintenant le sens du cadeau que vous venez de faire à ce pauvre Norrington. S’amusa Beckett. Vous espériez ainsi retrouver un maître plus complaisant n’est-ce pas ? »

Affolée, Elizabeth se tourna vers James.

«  Je n’ai pas fait ça dans ce but, je te jure que

- Cessez donc de jurer et de promettre, intervint Beckett. Cela devient lassant, d’autant plus que nous savons tous trois ce que valent vos serments.

- Moi je la crois, souffla James.

- Seigneur, vous l’aimez donc réellement ? Se moqua Beckett.

- Plus que tout. » Rétorqua James avec panache.

 

Beckett sourit.

« Dans ce cas, j’imagine que vous aurez à cœur de protéger sa réputation tout comme moi. Voici donc ce que nous allons faire Norrington. Je garde le silence sur la souillure que vous avez commise cette nuit et Miss Swann garde son honneur aux yeux de la bonne société ainsi que vous-même.

- Je n’ai que faire de mon honneur ! S’enflamma Norrington.

- Certes, mais il ne fait aucun doute qu’un homme de la Navy, un soldat respecté, ne peut espérer monter les échelons affublé d’une épouse connue par tous sous le nom de putain. A moins que vous ne préféreriez endosser le poids de votre faute et dans ce cas je crains qu’il ne vous faille en payer le prix.

- Je n’ai que faire de ma carrière, » rétorqua James.

 

Beckett ricana.

«  Seigneur, quel déshonneur cela serait pour le Gouverneur Swann d’apprendre l’inconduite de sa fille… Quand je pense qu’il vous respectait Norrington. Je n’ose imaginer la peine qui serait la sienne en voyant sa fille jetée en pâture aux ragots et autres médisances par votre faute. »

Elizabeth se décomposa et le toisa.

« Vous n’oseriez pas…

- Désobéissez-moi et vous verrez. » Rétorqua Beckett en fixant Norrington.

 

Le Commodore tourna un regard anéanti vers Elizabeth et soupira.

«  Je vous aime trop et j’avais trop de respect pour votre père pour agir ainsi…

- Voilà qui est entendu, s’empressa de relever Beckett. Maintenant sortez avant que je ne change d’avis et me montre moins clément. 

- James… » souffla Elizabeth.

Sans se soucier du regard moqueur que Beckett posait sur eux, James prit les mains de la jeune femme dans les siennes.

«  Je t’attendrais Elizabeth. Fais-moi confiance, je ne te laisserais pas, jamais… Mais pour la mémoire de ton père, je ne peux pas, je ne peux pas le laisser te salir. »

Des larmes de cristal roulèrent sur les joues d’Elizabeth et elle agrippa ses mains.

« Je t’aime, je t’attendrais. »

 

James se pencha sur elle pour un dernier baiser mais Beckett intervint.

« Suffit !!! Il me semble que vous avez assez gouté aux charmes de ma pupille pour cette soirée, vous aurez tout le temps ensuite pour explorer tous ses territoires. Du moins si vous le souhaitez encore tous deux. »

James rougit de colère devant l’allusion peu subtile tandis qu’Elizabeth le regardait avec incompréhension.

«  SORTEZ !!! » Explosa Beckett.

James la regarda avec regret et s’inclina. Mieux valait se soumettre en attendant d’avoir d’autres armes à opposer au Lord. Et il comptait bien mettre à profit tout son temps disponible pour découvrir ce qui était réellement arrivé au père de la jeune femme.

« Je t’aime. » Souffla-t-il en se contentant d’effleurer les doigts d’Elizabeth de ses lèvres avant de sortir non sans l’avoir gratifiée d’un long regard.

 

Une fois dehors, James croisa le regard froid de Mercer et ce dernier rangea son pistolet sans un mot. Le cœur lourd, James s’engagea dans l’escalier.

 

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Une fois seule avec Beckett, Elizabeth se tourna vers ce dernier.

« Comment osez-vous utiliser la mémoire de mon père ? »

Beckett ricana méchamment et posa un regard méprisant sur les charmes que le drap dévoilait impudiquement.

«  Je me doutais que cela ne calmerait pas vos ardeurs, vous êtes brûlante ma chère, je l’ai compris au premier regard que j’ai posé sur vous. Une catin dans une enveloppe d’aristocrate bien née…

- Vous êtes ignoble !!! Je préférerais encore être une de ces filles de Tortuga plutôt que d’avoir à subir votre présence ! »

 

Le sourire de Beckett s’effaça légèrement.

« Ne me tentez pas Miss Swann. Cependant vous allez m’obéir en tous points.

- Je ne vois pas pourquoi, rétorqua la jeune femme.

- Parce que… outre le fait que votre précieux commodore se trouverait alors dans une position délicate, votre chère entremetteuse, votre femme de chambre Estrella connaîtrait alors les délices des geôles de Port Royal avant de monter à la potence. »

Le visage d’Elizabeth pâlit un peu plus.

« Estrella ?

- Allons ma chère, ça ne prend pas. Me croyez-vous assez stupide pour vous avoir laissée sans surveillance ? A cette heure, Mercer n’attend qu’un mot de ma part pour dévoiler toute votre indignité et la complicité de votre servante si dévouée. »

Elizabeth pâlit un peu plus et frémit à la pensée de ce qui attendrait Estrella s’il mettait sa menace à exécution.

 

Beckett ne s’y trompa pas et sourit.

«  Bien, à présent que vous voilà devenue plus raisonnable, passez donc un vêtement adapté à une traversée en mer. Nous partons dans l’heure. »

Elizabeth se sentit défaillir.

«  Mes malles ne sont pas finies…

- Dans ce cas, il vous faudra vous passer d’Estrella pour les fermer. »

 

Le lord ébaucha un geste vers la porte et la jeune femme frémit.

«  Non !!! Je vais vous suivre….

- Je n’en doutais pas, » triompha Beckett.

 

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« Vous êtes abject, vociféra-t-elle en traînant la malle qu'elle avait hâtivement bourré aux pieds des escaliers.

- Et vous, vous êtes une sainte, répondit Beckett en ébauchant un sourire. Vos affaires sont-elles toutes là ?

- Non ! Rugit Elizabeth en lâchant son fardeau qui émit un bruit retentissant en sur le parquet.

- Très bien. Nous pouvons y aller. »

 

Retenant des larmes de rage et de peine, elle suivit le lord sous le regard chagriné de ses domestiques. Elle vit sa chère Estrella, le visage entre ses mains, en train de pleurer lourdement...

 

« Hâtez-vous ou je jure d'exécuter la menace que j'ai proféré à l'encontre de votre servante.»

 

Obéissant, la jeune femme monta dans le carrosse où patientait déjà Mercer. La voiture s'ébranla rapidement et Elizabeth sentit son cœur s'émietter dans sa poitrine en distinguant déjà le port à travers l'encadrement de l'habitacle.

 

« Allons Miss Swann. Ne prenez pas cet air éploré, c'est un grand jour après tout. Ne vous êtes-vous pas débarrassée d'une chose qui vous encombrait depuis longtemps ? »

 

Il darda sur elle un œil mauvais où luisait un éclat de convoitise. Elle s'était rhabillée à la hâte, sa robe noire pressée contre sa poitrine dénuée de corset. Sa chair était encore rosie des caresses de Norrington et des mèches folles encadraient son visage courroucé.

 

Une vague de rage la submergea mais le regard de l'homme de main, anticipant chacun de ses gestes, la dissuada de gifler l'envoyé. Tout comme la dernière fois, il lui semblait que le scénario se répétait inlassablement. Elle n'avait nulle échappatoire, Cutler Beckett le lui avait bien fait comprendre.

 

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Le cœur serré, James avait regardé le véhicule de Beckett emporter loin de lui sa fiancée. Le corps encore engourdi de leurs ébats, il sentait encore sur sa peau l'odeur de celle d'Elizabeth. Prestement vêtu lui aussi, il n'avait guère l'apparence qu'il arborait d'ordinaire avec ses vêtements froissés et sa perruque décoiffée. A l'ombre d'un grand arbre des jardins du Gouverneur, il remit du mieux qu'il put un peu d'ordre dans sa tenue et se dirigeait vers les grilles quand la voix d'un homme s'éleva dans l'air.

 

« Commodore ? »

Se retournant, il vit Groves qui le regardait.

« Que faites-vous là ? demanda James.

- Je vous cherchais justement et... ne vous trouvant ni au Fort ni chez vous j'en ai déduis que vous vous trouveriez peut-être ici. »

Tandis qu'il s'approchait, ce dernier s'exclama :

« Mais que vous est-il arrivé ?

- Moins fort Groves, siffla Norrington en l'entraînant à l'écart. Vous êtes totalement inconscient !

- Vous avez été attaqué ? » Poursuivit son subordonné, trop étonné pour relever la remarque.

 

Tellement surpris par la mise peu coutumière de son supérieur, il ne réalisa qu'après quelques secondes d'étude que le Commodore n'avait pas l'air de s'être battu.

 

« Oh... »

 

Cependant, si le lieutenant avait réussi à taire le nom qui lui brûlait les lèvres, il ne parvint pas à refréner la grimace qui altéra ses traits. Voyant cela, un pli amer se dessina les lèvres de James qui s'approcha de lui.

« Je vous interdis de la juger. Tout cela nous vous concerne en rien !

- Je risque néanmoins mon poste et ma vie, répondit-il peu farouchement.

- Vous êtes libre de renoncer à nos investigations, Groves.

- Je ne souhaite pas renoncer tout comme je ne peux m'excuser sur les réels sentiments que m'inspire Elizabeth Swann.

- Vous parlez d'une personne que vous ne connaissez pas ! » S’enflamma James en se retenant de l'empoigner.

 

Les yeux verts du gradé s'étaient assombris sous le chaos qui régnait dans son esprit et sur l'aversion à entendre de tels propos sur la femme qu'il aimait.

 

« Non... et en tentant d'être objectif, je vous conseillerai juste d'être prudent. Il...

- Je n'ai que faire de vos conseils, le coupa-t-il.

- Elle devait épouser William Turner présentement disparu, poursuivit Groves sans se démonter. Et maintenant votre relation semble être passée au niveau supérieur alors qu'elle se retrouve sous la tutelle de Cutler Beckett.

- Je l'ai dit, cela ne vous concerne pas et je reste seul juge de mes agissements. Je n'ai pas à parler de cela avec vous, » répondit-il après avoir puisé un maximum dans les réserves de patience qu'il lui restait.

 

Un éclat désolé brilla dans le regard du lieutenant, sincèrement déçu par tant d'aveuglement de la part d'un homme qu'il admirait. Cependant, il ne désirait pas abandonner l'enquête ni le Commodore pour lequel il avait beaucoup de respect.

 

« Si ce que vous aviez à me dire ne concerne pas l'avancée de nos investigations, nous en resterons là, déclara froidement Norrington en remettant son tricorne.

- Cela concerne notre enquête mais nous devrions mieux nous retrouver au Fort pour en parler.

- Non ! s'exclama James. Beckett m'a déjà fait suivre et je le soupçonne d'avoir des informateurs à l'intérieur du quartier général et peut-être même, au sein de ma propre maison. Parlez. »

 

Groves expliqua la conversation qu'il avait eue avec le jeune Marshall affirmant qu'il avait vu un homme entrer dans la chambre du Gouverneur, par sa fenêtre.

 

« Le garçon d'écurie m'a affirmé qu'il n'avait pas proprement aperçu le Gouverneur mais une ombre portant un tricorne s'infiltrer dans la demeure.

- Donc ce n'est pas le Gouverneur qu'il a vu cette nuit là mais bien une autre personne entrer dans la chambre, » conclut Norrington.

- Mais nous manquons encore d'éléments pour faire un quelconque rapprochement. Après tout, les hommes gouvernant les colonies sont des cibles de choix, Weatherby Swann ne devait pas manquer d'ennemis. »

 

James hocha la tête mais il était persuadé que Beckett se trouvait derrière ce meurtre.

 

« Bien. Retrouvons-nous à la tombée de la nuit devant l'Antre de Neptune. Venez sans uniforme. »

 

Acquiesçant, Groves salua son supérieur et après avoir vérifié qu'aucun regard indiscret ne l'observait, s'éloigna discrètement. De son côté, le Commodore attendit quelques minutes avant de quitter les lieux. La tête brûlante, son esprit était saturé d'images où le visage alangui d'Elizabeth se confondait à celui, cynique, de Cutler Beckett. Malgré la puissance de ses sentiments, un infime doute persistait comme un poinçon fiché dans son cœur.

 

« Comment puis-je le croire, » murmura-t-il.

 

()()

 

« Dépêchez-vous ! ordonna Cutler Beckett à la jeune femme qui répugnait d'entrer dans la cabine. Même sur ce navire mes menaces restent valables. »

 

Dents serrées, Elizabeth pénétra dans la pièce légèrement ondoyante. Celle-ci était richement décorée, plus encore que sa propre chambre.

 

« La cabine est-elle à votre goût ? Ironisa l'envoyé.

- Je dirais qu'elle est à votre image, petite et prétentieuse. »

 

Un pli amer déforma les lèvres de Beckett qui s'approcha d'elle jusqu'à ne laisser que quelques millimètres entre eux.

 

« N'abusez pas Miss Swann. Je ne suis pas l'un de vos imbéciles soupirants que vous abreuvez de vos vulgarités pour mieux les asservir. Si je le désire, je peux vous faire dormir dans le quartier de l'équipage et nous verrons si votre verve est toujours aussi haute. En y réfléchissant, vous pourriez aimer cela... passer de bras en bras comme la plus basse des catins. Qu'en dites-vous ? Dois-je faire transférer vos affaires ? »

 

Horrifiée par les paroles avilissantes de Beckett, elle tendit son bras, transgressant ainsi l'ordre qu'il lui avait donné auparavant. Preste, il intercepta son bras et la fit basculer sur le lit non loin.

 

Pesant de tout son poids sur elle, il enserra ses poignets jusqu'à ce qu'elle gémisse de douleur.

« Lâchez-moi !

- N'oubliez pas qui je suis, siffla ce dernier en collant son corps contre le sien. J'ai tous les droits sur vous et personne ne peut les remettre en cause. »

 

Les larmes aux yeux, elle sentit une protubérance rigide appuyer sur son ventre.

« La putain que vous êtes a fort bien compris mes allusions, peut-être cela calmerait-il enfin vos ardeurs... poursuivit l'aristocrate à son oreille.»

Un frisson glacé la parcourut mais elle rétorqua bravement.

« Vous vous surestimez lord Beckett. »

Un ricanement secoua doucement le torse de l'envoyé qui resserra plus encore son étau.

 

« Essayer donc de vous en persuader. »

 

()()

 

Will attendait depuis plusieurs heures dans la cale du navire qui l'avait repêché. Sous l'œil moqueur du dénommé Torg, le jeune homme avait dû se dévêtir et savonner son corps comme l'avait exigé le Capitaine. Une fois lavé, l'homme lui avait jeté un fut étroit et ses bottes préalablement rincées à l'eau de mer.

 

Depuis, il attendait sans aucune nouvelle du sort que lui réservait le propriétaire du bateau. Il entendait seulement l'effervescence de l'équipage sur le pont.

 

Torse nu, il baissa une énième fois la tête sur le tissu qui couvrait ses jambes et rougit seul devant l'indécence de sa tenue.

 

Il sursauta brusquement quand la porte de la cale s'ouvrit.

 

« Le Capitaine t'attend ! »

 

Prenant son inspiration, Will grimpa l'escalier et se retrouva à l'air libre. La nuit était à présent tombée. Un concert de rires salua alors son arrivée et il serra ses poings pour contenir son humiliation.

« Parfait, s'exclama le géant à la peau noir tout en s'approchant de lui. Tu vas pouvoir commencer à œuvrer pour ton nouveau maître. »

 

Le jeune homme avala difficilement sa salive.

 

« Ne pourrais-je pas récupérer mes vêtements avant de... commencer ? »Tenta-t-il, ses mains cachant vainement la zone la plus exhibée de son anatomie.

 

Un ricanement du colosse accueillit cette demande.

« Estime-toi heureux, esclave. Ose encore une fois te plaindre et c'est totalement nu que tu me serviras. Maintenant, agenouille-toi ! »

 

Le forgeron sentit son cœur s'emballer tandis que ses jambes ne le portait presque plus.

 

()()

 

Théodore Groves, les mains négligemment cachées dans ses poches, patientait devant l'Antre de Neptune. Une grande baie carrelée, relativement poussiéreuse, laissait filtrer une lumière ambrée sur les pavés. A l'intérieur de l'auberge, la vie nocturne de Port Royal vibrait d'une agitation populaire. Des chants de marins s'élevaient au son des choppes que l'on faisait tinter.

 

« Groves.

- Commodore ? demanda prudemment ce dernier en fixant une silhouette sombre devant lui.

- De qui d'autre pourrait-il s'agir ? rétorqua James qui ne cessait d'observer les alentours.

- Pardonnez- moi mais je peine à vous reconnaître. »

 

Pour la première fois, son supérieur lui faisait face sans son uniforme ni sa perruque.

 

« C'est une bonne chose alors. Ayez l'air le plus naturel possible. »

 

Sur ces mots, ils pénétrèrent dans la salle pleine de monde où la moitié de la colonie semblait s'être réunie ce soir. Trouvant une table encore libre, pratiquement collée à un mur crasseux, les deux hommes s'y installèrent.

« Même suivis, nous ne risquons pas d'être entendus, déclara James en enfonçant un peu plus son tricorne sur ses yeux verts. Si je vous ai demandé de venir c'est pour vous annoncer mon départ.

- Je... vous demande pardon ? » Bégaya le lieutenant.

 

Ils furent interrompus par une serveuse à la silhouette généreuse et attendirent que celle-ci revienne avec deux godets avant de poursuivre.

 

« J'ai tout organisé cet après-midi, reprit James. Je suis dépêché pour une mission à Santiago de Cuba et c'est là que je suis censé me rendre. J'ai expliqué par courrier que je m'y rendais au plus vite et par mes propres moyens. Aucun navire de la Navy n’est encore prêt à prendre la mer et cela me donne un délai pour rejoindre Beckett.

- Mais il sera forcément tenu informé de votre absence ! s'exclama Groves.

- Inévitablement mais c'est un risque je suis prêt à courir.

- Je vous suis ! déclara Groves dont le regard sombre pétillait.

- Non, rétorqua le Commodore en portant le rhum à ses lèvres. Je refuse de mettre plus encore votre carrière en péril et j'ai plus que jamais besoin de vous à Port Royal. Vous êtes seul capable de trouver des éléments qui incrimineraient une fois pour toute Beckett.

- Je comprends.

- Nous nous tiendrons informés grâce à Holmes, mon majordome, en qui j'ai pleinement confiance. »

 

Le lieutenant hocha la tête avant d'avaler une gorgée d'alcool.

 

Déposant un shilling sur la table, Norrington se leva mais fut discrètement retenu par Groves.

 

Tournant la tête, il regarda son coéquipier et sentit la pression de sa main sur son bras.

 

« Bonne chance, Monsieur, » murmura le lieutenant.

 

James sourit furtivement avant de se frayer un chemin vers la sortie.

 

()()

 

Will, blême, resta sans bouger, le cœur affolé pendant plusieurs secondes et le capitaine lui adressa un regard froid.

« Ma parole tu es aussi indiscipliné que stupide, ricana le capitaine, déclenchant des rires parmi son équipage. Je t’ai ordonné de te mettre à genoux esclave. »

 

Will baissa rapidement les yeux et obéit, rendu nerveux par le craquement de l’étoffe de son pantalon étroit.

« Regarde-moi. » Ordonna le capitaine, ce qui attira une nouvelle salve de rires.

Will leva les yeux sur lui et le colosse lui sourit méchamment. Le cœur affolé, Will avala brutalement sa salive tandis que l’autre se penchait.

« Je veux te voir le polir jusqu’à ce qu’il brille, esclave. »

 

Une vive rougeur enflamma le visage de Will et il recula avec une moue écœurée.

« Non, je, je ne peux pas faire ça, bafouilla t’il.

- Quoi ? Que dis-tu, esclave ? »

Will serra les poings tandis que le capitaine lui adressait un regard moqueur.

« Tu te dis prêt à tout pour que je t’emmène à Singapour et tu refuses de nettoyer le pont de mon navire ? »

Gêné, Will ne put retenir un soupir de soulagement.

« Le, le pont ? Oui bien sûr, je croyais, je pensais que… »

De nouveaux rires éclatèrent et le capitaine lança un regard amusé à la cantonade avant se pencher sur Will.

« Oh et que pensais tu esclave ? »

 

Humilié, Will baissa la tête tandis que l’homme se penchait sur lui.

« Répond ? Que désirais-tu polir ? »

De plus en plus mal à l’aise, Will rougit de plus belle sous les regards moqueurs de l’équipage et le capitaine s’écarta finalement.

« Qu’on lui donne un seau et une brosse. »

Puis, il se pencha vers le jeune homme.

« Commence par cette partie, dos à nous. » Exigea-t-il.

 

Will s’empara de la brosse et commença à frotter, de plus en plus mal à l’aise sous le feu des quolibets grivois de l’équipage dont il sentait les regards posés sur lui.

 

()()

 

Inquiet, Groves fixa longuement la porte par laquelle son supérieur avait disparu et finit par appeler d’un geste las la serveuse. Le jeune officier n’était d’ordinaire pas un homme de boisson, tout du moins pas plus que les autres soldats, mais la journée écoulée ainsi que son entrevue avec son supérieur lui laissait un gout amer.

 

Le regard morne, Groves vida son verre d’un trait avant de se resservir. Plus il y pensait, plus il trouvait le projet du Commodore insensé. Le jeune lieutenant frémit à la pensée qu’il serait facile d’attribuer la désobéissance de James Norrington à de l’insubordination ou pire à de la trahison et frappa d’un coup sec sur la table.

 

Tout ça à cause d’une femme !! Et pas n’importe quelle femme, une roulure qui ne méritait pas qu’un homme comme James Norrington pose les yeux sur elle. Une fille débauchée, dévoyée qui passait d’hommes en hommes au gré des caprices de son cœur inconstant. Et voilà qu’elle avait écarté les cuisses pour le Commodore ! La mine sombre, Groves songea qu’elle en aurait sans doute fait autant pour tout homme disposé à la prendre et soupira. Comment un homme aussi intelligent et aussi droit que le Commodore pouvait s’être laissé prendre ainsi ? Comment pouvait-il ne pas voir à ce que tous savaient : si Elizabeth Swann n’était pas née fille de Gouverneur, cela ferait longtemps qu’elle arpenterait les quais du port à la recherche d’hommes suffisamment riches pour lui offrir quelques pièces en échange de ses faveurs.

 

« Une putain. » Marmonna Groves.

 

Oui. Une putain. C’était précisément ce qu’elle était et Theodore espérait que son supérieur s’en rendrait compte avant d’avoir définitivement ruiné sa carrière pour elle.

 


Chapitre 6                                                                                                         Chapitre 8


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Commentaires: 2
  • #1

    Ladypirate (jeudi, 04 octobre 2012 16:01)

    Elizabeth ne peut rien faire face à Beckett, il est tout à fait capable de mettre ses menaces à exécution :( J'espère qu'elle et James seront réunis !!!!
    Quant à Will, il ne lui manque plus qu'un salaire et il sera officiellement une prostitué lol

  • #2

    JessSwann (jeudi, 04 octobre 2012 18:31)

    Lol merciiii
    Liz a encore de la route à faire aux côtés de Beckett ( mon "méchant" préféré)
    Quand à Will le pauvre n'est pas au bout de ses déboires